Pour la première fois depuis de nombreuses années, le Québec a connu en 2006 une augmentation de son taux de natalité. En entreprise, le mini baby-boom amorcé s’est soldé par la multiplication des congés parentaux, parfois au grand dam des gestionnaires des ressources humaines, qui peinent à remplacer les absents. En dépit de la pénurie de main-d’œuvre, il existe pourtant des manières de gérer les choses harmonieusement. Regard pratique sur l’un des phénomènes de l’heure.
Au cours de sa première année d’existence, le Régime québécois d’assurance parentale a dépassé tous les objectifs prévus. En douze mois, près de 98 000 travailleurs et travailleuses d’un peu partout au Québec se sont en effet prévalus du programme de congé parental. Parmi eux, une proportion sans précédent d’hommes a bénéficié du congé de paternité de cinq semaines rendu possible par le régime. Et ça continue… Les plus récentes données statistiques rendues publiques par le gouvernement tendent effectivement à confirmer la tendance pour l’année 2007.
Bien reçus par les autorités gouvernementales, ces chiffres se traduisent toutefois, dans certains cas, en cauchemar sur le terrain. Car si le phénomène devait, à long terme, redresser la courbe démographique descendante du Québec, il n’en demeure pas moins difficile à gérer dans l’immédiat pour bon nombre d’entreprises. Consultant dans la région de Québec, Jean-Pierre Gagnon, CRIA, confirme que ce baby-boom, conjugué à la pénurie de main-d’œuvre, forme une équation qui donne parfois de puissants maux de tête aux entreprises. « Compte tenu de la rareté de la main-d’œuvre, la majorité des entreprises n’ont pas de bassin de travailleurs en réserve. Lorsqu’un congé parental survient, elles doivent donc obligatoirement se tourner vers l’extérieur et faire face à une concurrence féroce en matière de recrutement. C’est que, insiste-t-il, dans certains secteurs, le bassin de travailleurs disponibles à l’extérieur n’est pas beaucoup plus imposant que celui des personnes qui sont déjà en emploi. La relève manque cruellement. » Le vieillissement de la main-d’œuvre et les départs massifs à la retraite ajoutent également à la pression subie par les gestionnaires.
Voir venirMalgré le contexte a priori défavorable, Line Dubé, CRIA, directrice adjointe aux ressources humaines à l’Union des producteurs agricoles (UPA), est catégorique : il est tout de même possible de tirer son épingle du jeu. Le secret à son avis? Planifier pour mieux voir venir. « L’exercice de planification de la main-d’œuvre, argue-t-elle, ne sert pas uniquement à évaluer le nombre de personnes qui prendront leur retraite au cours des prochaines années. Il devrait normalement permettre d’identifier tous les postes susceptibles de perdre leur titulaire temporairement ou de façon définitive dans les mois ou années à venir. Cela inclut les absences pour congé parental. »
L’âge moyen des travailleurs et leur statut matrimonial sont autant d’indices qui permettent de prévoir d’éventuelles demandes de congé parental. Le reste découle, selon Line Dubé, du climat établi par les gestionnaires. « Les gens qui quittent leur poste pour un congé parental souhaitent généralement revenir dans l’organisation et surtout revenir dans une chaise confortable. Ils sont donc la plupart du temps disposés à bien faire les choses et à ne pas laisser les dossiers en plan. Si, en plus, le gestionnaire en place est parvenu à établir un climat de confiance et à alimenter un bon sentiment d’appartenance au sein de ses troupes, les choses sont encore plus faciles. »
À Québec, Jean-Pierre Gagnon semble observer le même phénomène et considère, lui aussi, « qu’un exercice exhaustif de planification de la main-d’œuvre peut être très aidant ». De son point de vue, le fait d’intégrer la personne remplaçante quelque temps avant le départ de la future mère ou du père est aussi gagnant, ne serait-ce que sur le plan des transferts de dossiers. De fait, l’exercice permet non seulement au remplaçant d’avoir accès aux informations de première main, mais aussi à la personne qui quitte son poste de partir la conscience tranquille. Hélas, contraintes financières et objectifs de performance obligent, il n’est pas toujours possible de réunir ainsi les conditions idéales.
Faire d’une pierre deux coupsQu’à cela ne tienne, certains moyens peuvent tout de même permettre aux gestionnaires des ressources humaines de faire face à la musique. En fait, selon Line Dubé, les plus adroits peuvent même y voir des opportunités. « Si, faute d’embaucher, on décide de transférer une partie des dossiers de la personne absente à ses collègues de travail ou à quelqu’un d’autre dans l’organisation, on leur offre du même coup une chance extraordinaire de se développer. Dans ce contexte, ça devient un facteur de motivation interne et ça augmente la mobilisation. Et en plus, c’est moins coûteux pour l’organisation et cela exige souvent une transition moins longue. »
Évidemment, les tâches imparties doivent être réalistes. Pas question de laisser quelqu’un s’enliser sous le poids des responsabilités. « Pour une personne, accepter de prendre de nouveaux dossiers, ça peut souvent vouloir dire que certaines de ses tâches habituelles devront être attribuées à d’autres, sans quoi elle s’épuisera. Il faut être attentif à cela et prévenir », précise la directrice adjointe des ressources humaines de l’UPA.
Adepte de la mobilité interne de la main-d’œuvre, Jean-Pierre Gagnon croit, lui aussi, que le fait de confier des mandats temporaires à des personnes déjà dans l’entreprise est une bonne chose. Parce que la taille des organisations ne permet pas toujours de tels arrangements, il insiste aussi cependant sur l’importance du travail en équipe. « Dans de petites organisations, explique-t-il, il est parfois impossible de changer les fonctions d’une personne pendant quelques semaines ou quelques mois. À ce moment-là, le travail en équipe et le partage des tâches entre tous sont la solution. Si, par habitude, la communication est fluide dans une organisation et que tout le personnel est au courant des choses à faire au quotidien, c’est encore mieux parce qu’il n’y aura pas de période de vide. L’équipe est en mesure de prendre le relais rapidement et les choses vont suivre leur cours. »
Ressources et tempsPar ailleurs, selon monsieur Gagnon, à défaut de relève à l’interne, le recours aux retraités récents ou aux préretraités peut également s’avérer une avenue à explorer. « Ces gens, précise-t-il, connaissent l’organisation. Ils ont de l’expérience et parfois envie de reprendre du collier, surtout si c’est temporaire. »
À l’Union des producteurs agricoles, on ne s’en cache pas, tout est fait pour maintenir les retraités dans le cercle d’activité de l’organisation, notamment pour cette raison. De l’avis de Line Dubé, certaines conditions sont toutefois incontournables. « Pour que le recours à des retraités fonctionne dans une perspective de remplacement temporaire, il faut que tout le monde y trouve son compte. En termes concrets, ça peut vouloir dire qu’il faudra revoir les tâches pour les alléger ou encore permettre le travail à temps partiel et le télétravail. »
En définitive, peu importe la solution choisie, la souplesse est de mise. Le temps imparti à la gestion d’une absence pour congé parental est aussi fondamental. Trop souvent, affirme madame Dubé, « les gens sous-estiment le temps nécessaire au transfert des dossiers. Ils se disent qu’ils auront tout le loisir de réagir plus tard et remettent les questions au lendemain. Dans les faits, insiste-t-elle, le plus tôt une solution de remplacement temporaire d’une personne sera identifiée, le mieux ce sera. » Selon elle, cette équation est d’ailleurs vraie, peu importe les moyens mis de l’avant. « Il y a, dit-elle, autant de moyens de relever le défi posé par les congés parentaux qu’il y a d’entreprises. Le besoin de temps pour mettre les choses en place, lui, est cependant universel. C’est la différence entre un congé parental serein ou non pour la personne qui s’absente et celles qui restent. »
Pour mieux revenirSi les départs en congé de maternité ou parental se gèrent, la manière dont se vivent les retours est aussi très importante. Spécialiste en gestion des ressources humaines et en programme d’aide aux employés, la firme Ceridian Canada s’intéresse de près à cette question. Dans un document intitulé La recette du succès des congés de maternité et parentaux, la firme énonce six éléments susceptibles de permettre un retour au travail réussi.
La sensibilisation et la formation des cadres
Selon l’entreprise, les cadres doivent savoir comment interagir avec les employés en congé parental. Il est notamment suggéré de procéder à une réunion avec l’employé avant son départ pour s’entendre sur la fréquence des contacts souhaités pendant le congé. Souhaite-t-il participer à la fête de Noël, maintenir son implication dans le comité social, etc. ?
Une politique de travail souple
Travail à temps partiel, retour progressif, télétravail, voilà autant d’options qui méritent d’être évaluées. À ce chapitre, perdre un employé peut s’avérer beaucoup plus coûteux pour une organisation que de faire preuve de souplesse à son égard.
Des programmes de consultation, de ressources et d’information en matière de vie personnelle et professionnelle
Accessibles avant, pendant et après le congé, ces programmes permettent aux employés d’être plus productifs et moins stressés. Ils donnent accès à des consultants, à des ressources reconnues ou aux coordonnées des services communautaires appropriés au problème éprouvé.
Des programmes d’aide aux employés
Alliés de tous les jours, les programmes d’aide aux employés peuvent être des bouées de sauvetage efficaces pour les nouveaux parents déchirés entre leurs rôles d’éducateur et de travailleur.
Des ateliers sur le rôle de parent et des formations au travail
Une occasion unique de favoriser les contacts entre des collègues qui vivent des situations similaires et d’apprendre des trucs qui favoriseront un meilleur équilibre travail/famille.
Des programmes de garde de dépannage
Parce que personne n’est à l’abri d’une garderie en grève ou d’une gardienne d’enfants malade.
Guylaine Boucher, journaliste indépendante
Source : Effectif, volume 11, numéro 1, janvier/février/mars 2008.