Vous lisez : L’équité salariale revue et corrigée

Le droit à l’équité salariale est un principe enchâssé dans la Charte des droits et libertés de la personne. Toutefois, pour mieux garantir son application, le gouvernement du Québec a adopté, en 1996, la Loi sur l’équité salariale qui oblige toutes les entreprises qui comptent dix employés et plus au Québec à établir un programme d’équité salariale.

L’objectif : s’assurer que les emplois à prédominance féminine ne soient pas moins rémunérés que les emplois à prédominance masculine de même valeur.

Les entreprises visées par la Loi avaient jusqu’au 21 novembre 2001 pour implanter un programme d’équité salariale, apporter, le cas échéant, les ajustements salariaux requis et informer les employés au moyen des affichages prévus par la Loi. Elles devaient, par la suite, maintenir l’équité salariale au sein de l’organisation.

Or, selon le Rapport du ministre du Travail sur la mise en œuvre de l’équité salariale déposé en novembre 2006, environ 50 % des entreprises ne s’étaient pas conformées à leur obligation, et ce, dix ans après l’entrée en vigueur de la Loi et cinq ans après l’échéance fixée.

Un tel taux de non-conformité constituait du « jamais vu » et le législateur a pris sur lui de corriger la situation ; pour ce faire, il a décidé de modifier la loi d’origine en y alliant souplesse, pour encourager les entreprises à compléter l’exercice, et rigueur, pour s’assurer que ce soit fait et de la bonne façon.

Une entreprise ardue

De l’intention…
L’intention du législateur, en 1995–1996, était claire : obliger les organisations à s’assurer du respect du principe d’équité salariale à l’égard des personnes occupant des emplois à prédominance féminine. Pour actualiser le principe, le législateur a cru bon d’aller plus loin et a décrit en quelque sorte un « passage obligé » pour se conformer à la Loi.

Il est clair, toutefois, que l’intention du législateur n’était pas de dicter la façon dont les organisations devaient gérer la rémunération de leurs employés. Encore aujourd’hui, la lecture de la Loi permet de saisir que les gestionnaires ont encore beaucoup de latitude dans leurs façons de l’appliquer, pour autant que les principes soient respectés.

ERREUR FRÉQUEMMENT ENTENDUE… L’équité salariale ne se négocie pas, mais il faut conserver l’harmonie.

…à la réalisation
Dans bien des cas, les entreprises se sont tournées vers des tiers (consultants, avocats, Commission de l’équité salariale), en quête d’une recette, d’un mécanisme, d’une formule qui permettrait de s’acquitter de cette obligation en un tournemain.

Or, c’est souvent dans ces mécanismes ou recettes que les organisations se sont égarées et qu’elles ont même corrompu, à l’occasion, l’intention de départ du législateur, qui était simplement de s’assurer que les emplois féminins ne sont pas moins bien rémunérés que les emplois masculins de même valeur. C’est également dans l’application de ces recettes et mécanismes que les entreprises ont pris des orientations, en gestion des ressources humaines et en rémunération, qui ont engendré des situations difficiles à gérer dans l’avenir : inversion dans la hiérarchie des emplois, complexité de calcul de la rémunération globale, contraintes à la négociation.

ERREUR FRÉQUEMMENT ENTENDUE… Il faut utiliser la méthode d’estimation des écarts qui produit les plus grands ajustements ou qui produit des ajustements pour le plus grand nombre de femmes.

Dans bien des cas donc, on a suivi une recette et on s’est trouvé contraint d’accepter le résultat. On a suivi un itinéraire, sans d’abord définir la destination… En d’autres mots, l’intention a été oubliée au profit de la mécanique. On a trop souvent conclu que les écarts de rémunération constatés étaient ipso facto des écarts de discrimination salariale. On a également accepté des rangements inappropriés et on a créé des écarts de rémunération à l’encontre de catégories d’emplois masculins. Ainsi, après avoir réalisé l’équité pour corriger la rémunération des emplois à prédominance féminine, on a dû revoir la rémunération d’emplois masculins au nom de l’équité… interne.

À cause de la façon dont, dans bien des cas, la Loi a été interprétée et appliquée, on lui a imputé des vices qu’elle n’avait pas. La souplesse recherchée et préconisée par le ministre du Travail était donc bienvenue.

ERREUR FRÉQUEMMENT ENTENDUE… Nous ne pouvons pas faire l’équité salariale à cause de la récession.

La nouvelle Loi
Il y a dans la nouvelle Loi une volonté clairement exprimée de lui redonner une impulsion pour amener l’ensemble des entreprises à s’y conformer, sous les angles annoncés de la souplesse et de la rigueur.

ERREUR FRÉQUEMMENT ENTENDUE… Un programme qui ne génère pas d’ajustement d’équité salariale, ce n’est pas un programme d’équité salariale.

Souplesse…
  • La nouvelle loi donne jusqu’au 31 décembre 2010 pour faire ce qui, à l’origine, devait être complété avant le 21 novembre 2001. Ce délai est accordé sans imposer de pénalité, si ce n’est de la perte du privilège d’étalement des ajustements pour les organisations qui n’avaient pas, au 12 mars 2009, amorcé leur exercice d’équité salariale (c’est une façon de ne pas créer d’antagonisme avec les entreprises qui avaient amorcé ou complété leur démarche).
     
  • Il est permis d’utiliser des méthodes alternatives d’estimation des écarts salariaux, mais avec l’autorisation préalable de la Commission de l’équité salariale.
     
  • Il est donné à la notion de salaire étoilé (red circle) ou salaire hors échelle une définition beaucoup plus compatible avec la façon dont les entreprises traitent les cas de rétrogradation. On s’est inspiré d’une notion de même nature dans la Loi sur les normes du travail.
     
  • Un comité consultatif paritaire peut être créé. Il est constitué de représentants d’employeurs et de représentants d’employés.
     
  • La mission de ce comité des partenaires est d’aider la Commission à définir les avenues les plus propices à l’interprétation et à la mise en vigueur de la Loi.
     
  • Un statut formel est donné au processus de conciliation pour éviter une trop grande judiciarisation; le caractère confidentiel du processus de conciliation est garanti.
     
  • De façon générale, comme dans la loi d’origine, les organisations bénéficient d’une très grande latitude pour ce qui est de la façon de maintenir l’équité salariale. La Loi n’oblige à utiliser ni les outils ni les méthodes d’origine ou encore à vivre avec les aberrations que ces outils et méthodes auraient pu créer.

ERREUR FRÉQUEMMENT ENTENDUE… Cela n’a pas de bon sens que « telle fonction » n’ait pas d’ajustement, car cette même fonction a reçu des ajustements ailleurs sur le marché.

…et rigueur
  • Il est maintenu que les ajustements de salaire, découlant de l’exercice d’équité, ont un effet rétroactif au 21 novembre 2001, avec intérêt au taux légal.
     
  • Il est obligatoire de faire annuellement une déclaration au Registre des entreprises du Québec indiquant que l’entreprise s’est conformée à la Loi (exercice réalisé et équité salariale maintenue) pour assurer un meilleur suivi.
     
  • Le maintien de l’équité salariale doit être évalué tous les cinq ans et un avis aux employés doit être affiché.
     
  • Un budget plus important est donné à la Commission pour lui permettre de promouvoir, de former et de suivre davantage.
     
  • Le droit de la Commission de l’équité salariale de faire des enquêtes de sa propre initiative est maintenu.

ERREUR FRÉQUEMMENT ENTENDUE… Nous ne pouvons pas établir l’équité, parce que cela coûterait trop cher.

L’évaluation du maintien de l’équité
On constate que la nouvelle Loi est pratiquement muette sur la façon d’évaluer le maintien de l’équité salariale. Cela n’a rien d’étonnant. Il faut y voir l’intention du législateur, dès 1996, de laisser aux gestionnaires des ressources humaines, dont la plupart sont membres d’un ordre professionnel, le soin de faire les choses. Si le législateur avait voulu qu’il en soit autrement, on peut présumer qu’il l’aurait précisé.

Il serait donc malheureux que les gestionnaires renoncent à cette souplesse, pourtant si chère, au profit de formules mécaniques.

Retenons que la Loi a pour unique objectif de corriger les écarts qui seraient dus à la discrimination systémique et non pas de réglementer la gestion des ressources humaines, en général, et de la rémunération, en particulier.

ERREUR FRÉQUEMMENT ENTENDUE… En équité salariale, on ne peut pas regrouper les emplois en classes salariales.

C’est quand même majeur…
On aura beau épiloguer sur les divers aspects de la Loi, sur sa souplesse et sur sa rigueur, il n’en demeure pas moins que les ajustements d’équité salariale auront un effet rétroactif de près de dix ans. C’est donc dire que, pour les organisations qui n’ont pas réalisé ou terminé leur démarche en vue d’établir l’équité, la difficulté ne fait qu’augmenter au fur et à mesure que le temps passe; les problèmes sont particulièrement importants dans les organisations qui ont connu un fort taux de roulement de leur personnel ou qui ont connu des modifications de structure. La difficulté vient aussi de ce que des ajustements mineurs en apparence peuvent résulter en un déboursé important. D’ailleurs, ceux qui connaissent bien les processus de fusion et d’acquisition d’entreprises savent que, dans les opérations de vérification diligente, la conformité à la Loi sur l’équité salariale constitue maintenant un élément majeur à prendre en considération.

La tâche risque d’être colossale pour beaucoup d’entreprises. Il faut donc bien faire et rapidement. Il y a là une responsabilité pour la direction de l’organisation. Comme pour la sécurité industrielle, c’est la direction qui doit donner le ton, placer le sujet à l’ordre du jour de ses réunions et faire du projet un projet sérieux. Il n’est pas question ici de se faire les avocats de l’équité salariale, mais l’enjeu est tel, surtout pour ceux qui devront rétroagir à 2001, que la santé financière de l’organisation est en jeu.

Sophie Raymond, CRHA, conseillère principale, Groupe-conseil Aon

Source : Effectif, volume 12, numéro 4, septembre/octobre 2009.

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