Le Québec fait face actuellement à l’imminence d’une pénurie de main-d’œuvre. Selon un sondage réalisé par la firme Baromètre pour le compte de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), 84 % des entreprises québécoises sondées affirment subir une pénurie ou prévoient être touchées par cette crise. « Si les tendances démographiques actuelles se maintiennent, le Québec sera en déficit de 500 000 à 700 000 travailleurs d’ici 2020 », affirme Françoise Bertrand, directrice générale de la FCCQ, en commentant les résultats de cette enquête. Ce faible taux d’activité s’explique par de nombreux facteurs. La population québécoise ne cesse de vieillir et le taux de natalité se situe en dessous de la croissance moyenne normale. Au surplus, les résultats du Colloque sur la gestion de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés démontrent que, contrairement à la génération des baby-boomers, la cohorte de jeunes travailleurs exige, en sus des considérations salariales, un équilibre entre la vie personnelle et le travail et qu’elle est extrêmement mobile et difficile à conserver dans un même emploi.
Outre ce portrait démographique alarmant, on assiste à une baisse de productivité et à un haut taux d’absentéisme en raison notamment de maladies physiques et mentales, de détresse psychologique et de problèmes organisationnels qui peuvent être propres à l’entreprise. Selon l’Institut de la statistique du Québec, un Québécois sur cinq souffre de détresse psychologique élevée. Une étude du Center for Disease Control and Prevention (IFTF) démontre que l’état de santé des employés est déterminé à 50 % par leur comportement et 20 % par leur environnement. Diane Champagne, conseillère principale chez Mercer, estime que la productivité, la collégialité et la créativité s’améliorent lorsque les employés se sentent en mesure de faire face à la fois aux activités quotidiennes et aux exigences de leur travail. D’où l’importance de mettre sur pied des programmes qui favorisent l’adoption de meilleures habitudes de vie et un environnement de travail plus sain.
Les tendances actuelles démontrent que la plupart des entreprises offrent des activités de mieux-être. Le National Wellness Survey Report réalisé par Buffet & Company Worksite Wellness démontre qu’en 2006, 77 % des entreprises québécoises avaient mis en place un programme de santé. Les résultats de ces programmes de santé sont mesurés en fonction de leurs impacts sur la santé et sur la productivité des employés et ils démontrent un rendement clair de l’investissement à cet égard. Les chiffres révèlent que chaque dollar investi dans de tels programmes a généré entre 1,50 $ et 3 $ en gain de productivité dans l’entreprise dans les cinq ans suivant leur lancement. Par ailleurs, de façon plus générale, le rendement de l’investissement se traduit par une baisse des coûts liés au système de santé.
Dans cette perspective, le Bureau de normalisation du Québec (BNQ), mandaté par le Groupe de normalisation pour la prévention en santé (GP2S), a récemment mis en œuvre un programme de promotion de la santé des personnes en milieu de travail qui permettra aux entreprises du Québec autant de conserver leur main-d’œuvre que d’augmenter leur productivité. À cette fin, le BNQ a adopté le 25 février dernier une nouvelle norme, Prévention, promotion et pratiques organisationnelles favorables à la santé en milieu de travail, communément appelée Entreprise en santé. Cette norme représente un consensus des pratiques les plus susceptibles de favoriser la santé et le mieux-être en entreprise. Elle sert de guide de référence et est mise à la disposition des employeurs d’entreprises de toutes tailles afin de promouvoir un environnement de travail plus favorable à la santé des employés et à la productivité de l’entreprise. L’obtention d’une certification permettrait par ailleurs à l’entreprise de faire reconnaître les efforts déployés en ce sens.
Bien que le projet de protocole de certification par le BNQ soit toujours à l’étude, nous nous proposons de démystifier la nature de cette initiative et de faire état de la nature du processus de certification en sa forme actuelle.
Contenu de la norme Entreprise en santé
Notons d’abord que la norme offre deux paliers de certification. La première classification, soit Entreprise en santé, propose à l’entreprise de démontrer clairement son engagement envers la santé et le mieux-être de son personnel d’une façon structurée et planifiée, en fonction des problèmes de santé et des besoins de son personnel, que révèle une collecte de données, ainsi que des priorités de l’entreprise. La deuxième classification, soit Entreprise en Santé – Élite, est plus exigeante quant à l’engagement de la direction. Les interventions et les sphères d’activité y sont plus nombreuses. La santé et le mieux-être doivent être intégrés dans la culture de l’entreprise et dans ses processus de gestion.
La norme exige que l’employeur exprime par écrit son engagement à respecter les lois et règlements applicables à son entreprise. Il doit également coucher sur papier sa volonté et ses valeurs en matière de prévention et de promotion de la santé en milieu de travail et afficher une politique interne qui en témoigne.
Essentiellement, la norme a comme objectif d’encourager un comportement proactif de l’employeur eu égard à plusieurs aspects susceptibles d’avoir un impact concret sur la santé en milieu de travail. Les interventions visent plus particulièrement les quatre sphères d’activité suivantes qui sont reconnues pour avoir un impact significatif sur la santé du personnel : les habitudes de vie, l’équilibre travail/vie personnelle, l’environnement de travail et les pratiques de gestion de ses activités.
Concrètement, l’entreprise devra mettre sur pied un comité responsable des démarches nécessaires à l’obtention et au maintien de la norme. Ce comité sera chargé d’établir la marche à suivre afin de recueillir l’information relative à ces quatre sphères ainsi que des données reliées aux absences au travail comme le taux d’absentéisme et son coût. Grâce aux données ainsi recueillies, le comité pourra dresser le portrait de l’entreprise concernant la santé et le mieux-être. Il pourra, par ailleurs, évaluer l’impact sur l’organisation des problèmes de santé physiques et psychologiques vécus par le personnel.
Une fois cet exercice complété, le comité sera appelé à concevoir un plan d’intervention comprenant une ou plusieurs mesures portant minimalement sur la première sphère d’activité visant les personnes ainsi qu’au moins l’une des autres sphères visant l’environnement dans le cas de la certification Entreprise en santé. Par ailleurs, pour la certification Entreprise en Santé – Élite, le plan d’intervention doit comprendre une ou plusieurs actions dans chacune des sphères d’activité.
Le BNQ propose un éventail de mesures d’intervention possibles en fonction de chacune des sphères d’activité de l'entreprise. En ce qui concerne les habitudes de vie, on peut citer, à titre d’exemple, les approches suivantes : l’établissement d’un club de marche, la contribution à l’abonnement à des activités sportives ou de conditionnement physique, le lancement d’une campagne de sensibilisation à une saine alimentation, à l’atteinte d’un poids santé et à l’arrêt du tabagisme, la prévention et la gestion du stress négatif, l’éducation sur la gestion du diabète, l’instauration d’un programme d’aide au personnel (PAE), la contribution aux thérapies contre l’alcoolisme et l’instauration d’un programme de soutien aux employés souffrant d’un problème de dépendance. Ainsi, l’établissement de politiques concernant la consommation de tabac, d’alcool et de drogue ainsi que la négociation d’ententes de dernière chance peuvent constituer des interventions permettant l’atteinte des objectifs relatifs à cette sphère d’activité.
En ce qui a trait à l’équilibre travail/vie personnelle, mentionnons l’instauration de politiques internes favorables à la conciliation travail/vie personnelle, d’horaires flexibles, du télétravail, du retour progressif après un congé de maternité, de congés pour des raisons familiales et d’une garderie en milieu de travail.
Quant à la sphère de l’environnement de travail, la norme propose l’instauration de programmes de contrôle du bruit et de la ventilation, la mise en place d’outils favorisant le travail sécuritaire au-delà des exigences de la loi et l’aménagement d’aires de repos, de méditation ou de relaxation sur les lieux du travail.
Les interventions suivantes sont suggérées quant à la sphère visant les pratiques de gestion : programme de formation des gestionnaires sur les pratiques de gestion favorables à la santé mentale des travailleurs, prévention du harcèlement psychologique et de la discrimination, mesures favorisant la reconnaissance, l’esprit d’équipe et les travailleurs dans les prises de décision les concernant, plan de développement professionnel individualisé et activités de formation.
À chaque intervention doit correspondre un objectif quantitatif de participation du personnel. Il faut de plus prévoir un objectif de résultat en ce qui a trait à la certification Entreprise en santé – Élite.
Enfin, lors de l’évaluation de l’intervention, le comité devra vérifier si l’objectif est atteint en plus de sonder le taux de satisfaction des participants. Les résultats devront être disponibles sur demande afin de faire évoluer les connaissances dans le domaine de la promotion de la santé en milieu de travail.
Ultimement, l’entreprise retirera des dividendes de l’amélioration de la santé de ses employés. En effet, elle sera moins exposée aux congés de maladie répétés et à l’augmentation des primes d’assurance. Plus encore, un milieu de travail sain et sécuritaire motive davantage les travailleurs et attire de nouveaux talents. En appliquant la norme, l’entreprise bénéficiera assurément d’un gain de productivité et d’un rendement de son investissement.
Processus de certification à l’étude (Projet de protocole P 9700-880-3)
Le programme de certification Entreprise en santé, fondé sur la norme, vise l’amélioration durable de l’état de santé des personnes en milieu de travail en spécifiant un ensemble d’actions qui contribuent de façon significative à leur santé et en reconnaissant les efforts déployés par une entreprise.
En vertu du projet actuel de protocole de certification, quiconque demande la certification reçoit du BNQ un contrat de service et est informé, le cas échéant, du nom des auditeurs pigistes qui effectueront ultérieurement les visites de contrôle exigées. Le processus débute lorsque l’entreprise retourne au BNQ le contrat de service en sus des documents exigés pour obtenir la certification.
Une fois que le contrat de service et les documents fournis ont été examinés, une équipe d’auditeurs effectue une visite de contrôle calquée sur la norme et le projet de protocole. L’auditeur responsable émet un constat de non-conformité, le cas échéant, et en fait part directement au représentant de l’entreprise. L’entreprise peut apporter les changements opportuns et elle en fait ensuite part à l’agent de certification.
Lorsque l’agent de certification constate que les exigences sont satisfaites, il transmet sa recommandation de certification au chef du groupe Certification du BNQ. Après révision du dossier par ce dernier, on délivre le certificat de conformité à l’entreprise en y indiquant la portée de sa certification.
Le certificat est valide pour une durée de trois ans pourvu que l’entreprise respecte les conditions de maintien du certificat de conformité. Pour ce faire, elle doit se plier à des visites de contrôle périodiques et apporter les correctifs recommandés s’il y a lieu. Enfin, elle doit aviser le BNQ de tout changement dans sa structure administrative susceptible de changer sa conformité en plus d’acquitter les frais requis.
En conclusion, dans le contexte de rareté de main-d'œuvre, il est évident que les employeurs doivent innover afin d’attirer et de conserver le personnel qualifié. À l’heure où la santé et le mieux-être comptent parmi les préoccupations les plus importantes de la société québécoise, l’adoption d’un comportement conforme à la norme prend tout son sens.
L’enthousiasme envers cette norme est d’autant plus justifié que cette dernière, en misant sur la promotion de la santé au travail, aspire à améliorer la productivité de l’entreprise. Il s’agit donc d’un investissement bien avisé pour toute entreprise qui veut demeurer concurrentielle sur le marché de l’emploi.
Vicky Lemelin, avocate pour le cabinet Lavery, de Billy, S.E.N.C.R.L.
Publié avec l'autorisation de Lavery, de Billy
Source : VigieRT, numéro 32, novembre 2008.