Ceux qui suivent l’actualité législative reliée au Code canadien du travail se souviendront que d’importantes modifications sont entrées en vigueur en juin 2015[1] imposant notamment la tenue d’un vote obligatoire pour obtenir l’accréditation syndicale en vertu du Code. Peu de temps après l’élection du gouvernement actuel, ce dernier déposait le projet de loi C-4 qui a pour but de rétablir l’ancien système qui ne prévoyait pas la tenue obligatoire d’un scrutin de représentation. Ce projet de loi n’a toujours pas été adopté par le Parlement vu les amendements apportés par le Sénat. À suivre…
Plus de congés
Récemment, le gouvernement fédéral déposait le projet de loi C-44 à la suite du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 pour modifier, notamment, le Code canadien du travail (CCT). En effet, une section du projet en modifie la partie III pour augmenter la durée du congé parental de 37 à 63 semaines, tout en donnant droit à la prise de ce congé pendant une période de 78 semaines suivant l’accouchement, au lieu de 52 semaines. Il prévoit également que le congé de maternité peut débuter 13 semaines avant la date prévue de l’accouchement au lieu de 11 semaines, comme c’est le cas actuellement. De plus, ce projet de loi propose un nouveau congé pour un membre du personnel qui doit prendre soin d’un adulte gravement malade.
Une compétence élargie pour le CCRI
Ces modifications, bien qu’importantes, ne sont que la pointe de l’iceberg, car une autre section du projet de loi C-44 transforme véritablement le paysage des relations de travail pour les employeurs de juridiction fédérale. En effet, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) serait maintenant compétent pour entendre les recours de l’ensemble du CCT, soit les parties I, II et III, qui traitent respectivement des relations de travail, de la santé et de la sécurité au travail et des normes du travail. Il y a ici des parallèles évidents à établir avec la récente mise en place du Tribunal administratif du travail au Québec, mais comme nous allons le voir, le législateur fédéral est allé encore plus loin que son homologue provincial.
Le CCRI, qui était déjà compétent pour l’ensemble des recours prévus à la partie I, se voit maintenant confier les responsabilités antérieurement dévolues aux agents d’appel de la partie II en matière de santé et de sécurité au travail. En ce qui a trait à la partie III, c’est aussi le CCRI qui sera habilité à entendre les plaintes de congédiement injuste déposées en vertu de l’article 240, en remplacement des arbitres désignés par le ministre. Il est à noter qu’il sera possible pour le CCRI de nommer un arbitre externe pour entendre ces dossiers tant en vertu de la partie II que III, compte tenu du volume anticipé et des ressources limitées du CCRI.
De nouvelles sanctions
Un nouvel élément fondamental introduit par le projet de loi est un régime de sanctions administratives pécuniaires pour les parties II et III. C’est le CCRI qui serait mandaté pour entendre les appels de ces sanctions imposées par le ministre. Ainsi, les violations aux parties II et III ne seraient plus traitées par les tribunaux de droit commun contrairement à ce qui a cours au Québec pour, notamment, les infractions liées aux articles 236 et 237 de la Loi sur la santé et sécurité au travail. On assiste ici à la mise en place d’un régime de sanction qui se veut plus efficace que le recours aux plaintes pénales, peu souvent utilisées en pratique.
Non aux représailles
Une autre véritable modification substantielle au CCT sera la nouvelle section visant les plaintes pour représailles, soit l’équivalent de ce que les praticiens du Québec connaissent comme le recours à l’encontre d’une pratique interdite en vertu des articles 122 et suivants de la Loi sur les normes du travail (LNT). En effet, une des principales différences du CCT et de la LNT était l’absence dans ce dernier d’un régime complet visant les pratiques interdites/représailles reliées à la prise de congé de maladie ou à d’autres absences. Cela vient également combler le vide des absences pour accident de travail, en raison, dans ce dernier cas, de l’inapplicabilité de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles aux entreprises de juridiction fédérale.
Il est à noter qu’il existe une différence remarquable avec le régime de la LNT, en ce sens que le projet de loi, tel que proposé, empêche le cumul d’une plainte pour représailles d’une plainte pour congédiement injuste en vertu de l’article 240, ce cumul étant permis en vertu de la LNT.
Plus de pouvoirs aux inspecteurs
L’autre modification majeure apportée au CCT a trait au mécanisme prévu par les articles 251 et suivants relatifs aux sommes qui pourraient être dues par un employeur à un membre du personnel en vertu de sa partie III. Premièrement, on élargit les pouvoirs des inspecteurs qui pourront dorénavant décider si un congédiement a eu lieu pour permettre l’application des articles 230 et 235, soit ceux liés au préavis de licenciement et à l’indemnité de départ. Ces mêmes inspecteurs pourront ordonner la fin de contravention à une disposition de la partie III, tout comme il sera permis au ministre d’ordonner une vérification interne à un employeur pour assurer la conformité.
Concernant ces modifications, on donne le pouvoir au CCRI (ou à un arbitre externe qu’il désigne) d’entendre les appels des ordres de paiement des inspecteurs en vertu des articles 251 et suivants. Le CCRI aura également le pouvoir d’ordonner les dépens dans ce genre de cause ainsi que le paiement des frais extrajudiciaires encourus par les parties[2].
Il est évident avec ces modifications que l’intention du législateur est de limiter le nombre de contraventions à la partie III et de sanctionner plus efficacement ceux qui ne la respectent pas, car, on se le rappelle, il s’agit des normes minimales du travail pour les employés de juridiction fédérale.
Un parallèle à faire avec le TAT?
En conclusion, un parallèle intéressant peut être fait au Québec avec les dispositions relatives aux plaintes pécuniaires en vertu de la LNT qui sont souvent traitées en même temps que les dossiers de pratique interdite, de congédiement sans cause juste et suffisante ou de harcèlement psychologique par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Celles-ci doivent néanmoins faire l’objet de recours distincts devant les tribunaux, tout comme les dossiers liés aux infractions pénales (par ex., les art. 139 et suivants LNT).
Comme le plaidait le président de la Conférence des juges administratifs du Québec (CJAQ) dans le Journal du Barreau du Québec de mai 2016, serait-il possible de voir l’ensemble de ces recours entendus par un seul tribunal (en l’occurrence le TAT) afin de raccourcir les délais d’audition et de désengorger les tribunaux de droit commun pour favoriser une justice plus rapide et donc un meilleur accès à la justice? La question est posée. Le débat est lancé.
Pour sa part, le gouvernement fédéral semble avoir fait son lit en proposant que le CCRI soit transformé en un véritable « super tribunal » administratif en matière de droit du travail fédéral, tant du point de vue administratif que civil et pénal. Employeurs, soyez prêts!
Source : VigieRT, mai 2017.
1 | «Un aperçu des dernières modifications au Code canadien du travail»,VigieRT, avril 2015. |
2 | Le législateur a également proposé de confier le pouvoir au CCRI de traiter les réclamations pécuniaires prévues à laLoi sur la protection des salariésqui vise le versement aux salariés dont l’employeur a fait faillite une partie de leur créance salariale. |
3 | Avis aux lecteurs : Le projet de loi C-4 a reçu, en date du 19 juin 2017, la sanction royale suite au retrait par le Sénat de ses amendements. Ainsi, à l’exception de ses articles 12 et 13, cette loi entre en vigueur le troisième jour suivant la date de sa sanction. |
4 | Avis aux lecteurs : Le projet de loi C-44 a reçu, en date du 22 juin 2017, la sanction royale. Cette loi entrera en vigueur par décret. |