Si l’obligation de loyauté du salarié est précisément édictée à l’article 2088 du Code civil du Québec (C.C.Q.), la réciproque, soit celle à laquelle serait tenu l’employeur à l’égard de son salarié, ne se trouve pas inscrite parmi les obligations de l’employeur nommément codifiées à l’article 2087 C.C.Q. On trouve une réflexion sur cette obligation de loyauté de l’employeur dans la doctrine et, à l’occasion, elle est mentionnée dans la jurisprudence[1].
En fait, l’obligation de loyauté de l’employeur semble plutôt être un concept rattaché à celle qu’il a de protéger la dignité du salarié prévue à l’article 2087 C.C.Q. et à l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne[2] ainsi qu’à l’obligation d’agir selon les exigences de la bonne foi applicable autant au salarié qu’à l’employeur, laquelle est d’ordre public et exprimée aux articles 6, 7 et 1375 C.C.Q. À ces dispositions, on pourrait également ajouter l’article 5 de la Charte, qui vise le droit au respect de la vie privée.
Comme l’obligation de l’employeur d’agir selon les exigences de la bonne foi et de traiter équitablement le salarié trouve écho dans une variété de situations en relations du travail, je vous propose un survol de la jurisprudence, présenté en deux parties. La première, qui fait l’objet du présent article, illustre des cas de manquements de l’employeur à cette obligation qui sont survenus uniquement à l’occasion de congédiements ou d’autres cessations d’emploi. La seconde partie recense des situations différentes d’exercice abusif des droits de la direction, notamment à l’occasion du retour au travail du salarié, du suivi de la procédure disciplinaire ou de la défense des droits du salarié à l’égard de tiers.
Congédiement
Wallace c. United Grain Growers Ltd. (C.S. Can., 1997-10-30), SOQUIJ AZ-97111106, J.E. 97-2111, D.T.E. 97T-1327, [1997] 3 R.C.S. 701
Même si cette décision ne provient pas à l’origine du Québec, elle a été citée et appliquée au Québec par la Cour d’appel[3]. La Cour suprême s’est exprimée ainsi au sujet de l’obligation de bonne foi et de traitement équitable de l’employeur : « […] dans le cadre d’un congédiement, les employeurs doivent être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables. » (paragr. 98)
La Cour suprême a rappelé qu’il était admis depuis longtemps que le salarié congédié n’avait pas droit à l’indemnisation des préjudices découlant du congédiement lui-même. Par contre, la conduite fautive de l’employeur dans la façon dont la cessation d’emploi a été effectuée, si celle-ci entraîne chez le salarié de l’humiliation, de l’embarras ou encore une perte d’estime de soi ou de la conscience de sa propre valeur, permettra l’attribution d’une indemnité additionnelle.
Le préjudice moral peut donner droit à une indemnisation au moyen d’un ajout à la période de préavis.
Voici maintenant des exemples récents issus de la jurisprudence québécoise illustrant des manquements de l’employeur à son obligation d’agir de bonne foi à l’occasion d’une cessation d’emploi[4], lesquels ont donné lieu à l’attribution d’une telle indemnité.
Kugler c. IBM Canada Limited (C.S., 2016-12-21), 2016 QCCS 6576, SOQUIJ AZ-51357236, 2017EXP-541, 2017EXPT-279
Le salarié, qui occupait un poste de cadre supérieur, a droit à la somme de 10 000 $ pour compenser la nature abusive des circonstances entourant son licenciement, en plus d’un délai congé.
Dans cette gestion fautive du licenciement, il y a lieu de retenir : (i) le refus de fournir une assistance à l’emploi à moins que le salarié ne signe une quittance; (ii) l’omission de préciser l’étendue de la clause de non-concurrence en dépit de nombreuses demandes du salarié à cet effet; (iii) l’omission de verser rapidement l’indemnité établie à la Loi sur les normes du travail[5]; (iv) le refus de verser un délai- congé dont il n’a jamais nié l’exigibilité; et (v) l’exigence d’une quittance dont les termes sont inutiles et contraires à l’article 2092 C.C.Q.
Blais c. Aéroport de Québec inc. (C.S., 2016-04-01), 2016 QCCS 1563, SOQUIJ AZ-51276188, 2016EXP-1493, 2016EXPT-885, J.E. 2016-813, D.T.E. 2016T-342
La manière dont l’employeur a congédié son directeur des finances constituant une faute civile, il est condamné à verser à celui-ci la somme de 20 000 $ pour compenser le préjudice moral ainsi que les inconvénients subis[6].
Un simple appel téléphonique, alors que le salarié est en congé et n’est aucunement préparé à recevoir la nouvelle de son congédiement, ne correspond pas à une conduite acceptable. Le salarié, qui a ensuite été placé en arrêt de travail, a subi un préjudice excédant celui qui découle normalement d’un congédiement.
Perreault c. Paquette (C.S., 2016-02-03 [jugement rectifié le 2016-02-05]), 2016 QCCS 407, SOQUIJ AZ-51251385, 2016EXP-909, 2016EXPT-514, J.E. 2016-472, D.T.E. 2016T-192
Le préavis, donné alors que la salariée devait continuer à travailler, était suffisant, et aucune faute civile donnant droit à des dommages-intérêts n’a été commise par l’employeur.
L’employeur ne s’est pas prévalu du droit que lui confère l’article 2091 C.C.Q. de façon abusive en ne négociant pas le départ immédiat de la salariée avec compensation financière.
Congédiement d’un salarié en période de probation
Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Ménard (C.A., 2005-04-29), 2005 QCCA 440, SOQUIJ AZ-50310939, J.E. 2005-918, D.T.E. 2005T-453, [2005] R.J.Q. 1025, [2005] R.J.D.T. 672
Un salarié en période de probation a le droit d’être traité équitablement par son employeur. Cela vaut tant pour celui qui bénéficie d’une permanence d’emploi que pour celui qui y aspire.
Les exigences de la bonne foi en matière contractuelle, contenues aux articles 6 et 7 C.C.Q., lesquelles sont des règles d’ordre public, font partie du contenu obligatoire implicite de toute convention collective.
Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre de santé et de services sociaux Bordeaux—Cartierville—St-Laurent (T.A., 2014-04-08), 2014 QCTA 297, SOQUIJ AZ-51064397, 2014EXPT-1172, D.T.E. 2014T-433
Pour être qualifié d’abusif au sens des articles 6, 7 et 1375 C.C.Q., le comportement de l’employeur doit dépasser le manque de prudence et de diligence.
Toutefois, il ne peut mettre fin à l’emploi d’un salarié en période de probation sans motif réel, qui doit donc être examiné en tenant compte du rendement ou du comportement requis pour l’emploi.
Union des employées et employés de service, section locale 800 et Limocar Estrie inc. (T.A., 2015-05-19), 2015 QCTA 385, SOQUIJ AZ-51177211, 2015EXPT-1100, D.T.E. 2015T-419
Dans l’évaluation du rendement d’une conductrice d’autobus en période de probation, l’employeur a abusé de ses droits de direction en faisant preuve de laxisme. Son congédiement est annulé, et elle est réintégrée dans son emploi.
Retrait de contrat
Signature service d’entretien et Union des employées et employés de service, section locale 800 (T.A., 2015-11-10), 2015 QCTA 1049, SOQUIJ AZ-51248053, 2016EXPT-341, D.T.E. 2016T-132
L’employeur, qui exploite une entreprise offrant des services d’entretien ménager commercial et qui était tenu de retirer une concierge de son poste quand son client le lui a demandé, doit verser à cette dernière 2 000 $ à titre de dommages moraux et une indemnité pour perte de salaire découlant de son attitude désinvolte.
En vertu de son devoir de loyauté, l’employeur aurait dû se porter à la défense de la salariée. D’ailleurs, il n’avait rien à lui reprocher. Il ne lui a pas donné les motifs de sa suspension, l’a gardée dans l’ignorance et lui a manqué de respect.
Conclusion
Il faut souligner que l’article 1375 C.C.Q. édicte que l’obligation d’agir selon les exigences de la bonne foi est présente tant à la naissance du contrat de travail que pendant son exécution et à son extinction. Cette obligation s’applique tant à l’employeur qu’au salarié.
Ce billet a traité de l’obligation de l’employeur d’agir selon les exigences de la bonne foi à l’occasion d’une cessation d’emploi. Dans un autre billet, l’auteure aborde d’autres situations, mettant en cause un exercice abusif des droits de la direction (retour au travail du salarié, suivi de la procédure disciplinaire, défense des droits du salarié à l’égard de tiers).
Source : VigieRT, avril 2017.
1 | Collège Mont-Notre-Dame de Sherbrooke inc.c.Monette(C.S., 1996-07-11), SOQUIJ AZ-96029063, D.T.E. 96T-1032;Michaudc.Fédération des caisses populaires Desjardins du Bas-St-Laurent(C.S., 2002-01-30), SOQUIJ AZ-50113635, J.E. 2002-477, D.T.E. 2002T-239;Signature service d’entretien et Union des employées et employés de service, section locale 800(T.A., 2015-11-10), 2015 QCTA 1049, SOQUIJ AZ-51248053, 2016EXPT-341, D.T.E. 2016T-132;Commission scolaire Marie-Victorinc.Charbonneau(C.S., 2015-12-16), 2015 QCCS 5926, SOQUIJ AZ-51239124, 2016EXP-749, 2016EXPT-431, J.E. 2016-377, D.T.E. 2016T-164. |
2 | RLRQ, c. C-12. |
3 | Bristol-Myers Squibb Canada inc.c.Legros(C.A., 2005-01-31), 2005 QCCA 48, SOQUIJ AZ-50291804, J.E. 2005-370, D.T.E. 2005T-176, [2005] R.J.Q. 383, [2005] R.J.D.T. 28;Aksichc.Canadian Pacific Railway(C.A., 2006-07-12 [jugement rectifié le 2006-08-25]), 2006 QCCA 931, SOQUIJ AZ-50382956, J.E. 2006-1480, D.T.E. 2006T-679, [2006] R.J.D.T. 997. |
4 | Picardc.Canon Canada inc.(C.S., 2014-09-30), 2014 QCCS 4677, SOQUIJ AZ-51112694, 2014EXP-3331, 2014EXPT-1937, J.E. 2014-1887, D.T.E. 2014T-743;Tessonc.GVE Global Vision inc.(C.S., 2016-04-22), 2016 QCCS 1862, SOQUIJ AZ-51280954, 2016EXP-1817, 2016EXPT-1057, J.E. 2016-1003, D.T.E. 2016T-410; Déclaration d’appel, 2016-05-24 (C.A.), 500-09-026097-162. |
5 | RLRQ, c. N-1.1. |
6 | Voir aussiPaquette et Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux), (C.F.P., 2016-06-16), 2016 QCCFP 14, SOQUIJ AZ-51297747, 2016EXPT-1704, D.T.E. 2016T-719 où une fonctionnaire provinciale s’est vue accorder 5000$;Structures Lamerain inc.c.Meloche(C.A., 2015-03-16), 2015 QCCA 476, SOQUIJ AZ-51158668, 2015EXP-1042, 2015EXPT-570, J.E. 2015-562, D.T.E. 2015T-226. |