Vous lisez : Certaines dispositions de la Loi sur l’équité salariale déclarées invalides

Depuis son entrée en vigueur en novembre 1996, la Loi sur l’équité salariale[1] (LÉS) a subi plusieurs modifications, notamment en ce qui a trait aux employeurs assujettis, aux obligations incombant à ces derniers ou encore aux délais applicables pour la réalisation de ces mêmes obligations.

Or, le 22 janvier dernier, la Cour supérieure a fait droit à la demande de plusieurs associations syndicales exigeant l’annulation de certaines dispositions de la Loi touchant notamment les obligations des employeurs eu égard au maintien de l’équité salariale. La Cour supérieure a en effet déclaré que certaines de ces dispositions, entrées en vigueur en mai 2009, sont discriminatoires et par conséquent invalides, inapplicables et inopérantes.

Bref historique
Selon la LÉS, les employeurs doivent : « …. corriger les écarts salariaux dus à la discrimination systémique fondée sur le sexe à l’égard des personnes qui occupent des emplois dans des catégories d’emplois à prédominance féminine »[2] dans leur entreprise.

Pour corriger les écarts salariaux et atteindre l’équité salariale, les employeurs comptant plus de 10 salariés au moment de l’adoption de la Loi devaient déterminer les ajustements salariaux requis pour atteindre l’équité salariale alors que les employeurs de plus de 50 salariés devaient élaborer un programme d’équité salariale. Dans tous les cas, les catégories d’emplois à prédominance féminine devaient être comparées aux catégories d’emplois à prédominance masculine de valeur équivalente. Un délai de quatre ans suivant l’entrée en vigueur de la LÉS était accordé aux employeurs pour se soumettre à la Loi et réaliser l’équité salariale dans leur organisation, soit au plus tard le 21 novembre 2001.

À défaut d’avoir réalisé l’exercice d’équité salariale dans ce délai, les employeurs étaient néanmoins tenus de réaliser l’exercice d’équité salariale en utilisant les données existantes le 21 novembre 2001, et les ajustements salariaux dus, les cas échéants, étaient rétroactifs à cette date.

De plus, les employeurs assujettis devaient s’assurer de maintenir l’équité salariale dans leur entreprise une fois l’exercice d’équité salariale complété. Cet exercice doit se faire en continu puisque la LÉS impose à l’employeur de s’assurer que l’équité salariale est maintenue lors de changements tels que lors de la création de nouveaux emplois ou de nouvelles catégories d’emplois, de modifications aux emplois existants ou aux conditions qui leur sont applicables, de la négociation ou du renouvellement d’une convention collective.

Le cas échéant, l’employeur doit verser les ajustements salariaux requis aux employés de la catégorie d’emploi à prédominance féminine affectée à compter de la date du changement et ces ajustements salariaux portent intérêt au taux légal à compter du moment où ils auraient dû être versés.

Modifications de 2009
Au printemps 2009, afin de favoriser et de faciliter l’atteinte de l’équité salariale et son maintien dans toutes les entreprises, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité la Loi modifiant la Loi sur l’équité salariale[3]. Cette loi, entrée en vigueur le 28 mai 2009, imposait à tous les employeurs déjà assujettis à la LÉS, mais n’ayant pas encore réalisé l’équité salariale, la réalisation de cet exercice avant le 31 décembre 2010.

L’un des principaux objectifs de la Loi modifiant la Loi sur l’équité salariale était également d’encadrer les obligations des employeurs à l’égard du maintien de l’équité salariale. En effet, constatant les nombreuses difficultés d’application découlant de l’obligation pour les employeurs de maintenir l’équité salariale en continu, c’est-à-dire d’évaluer le maintien lors de tout changement susceptible d’affecter l’équité salariale dans l’entreprise et de procéder aux ajustements salariaux requis à compter de la date de tels changements, le législateur a décidé d’abroger les dispositions antérieures et de les remplacer par de nouvelles qui instauraient le principe d’une évaluation périodique du maintien de l’équité salariale.

L’article 76.1 de la LÉS prévoyait désormais qu’une fois le programme d’équité salariale complété, l’évaluation et les affichages afférents au maintien devaient être effectués tous les cinq ans.

Les ajustements salariaux dus s’appliquaient à compter de la date de l’affichage, et ce, sans rétroactivité[4].

Jugement de la Cour supérieure
Lors d’audiences devant la Cour supérieure, plusieurs associations syndicales ont soutenu que les nouvelles dispositions de la Loi sur l’équité salariale établissant que le maintien se ferait désormais aux cinq ans violaient le droit à l’égalité des femmes au travail et contrevenaient tant à la Charte canadienne des droits et libertés[5] qu’à la Charte des droits et libertés de la personne[6].

Dans le cadre de son jugement, la Cour supérieure a analysé de façon approfondie les origines et les objectifs de la LÉS. Elle a étudié également les motifs au soutien des modifications apportées à la LÉS en matière de maintien, soit les difficultés d’applications pratiques d’une obligation de maintien en continu.

La Cour a considéré, dans un premier temps, que le fait d’abroger la méthode de maintien en continu au profit de la méthode de la périodicité fait partie des choix que le législateur pouvait retenir et n’a pas d’effet discriminatoire.

Toutefois, elle était d’avis que l’article 76.5 prévoyant l’obligation de payer les ajustements salariaux sans possibilité de rétroactivité est une source de discrimination inacceptable fondée sur le sexe. Elle a souligné que les pertes salariales possibles en raison de l’obligation de payer rétroactivement ne sont pas négligeables.

En conséquence, la Cour a considéré que l’article 76.3 de la LÉS encadrant le contenu de l’affichage devrait également être modifié afin de prévoir la date du ou des changements survenus puisque cette information constitue à son avis « la clé qui permet à ce dernier de faire valoir ses droits. »

La Cour a donc considéré que les nouveaux articles de la LÉS (art. 76.3 et 76.5) laissent persister des relents de discrimination systémique que la Loi sur l’équité salariale devait éliminer. Cela heurte, de l’avis de la Cour, les acquis sociaux considérés comme fondamentaux.

La Cour a donc déclaré invalides, inapplicables, inopérants et sans effet les articles 76.3 et 76.5 de la Loi sur l’équité salariale. Toutefois, elle a suspendu la déclaration d’invalidité, d’inapplicabilité et d’inopérabilité pour une période d’un an ou jusqu’au moment où le législateur remédiera à la situation.

Conclusion
Ce jugement aura un impact certain sur les obligations des employeurs en matière de maintien de l’équité salariale dans leurs entreprises respectives.

Bien que l’article 76.1 consacrant le principe de l’évaluation périodique ne soit pas invalidé, il n’en demeure pas moins que, en déclarant que l’absence de rétroactivité est une source de discrimination fondée sur le sexe, la Cour supérieure a rétabli, en quelque sorte, l’obligation de maintien de l’équité salariale en continu.

Ce jugement fera sans doute l’objet d’une analyse attentive de la part de chacune des parties intéressées et l’une ou plusieurs d’entre elles devraient porter le jugement en appel. Au moment d’écrire ces lignes, aucune demande n’a été introduite, mais les délais pour ce faire ne sont pas encore expirés.

Mise à jour : Le 21 février 2014, le Ministre de la Justice et Procureur général du Québec, M. Bertrand St-Arnaud, a déposé une inscription en appel du jugement rendu le 22 janvier 2014 par la Cour supérieure portant sur des modifications apportées en 2009 à la Loi sur l’équité salariale.

Source : VigieRT, mars 2014.


1 L.R.Q., E-12.001.
2 Art. 1, LÉS.
3 L.Q. 2009, c. 9 (projet de loi 25).
4 76.5 de la LÉS.
5 L.R.C. (1985), App. II, no 44.
6 L.R.Q., c. C -12.
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