Titre provocateur? Pas du tout! C’est en fait ce que pourraient dire un très grand nombre de leaders d’entreprise. Pris dans des réalités d’affaires de plus en plus difficiles et complexes, les gestionnaires de toute provenance – ventes, production, marketing, technologies de l’information, opérations – ne rêvent pas souvent de « problématiques RH ».
Dans son livre The World Is Flat, Thomas Friedman parle de la concurrence internationale, des opérations globales et de la diversité grandissante et nécessaire de la force de travail comme une abondance de possibilités. On peut être d’accord assez facilement sur le plan global et conceptuel, mais au quotidien, ce n’est pas toujours rose pour les gestionnaires. Il suffit de penser à ceux qui étaient concernés par la commercialisation des jouets fabriqués en Chine, en pleine période des Fêtes ! De fait, les super puissances incluses dans l’acronyme BRIC – pour Brésil, Russie, Inde et Chine – présentent de grandes possibilités d’affaires, mais aussi de si grandes menaces. Cette réalité locale et globale peut certes garder éveillés bien des gestionnaires.
Et les services des ressources humaines ne sont pas à l’abri de cette réalité d’affaires. Tout au contraire, il faut la saisir, la comprendre et surtout s’aligner sur elle et sur les besoins qu’elle génère chez les gestionnaires. Dans une étude publiée par IBM intitulée How Human Resources keeps its seat at the table, les auteurs citent quatre priorités pour les services des ressources humaines de l’avenir :
- comprendre l’impact de la globalisation et des changements démographiques sur la disponibilité des talents;
- comprendre les facteurs de fidélisation des employés de l’organisation et mettre en place des stratégies pour conserver les employés, surtout les plus performants;
- à partir de la stratégie d’entreprise, déterminer les besoins en capital humain, autant en termes de compétences que de nombre d’employés requis;
- équilibrer l’offre et la demande de talent de façon dynamique entre les unités administratives.
Ce qui ressort de ces quatre priorités, c’est le regard vers l’extérieur (globalisation et changements démographiques) et l’alignement sur la stratégie d’affaires. L’approche de Banque de développement du Canada décrite dans un autre article de ce même numéro illustre bien ce fait. La stratégie de développement des leaders est bien ancrée dans la réalité d’affaires et démographique de BDC. Et la stratégie de gestion des ressources humaines fait partie intégrante de la stratégie d’entreprise.
Le fondement : le profil des leadersÀ la base de presque tous les systèmes de gestion des ressources humaines se trouve le profil requis des personnes qui occupent les divers postes. Ce profil, aussi appelé profil à succès, profil de compétences ou capacité en leadership, doit être précis et fondé sur la réalité d’affaires de l’entreprise. Il s’agit ici d’un moment de vérité pour les spécialistes en ressources humaines… Dans un excellent article intitulé Building a Leadership Brand paru en juillet 2007 dans la Harvard Business Review, Ulrich et Smallwood expriment la nécessité de se coller à la perception des clients de l’entreprise afin d’élaborer le profil des leaders. Apple doit sa réputation à sa capacité de design et d’innovation et ses leaders sont reconnus pour leur capacité à créer de nouveaux produits et à dépasser les normes de l’industrie. Si Wall-Mart est renommée pour ses prix les plus bas, ses leaders sont quant à eux reconnus pour gérer les coûts très efficacement.
Attention au profil de compétences générique, vite identifié, vite implanté, mais sans impact véritable. Une approche « vanille » produira un leadership à l’avenant et non relié à la réalité d’affaires de l’organisation. Un résultat sans goût! Il devient nécessaire de bien déterminer les attentes des acteurs principaux tant internes qu’externes.
Le tableau 1 illustre la démarche à suivre pour bien saisir les différentes composantes qui influent sur le profil des leaders. Vince Molinaro, l’un des coauteurs du livre Leadership Solutions, explique la nécessité de tenir compte de l’environnement et de la stratégie d’affaires actuels qui sous-tendent le profil des leaders. Mais il faut aller plus loin que la situation actuelle; par des conversations avec les dirigeants de l’entreprise sur les changements attendus dans l’environnement et la stratégie d’affaires, un nouveau profil devrait être déterminé. Les réalités d’affaires internes et externes, actuelles et futures, seront les ingrédients qui permettront d’établir un profil de leadership adapté à la réalité de l’entreprise d’aujourd’hui et de demain.
De multiples moments de véritéPour se tenir en forme, il faut être constant, une visite annuelle au gym ne suffit pas… Il en va de même si on veut tenir compte de la réalité d’affaires de l’organisation. Une fois le profil des leaders bien établi, le trajet ne fait que commencer. Voici quelques pratiques exemplaires reliées aux divers systèmes de gestion des ressources humaines, qui permettront d’intégrer la réalité d’affaires de façon constante.
Le recrutement
Il est fortement recommandé d’utiliser le profil de l’organisation et ses succès afin d’attirer les candidats. Rien de neuf sous le soleil, dira-t-on. Ce qui est nouveau, c’est de penser comme des experts en marketing afin d’attirer les candidats. Quel est le profil type de la personne à recruter à un poste de leader, d’analyste financier, de vendeur, d’assembleur ou autres? Qu’est-ce qui attire cette personne, qu’est-ce qui la motive, qu’est-ce qu’elle lit ou écoute? Une fois ce profil bien saisi, l’adaptation des messages de recrutement est une nécessité. Le « one size fits all » n’est plus tendance! Donc, les caractéristiques de l’entreprise, de la culture, du poste à pourvoir, les possibilités de développement devront être mises de l’avant en accord avec le profil du candidat type. Il faut penser marketing et demander aux collègues de marketing d’appliquer leur expertise au processus de recrutement. Ce geste fera du professionnel de la gestion des ressources humaines une personne plus orientée vers les affaires.
La sélection
Dans l’évaluation des candidats internes ou externes, le profil de compétences établi de la façon décrite plus haut garantira un lien avec la réalité d’affaires. En évaluation, la règle d’or souvent oubliée est « plus de science et moins de chance ». Les outils d’évaluation psychométriques ont beaucoup évolué dans les dernières années. Ils sont peu coûteux, rapides d’utilisation et ont une meilleure validité prédictive des performances au travail, à condition de disposer des bons outils et, surtout, de mesurer ce qui compte vraiment pour l’entreprise.
La gestion de la performance
La gestion de la performance est, et de loin, le meilleur système pour soutenir la stratégie d’affaires de l’entreprise. La raison d’être première de ce système est de permettre la descente en cascade des stratégies et objectifs d’affaires à tous les niveaux de l’entreprise. Il permet également un alignement des compétences et comportements nécessaires à l’atteinte des objectifs. Une telle utilisation du système de gestion de la performance lui donne un aspect « business » très fort. Mettre l’accent sur la revue de performance ne fait que créer de l’anxiété chez tous et diminue fortement le lien avec les objectifs d’affaires. En fait, le système de gestion de la performance permet à chaque leader et à chaque employé de traduire « dans leurs propres mots » les stratégies et objectifs d’affaires de l’entreprise et de chaque unité administrative.
La formation
Les solutions de formation doivent-elles être fondées sur les besoins de développement de chaque leader? Non! Les solutions de formation, comme toute action de développement, doivent se trouver à la jonction des objectifs et besoins de l’organisation, de l’unité administrative et des besoins individuels. Si Apple veut rester Apple, sa stratégie, ses objectifs d’affaires et son image de marque doivent peser lourd dans l’identification des besoins de développement de ses leaders. Il en va de même pour des entreprises bien de chez nous, telles que Desjardins, Metro, Pratt & Whitney et BDC, qui ont bâti avec les années une image de marque forte et reconnaissable auprès de leurs clients. Parmi les conseils offerts par Ulrich et Smallwood sur le développement de la marque de leadership, on retrouve les trois suivants : s’assurer que les leaders s’approprient les attentes les plus importantes des acteurs externes, tels que les clients et les investisseurs, évaluer les leaders selon les perspectives externes de l’entreprise (ce que l’entreprise veut être pour ses clients) et, finalement, offrir des formations en leadership qui permettront aux leaders de répondre aux attentes des clients et investisseurs. Une autre belle occasion pour les services des ressources humaines de s’aligner sur les objectifs d’affaires.
La rémunération
On dira souvent de façon un peu exagérée, mais avec un réel fond de vérité, que le portefeuille gouverne les comportements. Ce constat est particulièrement vrai pour les postes de gestion avec une bonne part de rémunération variable. La rémunération variable doit s’aligner sur les objectifs d’affaires. Ce que ne fait pas une entreprise qui souhaite améliorer la qualité du service et le suivi après-vente, mais qui relie la rémunération variable uniquement à l’augmentation des ventes pour faciliter le suivi des résultats. On peut facilement dresser la liste des multiples facteurs qui influencent les comportements, comme l’affinité motivationnelle avec le poste, le climat organisationnel, les comportements du patron, etc. Mais il ne faut pas se conter d’histoires, les comportements de bon nombre de leaders et de professionnels sont influencés par l’argent. Aligner la rémunération sur les stratégies et objectifs d’affaires que l’entreprise veut particulièrement promouvoir n’est pas un luxe, mais une nécessité.
Les stratégies d’affaires sont élaborées selon le contexte externe, global, national et local, en accord avec les besoins des clients actuels et potentiels. Le succès de la mise en œuvre des stratégies repose grandement sur la conformité des actions de chaque unité et service avec la stratégie d’affaires. Pour les services des ressources humaines, c’est une nécessité, un moment de vérité.
Thomas Friedman raconte que sa mère lui disait lorsqu’il était jeune : « finis ton repas, il y a des gens en Chine qui se meurent de faim ». Aujourd’hui, il dit à ses filles : « finissez vos devoirs, il y a des gens en Chine et en Inde qui se meurent d’envie de prendre nos emplois! »
Jocelyn Bérard, CRHA, M.Ps. MBA, vice-président exécutif, leadership et solutions d’affaires, Nexient
Source : Effectif, volume 11, numéro 1, janvier/février/mars 2008.