Vous lisez : Augmenter sa crédibilité grâce à la gestion basée sur les preuves

Chaque année, l’équipe des ressources humaines prend de nombreuses décisions stratégiques qui ont pour objectif d’améliorer les pratiques organisationnelles, l’engagement du personnel, la performance. Mais ces décisions reposent-elles toujours sur des données probantes? On sait pourtant que des données peu valides à l’entrée produisent de mauvaises décisions à la sortie, comme le suggère le modèle de la poubelle de March. Sachant que la qualité des décisions prises par le professionnel en ressources humaines contribue grandement à augmenter sa crédibilité de partenaire d’affaires, comment peut-il l’améliorer? Voici une approche de gestion basée sur des preuves ou données probantes (Evidence-Based Management).

Gérer en se basant sur des données probantes exige d’intégrer à sa pratique quatre éléments clés (Rousseau, 2012) : les données internes, les données scientifiques, l’expertise en gestion et les parties prenantes. Comme chaque décision est unique, l’importance accordée à chacun de ces quatre éléments varie selon la situation. Par exemple, dans un cas particulier, l’opinion des parties prenantes pourra être jugée plus essentielle que les données internes; mais dans un autre cas, ce seront les données internes et scientifiques qui mériteront le plus de considération.

Les données internes
Le professionnel en ressources humaines crédible collecte des données qui sont propres à son organisation, tels le taux de satisfaction, le taux de roulement volontaire et le taux d’absentéisme des employés. Lors de la prise de décision, ces données devraient être comparées à celles de l’industrie.

Une équipe RH qui vise à améliorer sa prise de décision utilise aussi ses données internes pour orienter sa recherche de données scientifiques. Prenons l’exemple d’une organisation aux prises avec un roulement élevé de personnel. Une analyse approfondie des indicateurs montre que le problème est lié à une unité qui emploie majoritairement des jeunes. Ensuite, en compilant les informations des entrevues de départ réalisées auprès de ce groupe, on découvre que le stress est une cause importante du roulement volontaire. Cette dernière information permet de cibler, dans la recherche de données scientifiques, les articles portant sur les principaux facteurs de stress au travail chez les jeunes et sur les stratégies permettant de le réduire.

Les données scientifiques
De nombreuses revues scientifiques se penchent sur les questions clés en gestion des ressources humaines. Ces revues présentent des données probantes sur des pratiques de sélection, de gestion de performance, de développement des compétences, etc.

En mode préventif, le professionnel en ressources humaines devrait régulièrement consulter ces écrits afin d’identifier les meilleures pratiques pour son organisation. Lorsqu’il doit réagir à une problématique particulière, il devrait les consulter pour orienter sa réflexion et ses actions. Voici quelques revues incontournables : Academy of Management Perspectives, Human Performance, Human Resource Management Review, Journal of Management, Gestion, Relations industrielles/Industrial Relations.

De plus, l’organisation peut avoir accès aux nombreuses revues spécialisées en gestion des ressources humaines en devenant membre du Center for Evidence-Based Management. Cet organisme à but non lucratif mondialement reconnu est consacré à l’amélioration de la prise de décision en organisation. Ajoutons que les outils de recherche sur Internet, par exemple Google Scholar, peuvent aider à repérer des écrits pertinents.

L’expertise en gestion
Une prise de décision de qualité exige aussi de développer ses compétences en analyse critique. Il faut entre autres :

  • se poser des questions sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas;
  • se demander pourquoi il en est ainsi;
  • explorer des solutions de rechange;
  • mettre à l’épreuve l’efficacité des décisions.

L’analyse critique est un état d’esprit à l’opposé du statu quo et de la solution facile. Pour développer cette compétence, on peut réfléchir à une décision récente. Quelles données a-t-on utilisées pour soutenir cette décision? Certaines données ont-elles eu plus d’influence que d’autres? Si oui, pourquoi? Des données importantes ont-elles été omises dans l’analyse? Pourquoi? Quels indicateurs ont été retenus pour évaluer le succès de la solution implantée? La prochaine fois qu’une telle décision sera prise, quelles devraient être les actions prioritaires, les informations clés à considérer, les choses à faire différemment?

Les parties prenantes
Enfin, une prise de décision de qualité exige de tenir compte des parties prenantes. Dans quelle mesure la solution privilégiée respecte-elle les valeurs de l’organisation? A-t-on essayé de minimiser les effets néfastes sur les principales parties prenantes? A-t-on prévu les conséquences plutôt que de réagir après coup? Que prévoit-on pour soutenir les acteurs clés du changement?

Processus de gestion intégrant les quatre éléments clés
  1. Formuler une question claire sur un problème ou un enjeu clé. Cette première étape exige une analyse des données internes et des parties prenantes afin de bien cerner la problématique.
  2. Rechercher les meilleures preuves scientifiques en lien avec la question posée et les analyser de façon critique. L’objectif est de cibler rapidement ce qui est pertinent à la situation parmi les nombreux écrits.
  3. Développer une solution qui intègre les preuves scientifiques pertinentes, les données internes et les parties prenantes.
  4. Évaluer les impacts des changements apportés.
Cas vécu : illustration de l’approche de gestion basée sur les données probantes
  1. Formuler une question claire. La haute direction d’une grande entreprise établie dans plusieurs régions au Canada a posé la question suivante à l’équipe RH : comment peut-on gérer nos employés dans un objectif de croissance de l’entreprise? Après analyse et discussion, cette question est devenue : comment peut-on stimuler l’engagement de nos employés?
  2. Rechercher les meilleures preuves scientifiques et les analyser de façon critique. Les données probantes indiquent qu’un employé peut être engagé de trois façons envers son employeur : par le cœur (j’aime cette entreprise), par la tête (je reste parce que je calcule que je perdrais trop à partir) et par l’obligation morale (je leur dois beaucoup). Elles démontrent aussi que c’est l’engagement de cœur qui a de loin le plus d’effets positifs en entreprise. De plus, elles révèlent que la clarté de rôle ainsi que les sentiments de justice et de soutien constituent les principaux leviers de l’engagement de cœur. C’est donc sur ce type d’engagement que l’entreprise a décidé de porter ses efforts.
  3. Développer une solution qui intègre les preuves scientifiques pertinentes, les données internes et les parties prenantes. L’analyse des données internes couplées aux données probantes indique les priorités d’action suivantes : optimisation des descriptions de postes, implantation d’une rémunération globale incluant un programme de reconnaissance, développement des compétences des gestionnaires afin d’augmenter le sentiment de justice et de soutien (ex. : formation sur les compétences relationnelles, l’évaluation de la performance, la fixation d’objectifs). Les employés, une partie prenante clé, seront impliqués par l’entremise de comités locaux.
  4. Évaluer les impacts des changements apportés. Une nouvelle collecte de données internes sur les leviers de l’engagement a été effectuée afin de mesurer le progrès réalisé.

Lucie Morin, CRHA, Ph. D., professeure titulaire, ESG-UQAM

Source : Effectif, volume 18, numéro 1, janvier/février/mars 2015.


Bibliographie

Rousseau, D. M. (2012). The Oxford Handbook of Evidence-Based Management. Oxford, Royaume-Uni: Oxford University Press, 460 p.

Briner, R.B., D. Denyer, D. M. Rousseau (2009). “Evidence-based Management: Concept Cleanup Time?”, Academy of Management Perspectives, November, 19-32.

Rousseau, D. M. et E.G.R. Barends (2011). “Becoming an evidence-based HR practitioner”, Human Resource Management Journal, vol. 21 (3), 221-235.

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