« Faites-vous de l’apnée du sommeil ? Avez-vous des verrues plantaires ? Avez-vous déjà vécu un épisode de dépression ? » Force est de constater qu’en 2022, malheureusement, des employeurs incluent encore dans leur processus d’embauche des questions médicales injustifiées.
Qu’elles soient mises en place ou qu’elles perdurent par méconnaissance, automatisme ou malveillance, ces pratiques n’ont pas leur place. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés joignent leurs voix à nouveau pour sensibiliser les organisations du Québec quant aux pratiques d’embauche pouvant comprendre des éléments discriminatoires.
La Commission s’emploie à sensibiliser les travailleurs et les travailleuses quant à leurs droits et les employeurs quant à leurs obligations, en plus de traiter les plaintes de discrimination. L’Ordre encadre rigoureusement ses professionnels agréés, pour s’assurer que les CRHA et les CRIA pratiquent selon les règles de l’art.
La Commission et l’Ordre ont recueilli plusieurs plaintes et témoignages confirmant que certaines organisations utilisent des formulaires médicaux ou posent en entrevue des questions portant sur la santé physique et psychologique des individus, sans que ces questions soient justifiées par les aptitudes requises par le poste à pourvoir.
Des questions parfois aussi inusitées qu’intrusives posées lors d’un premier contact à toutes les personnes candidates, peu importe le poste.
L’article 18.1 de la Charte des droits et libertés de la personne qui s’applique à tous les employeurs est pourtant clair : il est interdit de poser des questions relatives à l’état de santé des personnes candidates, sauf si ces questions sont liées à des aptitudes ou qualités requises pour occuper adéquatement le poste.
Il est donc primordial de disposer d’une description de tâches essentielles à l’exécution sûre et efficace de l’emploi, afin de pouvoir analyser objectivement les défis physiques et mentaux que présente spécifiquement le poste à pourvoir, de façon à bien formuler les questions à poser durant l’entrevue ou dans le formulaire. Rappelons que même lorsqu’un tiers est impliqué dans le déploiement des processus d’embauche, cela ne dégage pas l’organisation de ses responsabilités. Sa réputation est en jeu et elle pourrait tout de même s’exposer à des poursuites.
Au-delà des considérations légales, les mentalités évoluent. L’équité, la diversité et l’inclusion sont maintenant des valeurs phares de notre société, ce que nous ne pouvons qu’applaudir. Les organisations doivent s’y investir avec conviction en raison de leur responsabilité sociale d’équité, mais aussi pour les bénéfices d’affaires qui en découlent. Une entreprise plus équitable, diverse et inclusive offre davantage d’occasions d’apprentissage, d’innovation, de créativité et de possibilités de voir les choses autrement.
De plus en plus, les organisations se targuent d’être inclusives, mais encore faut-il que des actions concrètes suivent les discours. Cette posture ne peut cohabiter avec des processus d’embauche discriminatoires.
Par ailleurs, alors qu’une pénurie de main-d’œuvre fait rage, les organisations doivent d’autant plus faire preuve d’ouverture et de bienveillance. Elles se doivent d’offrir une expérience candidat de qualité et considérer équitablement tout le monde.
Pour outiller les différents acteurs, un guide de l’employeur, produit par la Commission et diffusé avec l’aide de l’Ordre dans le cadre de la campagne Recruter sans discriminer, fournit des exemples de questions à éviter. Nous invitons les employeurs à procéder à l’analyse de leurs pratiques et outils de recrutement, à la lumière de ces informations, afin de s’assurer que ces derniers soient exempts de pratiques potentiellement discriminatoires.
En conclusion, rappelons qu’on ne peut poser une question sur l’état de santé simplement par souci d’engager la personne la plus jeune, la plus en santé, la plus productive ou celle présentant le moins de risque de demander un congé de maladie ou un congé parental. On ne peut répliquer un formulaire à tous les postes en recrutement par souci d’efficacité ; il doit être en lien direct avec la tâche.
Ne nous privons pas du bénéfice d’embaucher une personne capable d’enrichir notre société et ne risquons pas de rebuter une candidature de qualité, simplement pour poser une question qui s’avère non essentielle, indiscrète, exclusive et surtout illégale.
*Me Poirier est directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés et Me Tessier est président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
Cette lettre d’opinion conjointe a paru dans la rubrique Forum des affaires de l’édition du 27 juin 2022 du quotidien La Presse+.