Vous lisez : Des outils au service de la fonction ressources humaines

L’utilité de la mesure n’est plus à démontrer, même si elle ne semble pas encore très répandue sur le terrain des ressources humaines. Petit tour d’horizon de certaines de ses applications pratiques.

Pierre Joron, CRHA est un expert dans le domaine de la mesure. Il est catégorique : « La mesure est essentielle et stratégique. Quiconque veut démontrer sa performance organisationnelle doit absolument mesurer. Pourtant, en gestion des ressources humaines, la mesure accuse encore un certain retard. Il y a une croyance tenace selon laquelle la performance RH est trop intangible et ne s’évalue pas. » Or, souligne-t-il, pour les dirigeants d’entreprise, ce qui ne peut se mesurer est inutile et la dépense constitue un coût et non un investissement. D’où l’intérêt pour la fonction ressources humaines d’avoir recours à la mesure.

Mesurer ce qui compte vraiment
Avec le développement des technologies, on est aujourd’hui capable de mesurer une foule d’indicateurs. Les gestionnaires en ressources humaines trouveront leur compte dans la mesure d’éléments qui les intéressent au premier chef, par exemple le délai de dotation, le taux de roulement, etc. Il faut toutefois aller plus loin, estime M. Joron, en utilisant la mesure pour démontrer l’impact de la fonction RH sur les indicateurs de performance de l’organisation. Cela permet au bout du compte d’augmenter la crédibilité de la fonction.

Mesurer, d’accord, mais mesurer quoi? Car on ne doit pas tout mesurer, mais seulement ce qui compte vraiment aux yeux de l’entreprise. « C’est pourquoi je conseille toujours aux gestionnaires en ressources humaines d’être parfaitement au courant de ce que pensent leurs dirigeants et des informations dont ils ont besoin », précise Pierre Joron.

Il prend pour exemple la crainte récurrente des organisations de manquer de main-d’œuvre. L’entreprise veut donc savoir de quelle façon le service des ressources humaines contribue à la rétention des talents. Par conséquent, mesurer cet indicateur est une bonne stratégie. « Il faut s’assurer que les mesures sont pertinentes et alignées sur les enjeux stratégiques de l’entreprise », conseille le consultant.

Au lieu de mesurer des éléments qui n’ont pas nécessairement de valeur concrète aux yeux des dirigeants, on disposera donc d’un plus petit nombre d’indicateurs, mais directement reliés aux indicateurs clés de performance.

« Mesurer, soutient M. Joron, c’est aussi l’occasion de démontrer qu’on est un vrai partenaire d’affaires de ses clients internes. »

L’enjeu du Big Data
Pour mesurer, il faut aussi collecter les données et maximiser leur utilisation. À cet égard, le fameux « Big Data » devient un enjeu important. « Le Big Data, c’est l’ensemble des données qui circulent sur le web, mais c’est aussi le processus par lequel on se les approprie, on les structure et on les utilise à des fins prédictives », explique Didier Dubois, CRHA, associé principal chez HRM Groupe. Par exemple, comment faire en sorte de récupérer toutes les informations relatives à un individu et en faire des outils permettant aux recruteurs de mettre la main sur les meilleurs candidats?

Par ailleurs, l’organisation elle-même constitue une importante source de données sur le taux d’absentéisme, le taux de roulement, le niveau de mobilisation, etc. En recoupant et en croisant toutes ces informations, on peut en tirer des renseignements précieux sur la performance de l’entreprise, faire des comparaisons internes et aussi externes.

« Le problème est qu’en ressources humaines, on n’a pas nécessairement le réflexe de mesurer, et que, par ailleurs, tout le monde n’entre pas les données de la même façon, ce qui rend les comparaisons difficiles », indique Émilie Pelletier, CRHA, associée principale du Groupe Marketing RH.

Or, selon Didier Dubois, les entreprises qui ne maximisent pas les données dont elles disposent sont en train de « manquer le bateau ». « Si on prend un problème au niveau du taux de roulement par exemple, et qu’on le ventile par département, on peut identifier la source du problème et être plus à même de proposer des solutions », illustre-t-il.

Mme Pelletier ajoute : « L’un des grands défis de la fonction ressources humaines est de mesurer et de quantifier ses actions. Or, lorsqu’on arrive à un comité de direction, il est difficile de faire valoir la qualité de ses actions si on ne peut pas les chiffrer. » Pour tirer son épingle du jeu, la fonction ressources humaines doit donc utiliser la mesure de façon stratégique. Par exemple, si l’on s’aperçoit que le délai de dotation des postes au sein de l’entreprise est supérieur à la moyenne, cela sous-entend qu’il faudra avoir recours à des heures supplémentaires pour que le travail soit fait, ce qui engendre des coûts. Avec de tels arguments en main, le gestionnaire des ressources humaines pourra plus facilement convaincre la direction d’investir dans des mesures visant à diminuer ce délai.

Mesurer l’engagement
Dans le domaine des ressources humaines, plusieurs facteurs sont intangibles et semblent difficiles à mesurer. Par exemple, la loyauté à l’organisation ou l’engagement. Alia Conseil a développé avec Christian Vandenberghe, professeur à HEC Montréal, un outil permettant de prendre le pouls de l’engagement affectif et relationnel des employés; cet outil mesure « l’engagement de tête et l’engagement de cœur », explique Catherine Privé, CRHA, présidente et chef de la direction d’Alia Conseil. « De cette façon, les gestionnaires peuvent voir sur quels piliers de l’engagement ils doivent travailler », souligne-t-elle. L’engagement affectif devrait être particulièrement recherché par les organisations, car on a constaté qu’il est directement relié à la productivité, à la santé psychologique et au bien-être des employés.

« On peut ainsi mesurer quatre leviers spécifiques : la clarté stratégique et opérationnelle, l’influence, les compétences et la reconnaissance du supérieur immédiat. C’est très concret pour les gestionnaires qui peuvent savoir quelles pratiques de gestion améliorer ou maintenir », explique Mme Privé. La mesure peut être reprise tous les dix-huit mois afin de voir l’évolution des choses. En croisant ces informations avec des données sociodémographiques (âge, site, catégorie d’emploi, statut, etc.), on peut raffiner les résultats encore davantage. « Non seulement la mesure aide à s’améliorer, mais elle fournit aussi des données permettant de se comparer à d’autres entreprises », spécifie Catherine Privé.

Mesurer le potentiel
Les outils de mesure servent également à évaluer le potentiel des employés, dans une perspective aussi bien de développement que de recrutement. Antoine Devinat, CRHA, psychologue industriel et organisationnel (ADN Leadership), fait valoir qu’en exposant l’individu à certains outils psychométriques, on peut aller bien au-delà de la simple évaluation de ses habiletés et compétences actuelles : on peut aussi extrapoler ses capacités à réaliser une tâche qu’il n’a jamais faite auparavant. « Par exemple, explique M. Devinat, dans une situation de recrutement, on pourrait évaluer la capacité d’un candidat à gérer des employés, même s’il ne l’a jamais fait ».

Ces outils peuvent s’avérer précieux en matière de développement, afin de s’assurer du potentiel du candidat. « On sait d’où part le candidat, précise Antoine Devinat, et on peut anticiper le temps qu’il lui faudra pour acquérir les habiletés recherchées. »

Ces outils sont généralement assez lourds et sont souvent offerts en impartition, car ils nécessitent d’ordinaire une expertise en psychologie du travail. Ils aident à mesurer des attitudes et des aptitudes spécifiques par l’entremise de questionnaires, d’études de cas, de jeux de rôles, de tests de comportement et d’entrevues classiques. « Ce n’est pas une science exacte, mais on fait mouche dans 85 % à 95 % des cas, lorsque les principes multitraits et multiméthodes sont bien appliqués », affirme M. Devinat. Ces outils s’adaptent aussi aux besoins du client, qu’il s’agisse d’un recrutement de masse ou de postes à l’expertise pointue plus difficiles à pourvoir.

De plus, lorsque certains problèmes spécifiques ont été identifiés chez le candidat, mais que l’organisation décide tout de même de l’embaucher, on est au courant dès le début des aspects sur lesquels l’employé devra être encadré, pour faciliter son intégration et son développement. « Quand on sait à quel point une mauvaise embauche peut coûter cher à un employeur, avoir recours à ce type d’outils en vaut sans aucun doute le coût », indique Antoine Devinat.

Les technologies au service de la mesure
La fonction ressources humaines dispose-t-elle d’outils suffisamment évolués pour réaliser les mesures dont elle a besoin? Assurément, affirme Romain Charbonneau, CRIA, directeur d’Horizons RH, une firme qui conseille les entreprises sur leurs options et stratégies en matière d’investissement technologique. « En général, explique-t-il, les besoins sont en avance sur les technologies, mais pour la mesure, c’est l’inverse : les entreprises ont à leur disposition un ensemble de solutions technologiques matures et peu onéreuses. »

M. Charbonneau précise que les entreprises ont actuellement à leur disposition trois principales options en matière de mesure. Elles peuvent d’abord utiliser les boîtes à outils analytiques présentes dans la majorité des logiciels RH. Elles peuvent aussi avoir recours aux technologies communes au sein de l’entreprise, comme l’intelligence d’affaires Microsoft ou Oracle, en demandant à l’équipe interne des technologies de l’information de développer les processus et les indicateurs de performance adaptés aux besoins.

Troisième possibilité : utiliser des solutions spécifiques à la mesure RH, avec un logiciel-service infonuagique. « La plupart de ces logiciels sont même suffisamment intelligents pour reconnaître et commencer à structurer vos données eux-mêmes, et les présenter de façon dynamique. On peut se les procurer à prix très raisonnable sur Internet, sous forme d’abonnement. Ces outils sont très performants et ont l’avantage d’avoir atteint une maturité telle que même les usagers n’ayant pas de connaissances technologiques très poussées peuvent les utiliser », précise M. Charbonneau.

Il n’y a pas si longtemps, il fallait demander l’aide de spécialistes en TI pour utiliser ces outils. Aujourd’hui, l’équipe des ressources humaines peut facilement mener des projets de mesure et des analyses prévisionnelles de façon presque autonome. « Il est également possible d’automatiser la collecte de données en bâtissant une interface entre les systèmes internes et le logiciel de mesure. Par ailleurs, les avantages de l’infonuagique sont évidents : on n’a pas besoin d’avoir une architecture sur place (serveurs), l’accompagnement de l’équipe des TI n’est pratiquement plus nécessaire et on peut passer à la phase de tests et de modélisation bien plus rapidement qu’avant », soutient M. Charbonneau.

Il existe des logiciels-services qui intègrent déjà les indicateurs spécifiques à la fonction ressources humaines, comme le taux de roulement, la masse salariale, etc. « La technologie est à maturité, accessible en un clic de souris et à des prix raisonnables », conclut Romain Charbonneau. Alors, pourquoi s’en passer?

Emmanuelle Gril, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 18, numéro 2, avril/mai 2015.

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