Vous lisez : L'ABC d'une politique réussie

Un an après l’entrée en vigueur des dispositions relatives au harcèlement psychologique en milieu de travail, bon nombre d’entreprises tardent encore à se munir d’une politique en bonne et due forme. Heureusement, d’autres l’ont fait, traçant ainsi la voie à suivre.

Jacques Provencher, CRIA, est avocat et partenaire au sein du cabinet Le Corre & Associés. Comme d’autres spécialistes des ressources humaines, il a consacré une bonne partie de la dernière année à l’élaboration de politiques contre le harcèlement psychologique au travail pour ses clients. Un mouvement qui ne semble d’ailleurs pas sur le point de s’essouffler. « Au cours de la première année d’application de la loi, explique-t-il, une certaine partie de la clientèle, surtout les petites entreprises, n’a pas pris l’obligation de se doter d’une politique très au sérieux. Avec les dossiers qui commencent à aller en audition et les quelque 2700 plaintes reçues à la Commission des normes du travail, les choses tendent cependant à changer et plusieurs devraient bientôt se mettre au travail. »

Bien qu’ils aient eu tort de tarder à se conformer à la loi, selon Jacques Provencher, les retardataires peuvent toutefois bénéficier d’un avantage notable, celui de pouvoir s’inspirer du travail fait par les autres. Même s’il n’y a aucune recette toute faite quand il est question de ressources humaines, il est cependant possible de déterminer quelques éléments incontournables de toute politique contre le harcèlement psychologique. L’expérience de la dernière année aidant, ces composantes s’imposent d’ailleurs de plus en plus clairement, d’après Marie-Josée Douville, CRIA, consultante-formatrice chez Drolet, Douville et Associés. « Avant qu’une politique ne soit utilisée, il est difficile de voir quels sont ses manques et ses limites. Un an après la mise en vigueur de la loi, les problèmes ou les zones litigieuses commencent cependant à émerger », précise-t-elle.

Noir sur blanc
Dans de nombreux cas, la définition faite du harcèlement psychologique a, par exemple, causé une certaine confusion. « Parce que la définition du harcèlement psychologique inscrite dans la loi laissait place à la perception, explique Marie-Josée Douville, les gens ont eu tendance à l’adapter. Ils souhaitaient ainsi la rendre plus claire, mais dans les faits, ils ont compliqué les choses. » À son avis, il est préférable de s’en tenir à la définition officielle, quitte « à ajouter des exemples de comportements non conformes pour rendre les choses plus précises ».

Sur le plan de l’intervention, Jacques Provencher a quant à lui relevé la pertinence d’inclure l’ensemble des recours possibles dans la politique. « Trop souvent, déplore-t-il, les gens ont tendance à limiter la politique au dépôt de la plainte et à son traitement. Dans la réalité, le dépôt d’une plainte est la démarche ultime. D’autres actions peuvent être posées avant d’en venir là; par exemple, l’obligation pour l’employé de faire savoir au harceleur que les gestes posés sont inacceptables ou encore de demander l’intervention du superviseur pour clarifier les choses. Il faut inclure ces actions dans la politique. »

Avocate et enquêteur, Isabelle Cantin, CRHA, a par ailleurs constaté de visu l’importance de pouvoir compter sur une politique claire qui aborde le processus d’enquête. « Qu’ils soient plaignants, personnes mises en cause ou témoins, les gens sont souvent craintifs et nerveux quand vient le temps de collaborer à une enquête interne. Il est donc très important de donner, par écrit, le maximum d’informations possible sur le déroulement des procédures dans la politique. Qui fait quoi, comment, dans quel ordre sont autant de questions auxquelles la politique devrait répondre. Il est aussi très important de préciser – compte tenu des obligations prévues dans la loi – que l’employeur se réserve le droit d’intervenir s’il a des motifs raisonnables de croire que la politique a été violée, et ce, même en l’absence de plainte ou, le cas échéant, même si l’employé décide de retirer sa plainte. Trop peu de gens en sont conscients. »

De l’avis de Me Cantin, il est aussi primordial d’inclure certaines mesures postenquête. « Le processus ne se termine pas avec l’enquête. Ultimement, une décision est prise. Une bonne politique devrait donc non seulement préciser à qui le rapport d’enquête sera remis, mais aussi réaffirmer le fait que seul l’employeur peut décider des mesures à prendre en cas de harcèlement psychologique. Cela permet notamment d’éviter les cas où le plaignant veut lui-même déterminer la mesure à prendre, que ce soit le congédiement ou tout autre mesure disciplinaire ou administrative. » Les sanctions possibles doivent d’ailleurs, selon Marie-Josée Douville, figurer dans la politique, tout comme les solutions susceptibles de dénouer une impasse, que ce soit une simple formation ou encore l’accès à un coach.

Chose certaine, insiste Me Cantin, plus l’information inscrite dans la politique est claire, mieux les choses risquent de se dérouler. Il faut, dans la mesure du possible, tout prévoir. À son avis, même la règle de confidentialité inhérente au processus d’enquête doit être expliquée et nuancée, notamment pour s’assurer que les employés comprennent bien que, malgré le respect de cette règle, il se peut que certaines informations obtenues dans le cadre du dépôt d’une plainte et de son traitement soient communiquées à des tiers, dans la mesure toutefois où cela est « nécessaire » à l’enquête.

Les incontournables
Quelques éléments doivent apparaître dans toute politique contre le harcèlement psychologique, peu importe la taille de l’entreprise dans laquelle elle sera appliquée. Voici quelques-unes des questions auxquelles une bonne politique doit répondre :
  • Qu’est-ce que le harcèlement?
  • À qui s’adresse la politique?
  • Quels sont les recours possibles lorsque quelqu’un se croit victime de harcèlement psychologique?
  • Quelles sont les responsabilités de chacun : employeur, superviseur, personne-ressource, employé, syndicat, enquêteur, etc.?
  • Comment doit-on procéder pour déposer une plainte? Verbalement? Par écrit?
  • Quel traitement sera réservé aux plaintes : processus, délais, etc.?
  • Comment se déroule l’enquête?
  • À qui sera remis le rapport d’enquête?
  • Quelles sont les sanctions possibles?
  • Qui décidera ultimement des sanctions à appliquer en cas de harcèlement?
Depuis juin 2004…
  • 2700 plaintes pour harcèlement psychologique ont été déposées à la Commission des normes du travail;
  • un peu plus de la moitié sont toujours en traitement;
  • 36 % des plaintes déposées ont mené à une entente;
  • 9 plaintes sur 10 étaient en lien avec une conduite vexatoire répétée;
  • 8 fois sur 10, une personne en autorité était mise en cause;
  • 6 plaintes sur 10 sont déposées par les femmes;
  • la plus grande proportion de plaintes reçues (24 %) émane du secteur du commerce de gros et de détail.

Communiquer et sensibiliser
Par ailleurs, par-delà le document écrit, il ne faut pas perdre de vue, selon Jacques Provencher, que la mise en place d’une politique contre le harcèlement est d’abord et avant tout un imposant exercice de communication. C’est que, explique-t-il, « la politique n’est pas qu’une page de plus dans un manuel de procédures. C’est un document vivant qui doit périodiquement être rappelé aux employés ».

Poussant la réflexion plus loin, Isabelle Cantin considère pour sa part que « toute politique contre le harcèlement exige une formation ». Or, déplore-t-elle, « dans certaines entreprises, la formation a été insuffisante ou carrément absente ». Ayant fait le même constat, Marie-Josée Douville en appelle à la mobilisation des dirigeants. « Une politique contre le harcèlement commande un engagement clair de la part de la direction. Les dirigeants doivent expliquer aux gens pourquoi c’est important, à quoi ils s’attendent et à l’intérieur de quoi tout cela s’insère. Un employeur ne peut pas espérer avoir rempli sa part du contrat seulement en produisant une politique et en la laissant dans le tiroir. »

Rencontres avec les employés, publication de communiqués d’information, affichage répété sur les lieux de travail, plusieurs moyens sont à la disposition des employeurs pour faire connaître leur position à l’égard du harcèlement psychologique. Pour Marie-Josée Douville, les expériences vécues sur le terrain depuis un an tendent d’ailleurs à démontrer que tous ont avantage à être exploités.

Du point de vue de Jacques Provencher, tout est question de dosage et d’adaptation au milieu. « On ne peut pas prendre une politique déjà existante et l’appliquer dans une entreprise sans s’être demandé, au préalable, si elle convient à la réalité de la boîte. Cela reviendrait à se doter d’une politique qu’on ne pourra jamais mettre de l’avant. La même règle s’applique quand vient le temps de communiquer avec les employés. Chaque entreprise a sa culture et sa façon de diffuser l’information. Ce n’est pas parce qu’il est question de harcèlement que les choses sont différentes. »

Le problème, soutient Marie-Josée Douville, c’est que, quand vient le temps de parler de harcèlement, tout le monde marche sur des œufs. « Les gens ont peur d’être mal interprétés, de susciter le doute ou encore des plaintes. Pourtant, l’expérience de la dernière année a démontré que ce n’est pas parce qu’on parle de harcèlement que les choses se mettent à déraper. En fait, c’est plutôt le contraire. Il faut en parler, se donner le droit d’évaluer les outils et les moyens qui sont en place et les ajuster si on a éprouvé des difficultés particulières. C’est la clé. »

Guylaine Boucher, journaliste indépendante

Source : Effectif, Volume 8, numéro 5, novembre/décembre 2005
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