Lors d’une enquête sur une plainte pour harcèlement, une directrice des ressources humaines à qui on a demandé de décrire les processus de production de l’usine a répondu, perplexe : « Je n’en ai aucune idée », a-t-elle dit.
Après un moment de réflexion, elle a ajouté : « Vous savez, je travaille au service des ressources humaines. » Tout professionnel en gestion des ressources humaines chevronné comprend que ce manque d’intérêt déroge à deux principes essentiels : une connaissance intime des activités de l’entreprise aide le professionnel à trouver des solutions efficaces et à offrir des conseils précieux, et cette connaissance favorise la confiance et la collaboration entre les ressources humaines et les employés.
Heureusement, les exemples positifs de professionnels de la gestion des ressources humaines qui ont su retrousser leurs manches et mettre la main à la pâte pour mieux comprendre le fonctionnement de leur entreprise abondent.
Poser des questionsLouis Franzese, vice-président des relations du travail et des pratiques RH chez The Hertz Corp. à Park Ridge au New-Jersey, demande aux membres de son équipe de laver des voitures afin de se faire une idée concrète de ce que les employés vivent réellement au travail.
Afin de créer des liens avec les employés, tous les membres de l’équipe de cent personnes de monsieur Franzese doivent interviewer dix employés par mois. Ils commencent toujours par leur demander ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. En l’espace d’une semaine, les employés reçoivent une confirmation écrite des questions qu’ils ont soulevées; en moins d’un mois, ils sont informés par écrit des mesures qui ont été prises grâce à cette information.
Monsieur Franzese explique qu’en plus d’améliorer leurs relations avec les employés et les gestionnaires, cette pratique permet aux membres de son équipe d’acquérir « d’importantes connaissances, à savoir si nos gestionnaires dirigent avec efficacité, ou encore comment la planification des quarts de travail et des changements de pneus peut augmenter notre compétitivité ».
S’immerger au cœur de l’entreprise
Avant de devenir directrice du développement de l’action positive chez Ogletree Deakins à Morristown au New-Jersey, Claudia Copus a travaillé pendant plus de trente ans en gestion des ressources humaines. Elle recommande vivement aux professionnels RH de tous les niveaux de s’immerger au cœur des activités de l’entreprise.
Au début de sa carrière, elle a observé des employés du groupe des ventes et du marketing de la société. Elle a appris comment ils prenaient des rendez-vous, traitaient les dossiers et interagissaient avec les clients. L’expérience a généré de nombreuses retombées positives. « Premièrement, j’ai considérablement amélioré mes techniques de recrutement, dit-elle. Non seulement j’étais en mesure de mieux vendre le poste aux candidats intéressants, mais je pouvais aussi beaucoup mieux évaluer les chances de succès du candidat. Deuxièmement, j’étais beaucoup mieux outillée pour aider nos gestionnaires à gérer le rendement de manière à ce qu’ils puissent assurer un encadrement et une rétroaction afin d’améliorer le rendement et la responsabilisation des employés. Troisièmement, puisque j’avais gagné la confiance de nos gestionnaires, je pouvais régler les problèmes de personnel plus rapidement et de manière plus crédible. »
Plus tard, lorsqu’elle est devenue vice-présidente des ressources humaines dans une entreprise manufacturière, madame Copus s’est immergée dans les processus de production ainsi que dans les fonctions d’ingénierie, de vente, du service à la clientèle et de la comptabilité. Les connaissances qu’elle a ainsi acquises lui ont permis de diriger un projet de restructuration qui a aidé à résoudre des problèmes de cloisonnement dans deux divisions. Elle a également réussi à négocier des conditions favorables dans un contrat de travail et à réduire le coût par unité de main-d’œuvre. « Rien de tout cela n’aurait été possible si je n’avais pas investi le temps et l’effort nécessaires pour comprendre véritablement le fonctionnement de notre entreprise », conclut-elle.
« La curiosité est l’une des qualités les plus utiles que puisse posséder un professionnel des ressources humaines », affirme Ava Doman, directrice de l’administration des talents chez Providence Health & Services à Renton, dans l’État de Washington. Sa curiosité a été piquée au vif lorsqu’elle occupait le poste de directrice des ressources humaines chez un fournisseur de services de télécommunications sans fil. Tous les cadres supérieurs étaient tenus de travailler une semaine par année comme représentant commercial. « En nous mettant à leur place, nous étions à même de réellement comprendre l’entreprise, dit-elle. Nous comprenions beaucoup mieux ce que vivaient nos représentants commerciaux, les défis auxquels ils étaient confrontés et les frustrations qu’ils éprouvaient et nous pouvions utiliser cette information pour élaborer des politiques et des procédures de gestion des ressources humaines. »
Chez Providence, les membres de l’équipe de madame Doman doivent se rendre sur le terrain au moins une fois par trimestre et faire part de leurs observations. Elle explique comment ses expériences d’observation du travail des infirmières en salle d’urgence et en oncologie ont changé sa vie. « Elles m’ont donné un sens inoubliable du travail d’infirmière, que ce soit dans des situations de vie ou de mort en salle d’urgence ou lorsqu’elles s’occupaient de patients atteints de cancer. »
Madame Doman conseille aux professionnels RH de trouver un mentor. « Il peut s’agir d’une personne dans le domaine de l’exploitation, de l’ingénierie ou de la comptabilité, ou d’une personne du service des ressources humaines qui partage votre volonté de comprendre la nature réelle du travail effectué par les employés. Les gens sont flattés lorsque vous leur dites que vous aimeriez passer du temps avec eux pour mieux comprendre ce qu’ils font et pour comprendre ce que fait l’entreprise de leur point de vue », dit-elle.
Sortir de son bureau
« Ne pas prendre la peine d’apprendre ce que fait votre employeur peut coûter cher à votre carrière », prévient un cadre supérieur en ressources humaines qui a demandé à conserver l’anonymat. Il se souvient qu’il a été contraint de congédier un directeur des ressources humaines dans l’un des établissements de son entreprise, « essentiellement parce qu’il ne sortait jamais de son bureau. Le taux de roulement s’élevait à 150 %. Les recruteurs n’avaient aucune idée de ce qu’il se passait réellement au niveau de la production. Les directeurs des opérations étaient complètement aliénés. Les politiques de gestion des ressources humaines étaient élaborées en vase clos. »
Ce cadre supérieur affirme que la solution était pourtant très simple : « Sortez de votre bureau! Apprenez à connaître vos employés, comment ils s’appellent, ce qu’ils font réellement. Présentez vos politiques à des employés respectés qui comptent de nombreuses années de service avant de les mettre en œuvre. Découvrez ce qui est important pour eux. Apprenez le jargon des ateliers. Posez plein de questions. »
Renee Differding, vice-présidente des ressources humaines chez Sulzer Pumps (USA) Inc. à Brookshire au Texas, attribue en grande partie son efficacité en gestion des ressources humaines à son expérience antérieure de directrice générale de restaurant. « Cela m’a permis de comprendre que les directeurs des opérations ont d’autres priorités que nous, dit-elle. Ils ont des objectifs et sont confrontés à des problèmes et à des enjeux différents. Alors que nous nous concentrons sur les politiques, les procédures et les processus liés au personnel, leur principale préoccupation est plutôt de respecter les délais de livraison ou les coûts de production. »
« Même si vous n’avez jamais travaillé dans le domaine de l’exploitation, vous pouvez toujours acquérir des connaissances en vous promenant dans les différents services, explique-t-elle. Asseyez-vous dans le bureau d’un directeur des opérations. Posez des questions sur les descriptions de tâches des employés au sein de son service et demandez comment la formulation des descriptions correspond aux objectifs de l’entreprise. Les gens adorent partager leurs connaissances. Il suffit de leur en donner l’occasion. »
Joseph Wahl, directeur de l’emploi et du développement à la Ville de Portland en Oregon, est d’accord avec l’exhortation traditionnelle invitant les ressources humaines à « connaître les données financières ». Cependant il précise qu’« il est encore plus important d’apprendre les activités de votre employeur ». Lorsqu’il était directeur régional des ressources humaines chez McDonald et par la suite directeur des relations du travail de la division Ouest de la société, tous les employés du service des ressources humaines avaient la possibilité de suivre une formation à la Hamburger University située à Oak Brook en Illinois. « Nous y apprenions tous les rouages de l’entreprise, que ce soit la formation des équipes, la philosophie du travail et de l’emploi, le traitement, la rémunération, le marketing, et bien d’autres choses encore », explique-t-il. Ensuite, tout le monde, autant les adjoints que le premier vice-président des ressources humaines, devait travailler sur le terrain dans les restaurants de la société.
Être à l’écoute
Andrew Suchoff a occupé différents postes de spécialiste et de généraliste ainsi que ceux de vice-président directeur et de directeur général des ressources humaines chez Stream Global Services, multinationale qui compte plus de trente mille employés. Il maintient que la capacité d’un professionnel des ressources humaines à être un partenaire stratégique n’émane pas de son titre, mais plutôt de sa capacité à comprendre et à parler la langue de ses collègues. Il recommande aux professionnels qui entrent en fonction dans un nouveau poste de se concentrer sur l’écoute pendant les deux à trois premiers mois afin d’apprendre à connaître le mieux possible l’entreprise.
Lorsque monsieur Suchoff voyage dans les pays où son entreprise fait affaire, il organise des tables rondes avec les employés de tous les niveaux. Il leur demande : « Qu’est-ce qui vous retient ici? Que dois-je savoir dans mes fonctions? Qu’ont besoin de savoir mes collègues au sein de l’équipe de direction? Pouvez-vous nommer une chose que vous aimeriez que nous changions? » Les réponses des employés procurent des renseignements précieux pour faire concorder les objectifs des ressources humaines avec la croissance et la rentabilité de l’entreprise ainsi que pour voir les fonctions dans une perspective mondiale et diriger en tenant compte des sensibilités culturelles.
Andrew Suchoff insiste : une bonne compréhension de son entreprise ne doit pas se limiter à ceux qui occupent des postes de haute direction. Il se souvient qu’il a déjà accompagné les directeurs de comptes d’une entreprise pharmaceutique pour observer leurs interactions avec les clients potentiels et les clients, en combien de temps ils parvenaient à conclure une transaction, comment ils s’y prenaient et comment les différentes unités de produits abordaient le développement des affaires. Ces connaissances l’ont aidé à adapter des programmes d’encouragement à différents groupes en fonction des comportements qui nécessitaient d’être encouragés.
Ces professionnels chevronnés nous apprennent une leçon claire et simple. Peu importe ce qu’on fait, laver des voitures, observer des infirmières ou faire cuire des hamburgers, si on veut que les ressources humaines offrent une « valeur ajoutée », on doit se lancer au cœur des activités de l’entreprise et découvrir ce qui la fait réellement avancer.
Jathan Janove, Managing Shareholder – Portland (Oregon) office, Ogletree Deakins. traduit par CQRHText.
Reproduit avec la permission de la Society for human resource management (SHRM). Tous droits réservés.
Source : Effectif, volume 15, numéro 3, juin/juillet/août 2012.