Vous lisez : Le plan de performance : un outil délicat

Les gestionnaires de ressources humaines sont, à bien des égards, astreints aux mêmes exigences que leurs collègues qui gèrent les autres ressources nécessaires au bon fonctionnement d’une organisation. Tous les gestionnaires doivent s’assurer du rendement sinon d’une bonne performance des ressources dont ils sont responsables.

Les gestionnaires de ressources humaines ont plusieurs défis dans leur pratique quotidienne auxquels ne font pas nécessairement face leurs collègues. En effet, les ressources matérielles ou financières ne prennent pas de congé de maladie, ne passent pas à travers une séparation ou un divorce ou n’ont pas à concilier le travail et la famille. Nous pourrions évidemment multiplier ces exemples qui ne visent évidemment pas à mettre en doute les droits des employés à ces égards.

Les gestionnaires de ressources humaines ont également la responsabilité, comme leurs collègues, de quantifier les résultats de leur gestion et doivent, par conséquent, mesurer la performance des ressources dont ils ont la responsabilité. Voilà donc une tâche qui n’est pas facile considérant les aspects subjectifs et qualitatifs entrant en ligne de compte dans l’évaluation du personnel. Il faut donc bien sûr mesurer les résultats, mais également promouvoir l’atteinte de ceux-ci et il y a plusieurs façons, que celles-ci soient incitatives ou coercitives, de les atteindre.

Que doit faire, par exemple, le gestionnaire de ressources humaines qui reçoit des appels de ses collègues responsables des opérations se plaignant de la performance de certains membres de l’équipe et exigeant des changements sans délai? Quel gestionnaire des ressources humaines n’a jamais reçu de tels appels?

Les employés syndiqués ou ceux bénéficiant d’un recours statutaire à l’encontre d’un congédiement sans cause juste et suffisante sont généralement protégés contre une exigence immédiate de changement, à moins bien sûr d’un cas d’incompétence grossière, chaque cas devant être évalué à sa juste valeur.

Les cas de faible performance sont généralement moins évidents et découlent d’un ensemble de faits et d’une accumulation d’événements. Alors, comment gérer ces cas difficiles? Un plan de performance est l’outil de prédilection en pareil cas, car le congédiement d’un employé incompétent ou démontrant une faible performance n’ayant pas « bénéficié » d’un tel plan risque fort d’être invalidé par un arbitre de griefs ou la Commission des relations du travail, le cas échéant, ou de ne pas être considéré comme un motif sérieux en vertu de l’article 2094 du Code civil du Québec.

Le plan
Les éléments qui doivent apparaître dans le plan sont bien connus. L’établissement d’un plan avec l’employé au rendement déficient doit être précédé d’une mise au point sur l’ensemble de son travail. En effet, cette mise en contexte en établit non seulement l’à-propos, mais elle permettra aussi à un tribunal d’apprécier les lacunes de l’employé, la tolérance et la patience de l’employeur et la nécessité du plan. De plus, il est de mise d’expliquer clairement à l’employé que son rendement est sous la norme si on le compare à ses collègues.

C’est une décision arbitrale[1] rendue en Colombie-Britannique qui est, en quelque sorte, la pierre d’assise des critères reconnus aujourd’hui en matière de plan de performance. Elle est aussi essentiellement reprise en jurisprudence québécoise[2], en voici les critères :

« (…)

- Le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;

- Ses lacunes lui ont été signalées;

- Il a obtenu le soutien nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;

- Il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;

- Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part. »

Les auteurs Bernier, Blanchet, Granosik et Séguin cités par un arbitre[3] considèrent qu’il y a plutôt six critères :

  • « le salarié doit connaître les attentes de son employeur;
  • son rendement doit être significativement insatisfaisant par rapport à celui des autres employés;
  • il doit avoir été avisé que son rendement est insatisfaisant;
  • il doit avoir bénéficié de l’aide et du soutien nécessaire afin de corriger la situation;
  • il doit avoir été prévenu des conséquences d’une absence d’amélioration sur la relation d’emploi;
  • la décision de l’employeur doit avoir été prise de bonne foi; »

Comme le critère de bonne foi est implicite, il devrait être un guide pour l’employeur et non un élément qui doit apparaître dans le plan. La bonne foi est présumée et l’on n’a pas à déclarer ceci dans un plan de performance. Toutefois, il est primordial d’en préciser la durée avant que la sanction du congédiement soit appliquée.

La grille applicable n’est donc pas particulièrement complexe. Le défi réside dans la rédaction du plan, c’est-à-dire, plus particulièrement, dans l’expression la plus précise possible des objectifs mesurables à atteindre, des règles à suivre ou à respecter et des paramètres qui seront utilisés pour quantifier les résultats. En d’autres mots, il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur les attentes exprimées et les résultats qui doivent être obtenus dans des délais raisonnables, et ce, à l’aide d’un support défini et disponible. Bien entendu, les conséquences d’un échec doivent être limpides.

Certains employeurs ont amèrement regretté leur absence de rigueur à cet égard. Ainsi, dans une décision de la Commission des relations du travail[4] saisie d’une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, le commissaire tenait les propos suivants :

« [87] Pendant la courte période de janvier 1999 au congédiement, le plaignant a travaillé principalement à partir de son domicile. À l’audience, l’intimée lui reproche le lieu de travail qu’il s’est emménagé. Des témoins ont aussi été entendus. Mais voici que le plaignant déclare que son patron ne lui a “absolument pas“ imposé de travailler au bureau. On ne peut dès lors lui faire un reproche sur le choix du lieu de son travail. Tel que dit plus haut, en rapport avec une pratique établie, l’employeur peut modifier l’emplacement du lieu de travail de son employé, mais il doit prévenir ce dernier de sa décision dans un délai raisonnable.

SES LACUNES LUI ONT ÉTÉ SIGNALÉES

[88] On semble lui reprocher de méconnaître l’outil qu’est, par exemple, le Six-Sigma. Quant à l’état des connaissances des employés, il ne semble pas que l’intimée ait signalé au plaignant des failles de sa part. Denis Charrette a élaboré une esquisse, en prévision de la deuxième étape d’un Six-Sigma, et les propositions qu’il a faites à ce sujet à son employeur sont restées lettre morte.

IL A OBTENU LE SUPPORT NÉCESSAIRE POUR SE CORRIGER ET ATTEINDRE SES OBJECTIFS

[89] Ce n’est pas ce que croit le plaignant qui affirme plutôt avoir demandé de l’aide pour solutionner des problèmes de finances, ce qui lui fut carrément refusé; cette demande d’aide visait DominicTalalla, récemment muté sous l’autorité de Earl Howell. »

(nos soulignés)

Ces lacunes, dans l’expression des attentes de l’employeur, furent fatales, et la plainte de congédiement sans cause juste et suffisante fut accueillie.

Dans une autre affaire semblable de congédiement de nature administrative, le commissaire accueille la plainte parce que l’employeur a manqué de rigueur non seulement dans l’application du plan de performance, mais de toute évidence dans sa rédaction :

« [33] De toute évidence, White House n’a pas respecté ici ces obligations, surtout en ce qui concerne les trois dernières. Aucune preuve d’un support quelconque n’a été présentée. Il est vrai que Lou Lapointe a affirmé que le plaignant avait bénéficié de toute la formation voulue, cependant, il n’a pas précisé la nature et la teneur de la formation qui aurait été dispensée. Il s’est contenté d’affirmer qu’à la hauteur des achats effectués par l’entreprise, on obtient toute l’aide voulue, mais il n’a pas de preuve que le plaignant a bénéficié d’une aide quelconque.

[34] On ne peut affirmer non plus que le plaignant a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster, les avis étant silencieux à ce sujet. De même, le plaignant n’a jamais été prévenu du risque de congédiement, sa surprise lors de la réception de la lettre de congédiement en témoigne.

[35] Quoi qu’il en soit, la preuve de White House portant sur l’incompétence du plaignant est insuffisante pour justifier son congédiement. Cette preuve ne repose que sur les allégations de quatre témoins qui sont contredites par le plaignant.

[36] La seule preuve matérielle qui a été produite, les échantillons, ne permettait pas de conclure que le plaignant commettait des erreurs puisque ces échantillons n’ont pas été faits par lui.

[37] White House avait le fardeau d’établir par preuve prépondérante, non seulement l’incompétence du plaignant, mais aussi qu’elle lui avait souligné ses lacunes et permis d’y remédier. Cette preuve ne fut pas faite[5]. »

(nos soulignés)

Dans une décision rendue en vertu des mêmes dispositions de la Loi sur les normes du travail, cette fois l’année dernière, l’employeur subit le même sort après avoir omis d’offrir la formation que le plan prévoyait[6] :

« [71] Quant au critère qui porte sur le support que l’employeur devait fournir afin que le plaignant atteigne ses objectifs, il n’est pas rencontré du moins en ce qui concerne le développement des affaires et le plan d’affaires que le plaignant devait réaliser.

(…)

[74] La Commission rappelle que le plaignant est un ingénieur de formation. Il a été embauché pour concevoir des dessins d’échangeurs d’air et, du jour au lendemain, l’employeur exige de lui qu’il joue un rôle actif en marketing sans lui offrir de soutien et de formation. Répéter à un salarié qu’il est un professionnel et qu’il devrait savoir quoi faire, ce n’est pas offrir un soutien à son salarié au sens de la jurisprudence. »

(nos soulignés)

Finalement, dans une décision rendue au début de l’année[7] dans une affaire similaire, l’employeur avait commis l’erreur de ne pas donner un délai raisonnable à l’employé, compte tenu des circonstances, pour s’amender :

« 105] Quant au PAP, le plaignant n’a pas eu un délai raisonnable pour apporter les correctifs demandés. L’employeur ne lui accorde qu’un délai de 30 jours, malgré le fait que le formulaire du PAP indique que le délai varie de 60 à 180 jours. Étant donné le volume et la complexité des responsabilités du plaignant, la Commission estime qu’un délai de 30 jours est déraisonnable pour atteindre le genre d’attentes exigées par le PAP.

[106] De plus, Philippe Barre est parfaitement conscient que le plaignant avait déjà réservé une semaine de vacances pendant cette période de 30 jours; il n’aura donc que trois semaines pour corriger ses manquements.

(…)

[109] Finalement, l’employeur n’attend même pas la fin des 30 jours, ce qu’il avait établi comme délai, selon le PAP, avant de décider de congédier le plaignant; Philippe Barre et AmatoDellaVecchia admettent que c’est le 29 août donc, seulement deux semaines après que la décision est prise! »

(nos soulignés)

L’analyse de ces décisions confirme, en conclusion, qu’une grande rigueur doit être utilisée dans la rédaction du plan de performance qui doit respecter les critères établis par la jurisprudence. En outre, le plan doit être adapté aux faits particuliers de chaque situation. Par exemple, le délai peut varier énormément selon le type de poste occupé par l’employé. L’utilisation de « modèle » sans discernement peut donc s’avérer désastreuse.

Une fois cette étape franchie, celle de l’application est tout aussi exigeante. Le gestionnaire des ressources humaines a tout intérêt à suivre de près et à mesurer l’avancement du plan avec l’employé concerné. Il devrait documenter méticuleusement ses interventions, car il est manifeste qu’à défaut d’un redressement, les risques d’un litige sont élevés. Si le plan est mal rédigé ou si son application est déficiente, l’employeur risque d’en payer le prix!

Pour obtenir des renseignements sur le cabinet ou pour consulter ses publications, cliquez ici.

Source : VigieRT, janvier 2013.


1 Re Édith Cavell Private Hospital and Hospital Employees’ Union Local 180, (1982), 6 L.A.C. (3d) 229 (B.C.).
2 Costco Wholesale Canada ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788.
3 Les Entreprises Atlas et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 2995 et Gilles Gagnon, AZ-50434222.
4 Denis Charrette c. Générale électrique du Canada inc., 2004 QCCRT 0441
5 André Vézina c. Graphiques White House inc., AZ-50466193.
6 Francisco Xavier Gonzalez c. Armstrong Hunt inc., AZ-50807305.
7 Claude Legault c. Smurfit-Stone Container Canada, L.P./Rocktenn-Container Canada, L.P., AZ-50841598.
Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie