Ce texte est le premier de deux articles abordant des éléments de gestion essentiels en période de turbulence. L'article suivant aura pour titre Développer sa résilience en temps d'incertitude.
En période de réorganisation, fusion, acquisition, vente ou fermeture, est-il possible de maintenir un niveau de performance optimal? Intuitivement, la réponse la plus sensée à cette question est non. Ces situations créatrices d’anxiété et d’incertitudes peuvent miner le moral des troupes et mener à une baisse radicale de productivité ou à une augmentation du taux de roulement volontaire et de détresse psychologique.
Cependant, il existe plusieurs situations qui peuvent, au contraire, être des tremplins vers les records de production et le dépassement spectaculaire des indicateurs opérationnels et financiers! Voici deux exemples bien réels...
- Une entreprise manufacturière néerlandaise annonce son intention de cesser ses opérations. Le processus s’échelonne sur 29 mois. Il n’y a pas d’investissement, d’amélioration des équipements, d'ajout de main-d’œuvre ou d’actions managériales significatives pendant cette période. L'équipe de gestion fixe tout de même de hauts niveaux de productivité et d’efficacité pendant le processus de fermeture. Les employés acceptent progressivement leur sort en définissant de nouveaux objectifs de carrière suivant la fermeture tout en se détachant de l’organisation. Les objectifs opérationnels immédiats deviennent des sous-objectifs par rapport à leurs projets personnels futurs. On observe alors ce que la littérature décrit comme l’effet de fermeture (close-down effect), soit une augmentation des niveaux de productivité de l’ordre de 40 %!
- D’octobre 2010 à juillet 2012, une entreprise pharmaceutique du nord de Montréal, récemment acquise par un compétiteur, fait face à plusieurs scénarios incertains : intégration initialement envisagée, en passant par la vente totale des actifs à la fermeture du site, jusqu’à un nouveau plan de vente partielle et au maintien du tiers des emplois. Malgré ces nombreux rebondissements, la division connaît des records de production et des taux de qualité de produits jamais égalés! Grâce à des pratiques de gestion des ressources humaines innovantes et à la mise en place d’un processus et d’outils pragmatiques d’accompagnement des gestionnaires,on observe l’émergence d’une attitude résiliente et constructive.Ceci permet, entre autres, d’obtenir un haut niveau de mobilisation des employés, de stabiliser le taux de roulement et de dépasser nettement les objectifs, malgré un contexte d’incertitude intense.
Trois angles complémentaires
Ces exemples ne sont pas isolés et ils peuvent inspirer les entreprises qui vivent des expériences similaires. Pour mieux en apprécier les mécanismes implicites et en retirer des apprentissages transférables, voici un modèle simple que le professionnel en ressources humaines peut facilement expliquer et qui peut être partagé avec des collègues ou des équipes de gestion. Ce modèle intègre les éléments de gestion essentiels sur lesquels le leader d’influence doit constamment attirer l’attention des membres de l’organisation. Il se déploie selon trois angles ou dimensions complémentaires:
Modèle des éléments de gestion essentiels en période de turbulence
1. La gestion des affaires et des opérations quotidiennes
L’organisation place ses efforts sur des pratiques RH émergentes et innovantes qui canalisent l’attention sur les objectifs organisationnels, malgré l’incertitude.
Dans les périodes de turbulences, le plus grand danger, c'est d'agir avec la logique d'hier. Peter Drucker
Il existe cependant un passage obligé : immédiatement après l’annonce[s2] d’une réorganisation, fusion, acquisition, vente ou fermeture, on doit s’attendre à une abondance de sentiments et de réactions négatives. À ce moment, ou dès que le contexte s’y prête, il est primordial d’orienter les actions en fonction de :
- la clarification des conditions de travail de base (salaire, avantages,bonis de rétention, de performance ou de fin d’emploi, entente avec le syndicat le cas échéant, etc.);
- la communication d’une certaine vision (cohérente avec le contexte) tout en invitant les employés, dans la mesure du possible, à participer à sa définition (sentiment de contrôle);
- l’établissement de nouveaux objectifs à court et long termes, car les individus risquent d’agir avec des informations qui sont dépassées conduisant à des impacts négatifs; à court terme, les objectifs devraient idéalement permettre à la personne d’être auto-efficace tout en favorisant la rétroaction qui lui permettra de se focaliser sur sa propre tâche et de l’adapter au contexte; à cet effet, l’augmentation de l’autonomie et de la responsabilité des employés devrait amener un contrôle de gestion différent orienté vers le coaching et le soutien plutôt que vers la direction;
- dans un contexte d’incertitude, la rétroaction devrait être positive et continue (de l’ordre d’un commentaire constructif pour quatre commentaires positifs); si elle n’est pas équitable, qu’elle est impersonnelle et punitive, ce sera encore plus explosif dans un environnement aussi instable;
- des mécanismes de récompense et de reconnaissance adaptés devraient finalement être prévus.
2. La gestion des autres
Ce deuxième angle doit permettre de focaliser l’attention des superviseurs et des gestionnaires sur les membres de l’organisation pour favoriser la mobilisation des employés, malgré un contexte d’incertitude intense et mouvementé.Le rôle du leader d’influence est de mousser les initiatives de reconnaissance et surtout d’amener les superviseurs et les gestionnaires à récompenser les individus qui démontrent les compétences et comportements de leadership mobilisateur suivants :
- sens des responsabilités et transparence
- attitude personnelle d’apprentissage
- coaching et développement des autres
- intégrité et sens de l’éthique
- amélioration continue, disposition pour l’action et maintien de la performance
- travail en équipes multidisciplinaires et collaboration
- écoute, compassion, créateur d’espoir (sens)
La valorisation de ces comportements devient le noyau central autour duquel le leader d’influence porte son attention lors des rencontres de coaching individuel, ou en tout temps lorsque le contexte s’y prête. Combinée à la proposition d’activités RH innovantes pour soutenir es opérations quotidiennes, le professionnel en ressources humaines joue ainsi pleinement le rôle attendu par l’organisation et avance avec influence dans l’incertitude et la complexité.
Une suite à cet article abordera de manière plus détaillée la gestion de soi en s’inspirant, entre autres, de l’expérience des NavySeals.
Pour aller plus loin : suggestions de lecture
- Boyatzis, R. et A. McKee(2005). « Les nouveaux défis du leadership »,Village mondial.
- Häsänen, L., J. Hellgren et M. Hansson (2011). « Goal setting and plant closure: When bad things turn good »,Economic and Industrial Democracy, 32(1), 135-156.
Pierre Boudreault, CRHA est consultant sénior en développement des gestionnaires pour la firme IC Formation. Il est également doctorant en administration des affaires et chargé de formation en GRH et management au Centre Laurent-Beaudoin (Université de Sherbrooke). Il intervient auprès des entreprises et organisations privées et publiques. On peut le joindre par téléphone [438 863-4959] ou par courriel [pierreboudreault.crha@hotmail.ca]. Site internet : www.icformation.com