Dans un monde en turbulence, le maintien et le développement des organisations reposent incontestablement sur la contribution à valeur ajoutée des personnes qui y travaillent. Les professionnels de la gestion des ressources humaines y exercent un rôle-conseil nécessaire sur les plans tant stratégique qu’opérationnel.
Au Québec, selon le Code des professions, une occupation doit satisfaire à cinq conditions pour être reconnue comme une profession :
- connaissances requises pour exercer les activités;
- autonomie dans l’exercice des activités;
- caractère personnel des rapports avec les clients;
- gravité des préjudices pouvant être subis par les clients;
- caractère confidentiel des renseignements obtenus dans l’exercice des activités.
Le professionnel qui exerce un rôle-conseil possède toujours des connaissances spécialisées. Il jouit d’une autonomie d’exercice à un degré variable mais toujours présent, même dans l’exercice d’un emploi salarié. Il entretient une relation complexe de service avec son client (le client pouvant être également l’employeur et les divers clients internes). D’après Roger Tessier (2000), le conseiller ou consultant en ressources humaines est une personne habilitée à conseiller et à intervenir en fonction d’une demande d’aide qui lui est faite dans son domaine d’expertise. Par définition, ce professionnel a derrière lui une base de connaissance et une expérience suffisantes pour avoir acquis une expertise que les autres ne possèdent pas. Il possède le bagage minimal du généraliste et maîtrise en plus un ou plusieurs champs de spécialisation. Son rôle consiste à offrir une aide en lien avec les besoins de son client (individu ou organisation). Il effectue la démarche d’intervention en suivant un processus simple qui lui permet de cerner la complexité des situations. Précisons qu’une expertise en gestion des ressources humaines ne fait pas du professionnel un expert en rôle-conseil.
Consultant externe/conseiller interneAu début, il n’y avait pas réellement de professionnels de la gestion des ressources humaines; il y avait plutôt des personnes qui accomplissaient des tâches de soutien opérationnel de la gestion du personnel.
Aujourd’hui, la complexité des diverses situations dans les organisations a augmenté. Le travail du professionnel de la gestion des ressources humaines s’est transformé en un soutien aux dirigeants et aux gestionnaires. Dans la réalisation de ses mandats, l’adéquation humain/organisation est au centre de ses préoccupations. Cette complexité se manifeste à travers la recherche d’un équilibre entre la réponse aux contingences du marché et aux aléas quotidiens du fonctionnement des organisations et le bien-être des humains qui y travaillent.
Le professionnel de la gestion des ressources humaines exerce maintenant un rôle à la fois de partenaire d’affaires, de conseiller stratégique, d’accompagnateur des gestionnaires, dans les matières où il est expert. Il doit offrir un service-conseil compétent, à la fine pointe des connaissances et dans les règles de l’art. Pour ce faire, il assume ses tâches de façon autonome et il utilise une approche-conseil. Il prend la charge de divers mandats et relève de nombreux défis inhérents à l’exercice du rôle-conseil.
Le rôle-conseil en gestion des ressources humaines peut s’exercer tant comme conseiller interne que comme consultant externe. Il demande essentiellement les mêmes compétences. La différence majeure réside dans les avantages, les inconvénients et les enjeux liés au fait que l’on soit employé par l’entreprise ou titulaire d’un contrat de services. Dans cet article, pour faciliter la lecture, nous utiliserons le terme conseiller, mais il faut toujours garder en tête que le consultant joue le même rôle-conseil.
Avantages | Inconvénients | Enjeux | |
Conseiller interne |
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Consultant externe |
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Principaux mandats : tendance dans les types d’intervention
Les professionnels de la gestion des ressources humaines peuvent être appelés à contribuer au soutien des organisations dans le cadre d’une grande variété de mandats. Par exemple, le recrutement des bonnes personnes et l’identification des besoins réels des organisations sur le plan de la planification stratégique des ressources humaines. Elles ont besoin de soutien en matière de prévention de la violence en milieu de travail. Les travailleurs recherchent une qualité de vie au travail et le marché leur permet de changer assez facilement d’emploi. La réorganisation du travail devient de plus en plus importante en raison d’une pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs. Il est essentiel de continuer de bien répondre aux besoins du marché et de les anticiper. La consolidation d’équipe est un outil de soutien et de fidélisation des employés, surtout en vue de soutenir les équipes dans leur vécu de la diversité (générations, ethnies, professions, etc.).
La notion d’enjeu est cruciale lorsqu’on est conseiller. Elle permet de synthétiser une situation complexe et d’identifier les points fondamentaux qui guideront la suite de l’analyse. Par définition, les enjeux ne sont pas nombreux. Ils correspondent à ce qu’on risque finalement de perdre ou de gagner si une intervention ou un événement se produisent. Un enjeu, c’est quelque chose qui compte pour quelqu’un. Voici quelques-uns des enjeux importants en situation de rôle-conseil.
Faire la différence entre demande et besoin
Selon Monette et Charette (1995), « …le besoin est décrit comme une exigence à satisfaire. Ce concept d’exigence nous permet de reconnaître immédiatement la caractéristique la plus fondamentale d’un besoin : le besoin révèle essentiellement un manque ou une déficience éprouvée par un ou plusieurs individus. En tant que tels, les besoins sont alors pour nous des sources de motivation pour l’action. Leur présence exige de notre part un geste, une intervention. »
La demande provient de l’analyse que le client fait du manque et de la solution qu’il envisage pour le combler. La demande ne représente pas toujours le besoin réel. Cela a pour effet que le client perçoit parfois le manque comme étant le besoin. En posant les bonnes questions, il est possible de découvrir le besoin présent sous la manifestation d’insatisfaction en lien avec la situation. Le besoin est généralement déterminé en fonction du cadre de référence du demandeur. Il est donc très important d’identifier le besoin pour offrir des services adaptés à la situation problématique. Cela peut se faire par la validation du diagnostic posé, s’il y a lieu, et cela implique d’user d’esprit critique à l’égard de la vision qui est soumise par le client.
Identifier qui est le vrai client et clarifier les objectifs
Lorsque le conseiller intervient auprès d’une ou de plusieurs personnes alors que la commande provient d’un tiers, il est pertinent de se demander qui est le client. En effet, le piège est de considérer uniquement l’un ou l’autre comme étant le client. Les deux font partie du « système-client ». L’enjeu pour le conseiller est de s’assurer de répondre aux besoins de l’organisation tout en tenant compte des particularités liées tant au demandeur qu’à celui ou ceux qui font l’objet de l’intervention. Il est important aussi de clarifier cette vision des choses auprès des acteurs concernés. De plus, cette attitude permet de s’assurer que les objectifs sont clairs pour tous et que chacun sait vers quel but on se dirige.
Évaluer si on accepte ou si on refuse un mandat
Accepter un mandat, le refuser ou s’en retirer sont une décision importante pour le conseiller. Quatre catégories de facteurs sont à prendre en considération (Roy, 2008). Il y a des éléments qui proviennent de conditions gagnantes au sein de l’organisation tels l’engagement de la haute direction, la stabilité de l’équipe de gestion, etc. Sur le plan de la situation, ce sont la clarté de la demande, ses chances de succès… Le rôle du client également… Par exemple, il est nécessaire de s’assurer que le client respecte des valeurs d’éthique, qu’il ne banalise pas l’importance du facteur humain, etc.
Enfin, il y a le conseiller. Il doit se demander s’il a les compétences et la capacité de répondre à la demande, s’il n’y a pas de conflit d’intérêts, s’il y a compatibilité avec le client, et ainsi de suite. Ce sont là quelques facteurs qui pèsent dans la balance quand il s’agit d’évaluer si on doit accepter ou non un mandat. Il est aussi important de se pencher sur la légitimité d’un mandat. Par exemple, lorsque le client cherche à utiliser l’intervention pour se livrer à un abus de pouvoir, pour satisfaire une seule personne, pour imposer sa manière de voir, ou encore lorsque le mandat risque de créer de l’iniquité…
Créer et maintenir une relation professionnelle de coopération
La relation professionnelle de coopération est l’un des éléments fondamentaux du succès d’une relation en rôle-conseil (St-Arnaud, 2003). Il est important de mesurer l’impact produit sur son interlocuteur en fonction de la réaction observée chez l’autre et d’ajuster son comportement en conséquence. Il s’agit de corriger ses erreurs en modifiant sa stratégie de communication ou son intention.
Règle 1 : créer l’intérêt commun
Chacun doit savoir créer l’intérêt commun pour obtenir une structure de relation basée sur la coopération. Lorsqu’il y a une pression significative sur l’un ou l’autre des interlocuteurs, il faut chercher et nommer un objectif vers lequel les intérêts de chacun convergent de façon à pouvoir travailler ensemble et à atteindre les objectifs communs.Règle 2 : varier les modes de communication
Varier les modes de communication permet de créer et de maintenir la relation de coopération. Il s’agit d’utiliser et d’alterner de façon systématique les quatre modes de communication : l’écoute, le questionnement pour augmenter la quantité ou la qualité de l’information, l’entretien de la relation qui donne de l’information sur la relation elle-même et la communication, ce qui active le transfert d’information vers son interlocuteur (le contenu).Règle 3 : faire le point
Chacun doit aider l’autre à faire le point. Il s’agit de prendre le temps de résumer la situation actuelle et de s’entendre sur les perceptions (résultat obtenu, moyens utilisés, relation), le résultat attendu de la rencontre, la façon de procéder pour atteindre ce résultat, ce qui inclut la responsabilité de chacun, les moyens pour y arriver et les attitudes et comportements à privilégier.Règle 4 : respecter les champs de compétence
Chacun doit s’assurer du respect des champs de compétence de l’autre. Cela consiste à définir, accepter et respecter le pouvoir de chacun soit d’autorité, d’expert ou personnel. C’est aussi reconnaître mutuellement ses limites et supprimer ou dénoncer l’ingérence de part et d’autre.Règle 5 : responsabiliser
Enfin, il faut considérer son interlocuteur comme unique et capable de faire des choix. Il s’agit de l’amener à faire des choix et à s’engager dans l’action et de s’entendre sur qui fait quoi, quand et comment.
Identifier les biais présents dans l’exercice du rôle-conseil
D’entrée de jeu, le conseiller doit comprendre la situation et les besoins qui sont présents dans la situation. Il doit être conscient des enjeux personnels et professionnels liés à sa situation de conseiller, à ses compétences, à la reconnaissance qu’il peut obtenir, etc. Il doit être conscient de ses propres valeurs et en comprendre la compatibilité avec celles de son client afin de respecter la vision et les objectifs de ce dernier. Utiliser les ressources du milieu au lieu de jouer les héros est un apprentissage nécessaire chez celui qui se dit conseiller. Plusieurs se targuent de le faire, combien le font réellement? Lorsqu’on parle d’enjeu, la notion de biais vient jouer. Le biais est dû à la présence de facteurs qui remettent en question la validité des perceptions que l’on a d’une situation. Un biais est une erreur lié à une faille dans l’interprétation de la situation, erreur qui présente un caractère relativement systématique.
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Exercer les rôles d’expert et de facilitateur selon les mandats
Selon Tessier (2000), le rôle du conseiller se situe quelque part entre le facilitateur et l’expert.
Le conseiller qui se présente comme facilitateur est essentiellement centré sur la personne ou le système-client. Le facilitateur agit en vue de déclencher et de soutenir les mécanismes d’autorégulation chez le client. Pour sa part, l’expert se concentre sur le problème du client et non sur le processus vécu par ce dernier dans la situation. Il tente de produire lui-même un éventail de solutions possibles en termes d’idées ou d’actions à entreprendre. Il influence les représentations qu’entretient le système-client (individu ou groupe) à propos d’un problème ou d’une solution de problème, ou encore d’une situation d’ensemble à modifier. L’expertise peut être utilisée à trois niveaux (diagnostic, plan d’action, exécution). Tessier précise qu’il arrive fréquemment que le client consulte une personne-ressource parce qu’elle fait figure d’expert en matière de facilitation des processus sociaux au sein de l’organisation. C’est le conseiller comme expert de la facilitation.
Dans leurs formes concrètes, la plupart des relations en situation de rôle-conseil empruntent – de façon explicite ou implicite, consciente ou inconsciente – à l’expertise et à la facilitation. Cette mixité est souvent source d’ambiguïté. La définition du rôle du conseiller peut s’avérer essentielle pour que le client sache à quoi s’attendre à propos de la façon de faire de l’intervenant.
Demeurer à la fine pointe…
Le conseiller a la responsabilité d’approfondir ses connaissances dans divers champs. Ces connaissances doivent servir non pas à dire au client comment se comporter ou à choisir à sa place, mais plutôt à l’accompagner dans les choix qu’il jugera les plus judicieux pour son organisation. Sans ces connaissances, le professionnel devient dépassé. Se tenir à jour demande une formation continue, de la polyvalence, la maîtrise du rôle-conseil, la capacité de réflexion critique sur sa propre intervention, la capacité d’apprentissage et de conserver une vision de la complexité des situations (évaluer la pertinence des interventions et de l’accompagnement) tout en sachant être en lien avec la réalité sur le terrain.
Le conseiller doit faire attention de ne pas confondre envie de « décider à la place de » et « exercer un rôle-conseil en vue de soutenir la décision ». Il est important qu’il ait une influence basée sur la capacité d’accompagner les décideurs dans la perspective d’éclairer leurs décisions à la lumière de son expertise en gestion des ressources humaines. L’individu qui cherche le pouvoir de décision ne joue pas son rôle de conseiller. Il faut de la patience et des capacités d’accompagnateur.
Le rôle-conseil évolue vers une complexité accrue et exige de s’adapter à une multitude de situations et de mandats. Pour relever ces multiples défis, le conseiller doit travailler sur lui-même comme personne et sur ses compétences. Sa capacité repose sur son aptitude à acquérir une seconde expertise, celle du rôle-conseil. Outre cette compétence, il a une bonne faculté de réflexion critique sur sa propre intervention, une capacité d’apprentissage, il conserve une vision de la complexité des situations qui lui permet d’évaluer la pertinence de ses interventions et de son accompagnement des individus, des collectifs de travail et des organisations tout en sachant être en lien avec la réalité sur le terrain.
L’avenir du rôle-conseil en gestion des ressources humaines repose donc à la fois sur la connaissance des diverses problématiques auxquelles les organisations font face, sur la capacité de gérer la complexité et sur le développement continu des compétences du conseiller, telles celles d’apprendre à apprendre et de se remettre en question.
Louise Charette, CRHA, c.o., chargée de cours, Université Laval, présidente, Multi Aspects Groupe Inc.
Source : Effectif, volume 12, numéro 2, avril/mai 2009.