Vous lisez : Obligation de l’employeur d’agir de bonne foi à l’endroit du salarié (2 de 2)

Dans un article publié récemment, il a été question de l’obligation de l’employeur d’agir selon les exigences de la bonne foi, laquelle est prévue aux articles 6, 7 et 1375 C.C.Q., et ce, à l’occasion d’une cessation d’emploi. L’auteure nous propose ici un aperçu d’autres situations étant survenues dans un contexte différent et mettant en cause un exercice abusif des droits de la direction.

Rappelons que la Cour suprême, dans Wallace c. United Grain Growers Ltd[1], a traité de l’obligation de bonne foi et de traitement équitable de l’employeur. Elle s’exprime ainsi : «  […] dans le cadre d’un congédiement, les employeurs doivent être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables. » (paragr. 98)

Voici maintenant quelques exemples issus de la jurisprudence québécoise illustrant la conduite fautive de l’employeur à l’occasion de l’exercice de ses droits de direction.

Réduction d’une commission

Picard c. Canon Canada inc. (C.S., 2014-09-30), 2014 QCCS 4677, SOQUIJ AZ-51112694, 2014EXP-3331, 2014EXPT-1937, J.E. 2014-1887, D.T.E. 2014T-743

 

Puisque l’employeur savait, avant de le conclure, que le contrat en cause allait être déficitaire et qu’il a omis d’en aviser son représentant aux ventes, sa décision de réduire la commission payable à ce dernier est contraire à son obligation d’agir de bonne foi.

Le Tribunal s’est dit d’avis que, dans un contexte où l’employeur a laissé travailler le salarié à la conclusion d’un contrat voué dès le départ à être largement déficitaire, sans l’en aviser, celui-ci a volontairement trompé le salarié et a abusé de sa confiance.

Le Tribunal ajoute que, en exerçant de façon aléatoire et unilatérale le pouvoir discrétionnaire prévu au contrat liant les parties, l’employeur a contrevenu à son obligation d’agir de bonne foi. Il a donc été tenu de verser la commission réclamée.

Procédure disciplinaire

Commission scolaire crie c. Association des employés du Nord québécois (CSQ), (T.A., 2015-11-24), 2015 QCTA 943, SOQUIJ AZ-51234254, 2016EXPT-157, D.T.E. 2016T-48

L’employeur, une commission scolaire, a abusé de ses droits de direction en remettant à une enseignante, à la fin de l’année scolaire, un avis de convocation à une rencontre disciplinaire pour le début de l’année suivante, et ce, sans préciser les faits reprochés.

Même si la convention collective ne prévoit pas qu’une mesure disciplinaire doive être imposée dans un délai précis, une démarche d’enquête disciplinaire doit être réalisée à l’intérieur d’un délai raisonnable.

Cette situation de stress pendant toute la période estivale a causé à la salariée un préjudice moral ayant entraîné des dommages non pécuniaires. Aucun dommage punitif ne peut cependant être accordé puisque l’employeur n’a pas agi avec l’intention de lui nuire.

Directive de travail

Les Services ambulanciers Porlier c. Fraternité des travailleurs et travailleuses du préhospitalier du Québec, section locale 592 (FTQ), (T.A., 2017-01-18), 2017 QCTA 36, SOQUIJ AZ-51359415, 2017EXPT-493

L’employeur, qui exploite une entreprise de transport ambulancier, a exercé ses droits de direction de façon abusive en apostrophant de façon brutale et grossière les salariés présents à la caserne, auxquels il a donné un ordre légitime d’exécuter une tâche, mais de manière draconienne et empreinte d’agressivité.

Même si l’ordre donné est légitime et qu’il s’appuie sur la convention collective, ce droit n’a pas été exercé de bonne foi. L’employeur doit poursuivre une fin légitime et l’exercer avec mesure, sinon avec civilité, en conformité aux normes morales généralement reconnues dans notre société.

Ici, la manière dont l’autorité patronale a été exercée prend assise sur la colère et le besoin brut d’affirmer une autorité.

Enquête de l’employeur, suspension provisoire, rumeurs

Commission scolaire Marie-Victorin c. Charbonneau (C.S., 2015-12-16), 2015 QCCS 5926, SOQUIJ AZ-51239124, 2016EXP-749, 2016EXPT-431, J.E. 2016-377, D.T.E. 2016T-164

Une commission scolaire, qui a suspendu sans solde un technicien en éducation spécialisée à la suite d’accusations criminelles de voies de fait contre un élève et sous lesquelles il a été acquitté, doit lui payer des dommages moraux de 18 000 $, en plus de lui rembourser le salaire dont il a été privé pendant la période (5 ans) où il a été suspendu.

L’arbitre de griefs a retenu que, puisqu’il s’agissait de la façon dont la Commission scolaire s’acquitte de sa mission à l’école, elle devait faire enquête afin de décider si le plaignant avait commis une faute lourde la fondant à le laisser répondre seul de ses gestes devant les tribunaux et à évaluer ensuite la sanction appropriée, le cas échéant, à l’égard de ses manquements.

Cette obligation s’appuie, selon l’arbitre, sur les articles 3 et 2087 C.C.Q., sur l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne[2] ainsi que sur une clause de la convention collective. Il s’agit de dispositions qui visent les droits au respect de la réputation et de la vie privée d’une personne et qui créent des obligations à l’employeur de protéger la santé, la sécurité et la dignité de ses salariés.

Ici, le seul fait d’avoir laissé circuler une allégation invraisemblable de séquestration est un manquement à l’article 2087 C.C.Q., relativement à l’obligation de l’employeur de protéger le droit du salarié à sa réputation et à sa dignité. L’employeur a également manqué à son obligation de loyauté.

La Commission scolaire s’est abstenue de vérifier les faits, a agi précipitamment en suspendant le plaignant et s’est retranchée derrière l’entente multisectorielle afin d’afficher sa neutralité.

Gestion du retour au travail à la suite d’une invalidité

Unifor, SNEAA, section locale 1937 c. Rio Tinto (Alcan) (usines du Complexe Jonquière), (T.A., 2015-11-30), 2015 QCTA 949, SOQUIJ AZ-51234583, 2016EXPT-298, D.T.E. 2016T-115

Le congédiement imposé à un mécanicien dans une aluminerie à la suite de son refus de signer un projet d’entente selon lequel il devait entreprendre une thérapie visant la guérison de sa dépression aux conditions fixées par l’employeur est annulé; l’employeur savait à l’avance que cet employé refuserait de se soumettre à une telle entente.

L’employeur a suivi la démarche administrative habituelle, sans se soucier des avis médicaux selon lesquels il devait tenir une rencontre préalable à toute thérapie afin de calmer les sentiments d’injustice vécus par le plaignant.

L’employeur n’a pas agi de façon prudente et diligente ni dans un esprit de loyauté, et il n’a pas fait preuve d’équité. Il ne s’agit pas d’un réel accommodement, et il a cherché à imposer son autorité par ce projet d’entente qui avait l’allure d’un contrat d’adhésion.

Conclusion

Voilà qui termine ce survol de quelques décisions récentes où le comportement de l’employeur a été jugé comme répréhensible en ce qui concerne cette obligation d’agir selon les exigences de la bonne foi à laquelle il est tenu. Rappelons-le, à cette obligation s’ajoutent celles de prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié, codifiées à l’article 2087 C.C.Q. Enfin, dans ce genre de situations, il est fréquent que certains droits fondamentaux soient invoqués, notamment le droit à l’intégrité de la personne, le droit à la dignité et le droit à la vie privée, prévus respectivement aux articles 1, 4, 5 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Source : VigieRT, avril 2017.

1 (C.S. Can., 1997-10-30), SOQUIJ AZ-97111106, J.E. 97-2111, D.T.E. 97T-1327, [1997] 3 R.C.S. 701.
2 RLRQ, c. C-12.

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