Il y a lieu de se poser la question à la suite de deux décisions de la Commission des lésions professionnelles (ci-après la « CLP ») rendues au mois de juillet dernier qui ont conclu à des résultats contraires malgré des ressemblances sur le plan des faits en litige[1].
Cadre d’analyse
Avant d’aborder ces deux décisions, il convient de rappeler les principes applicables en matière d’admissibilité d’une réclamation pour un accident du travail produite à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « CSST »). L’analyse se fait, de façon générale, par la démonstration par le travailleur de l’existence des trois conditions d’ouverture de la présomption prévue à l’article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, soit i) la survenance d’une blessure, ii) sur les lieux du travail et iii) alors que le travailleur est à son travail.
Suivant les enseignements de la CLP dans l’affaire Boies et CSSS Québec-Nord[2], lorsque ces trois conditions sont réunies, la présomption légale de l’article 28 produit les effets suivants : 1) celui de dispenser le travailleur de faire la preuve d’un évènement imprévu et soudain, c’est-à-dire d’un accident du travail et 2) celui de présumer la relation causale entre la blessure et les circonstances de son apparition[2].
Afin de renverser cette présomption de lésion professionnelle, l’employeur peut donc prouver l’absence d’un évènement imprévu et soudain ou l’absence d’une relation causale[4]. En outre, l’employeur peut renverser la présomption de lésion professionnelle en démontrant l’apparition d’une lésion liée à l’évolution naturelle d’une condition personnelle préexistante.
Les décisions récentes
L’application de ces principes a amené la CLP à conclure au renversement de la présomption de la lésion professionnelle et au refus d’une réclamation pour accident du travail produite par un travailleur ayant fait une chute au travail en raison d’un malaise d’ordre personnel. Ce résultat a notamment été atteint dans la décision CHSLD Villa Soleil et Lauzon [5]. Dans cette décision, la travailleuse a subi un traumatisme crânien et une lacération à l’occipital gauche provoqués par une chute au travail à la suite d’une syncope.
Après avoir constaté l’existence de deux courants jurisprudentiels dans des cas similaires, la CLP a opté pour le courant qui exige un lien de connexité entre la blessure et le travail :
[41] L’article 28 de la Loi prévoit une présomption de lésion professionnelle et, comme toute présomption, elle peut être renversée. Il est donc possible pour l’employeur d’écarter l’application de la présomption de l’article 28 de la Loi, s’il démontre que la blessure n’est pas due ou n’est pas reliée au travail, qu’elle est imputable, par exemple, à un incident survenu à l’extérieur du travail, à un autre moment.
[42] De même, pour qu’une lésion professionnelle soit reconnue en vertu de la règle générale de l’article 2, il faut que les éléments de la définition d’un accident de travail prévus à cet article soient démontrés par prépondérance de preuve.
[43] Le tribunal estime que le courant voulant qu’il faille respecter la lettre de l’article 2 de la Loi et accepter comme lésion professionnelle même un évènement imprévu et soudain qui est dû à la manifestation d’une condition personnelle s’inscrit dans une solution possible et défendable juridiquement.
[44] Cependant, avec respect pour l’opinion contraire, la soussignée estime que, bien que la définition d’un accident du travail contienne la mention qu’il peut être « attribuable à toute cause », il faut en continuer la lecture et constater que le Législateur ajoute que ledit évènement doit être « survenu par le fait ou à l’occasion de son travail ».
[45] Ainsi, il doit y avoir un certain lien entre l’évènement imprévu et soudain et le travail.
[…]
[52] Il est impératif de se demander si la blessure est survenue dans un contexte qui a un lien avec le travail. Ainsi, on se demandera par exemple, si la cause de l’altercation était un sujet purement personnel qui n’a aucun lien avec le travail ou si, au contraire, elle concernait le travail ou une condition de travail. La recherche d’un lien avec les activités au travail est donc essentiel. (sic)
[…]
[58] La soussignée estime qu’une condition personnelle, comme une perte de connaissance ou syncope dont la cause peut ou non être identifiée, même si elle se manifeste au travail, ne peut être indemnisable en vertu du régime géré par la CSST. Il en va de même pour les conséquences qu’entraîne cette condition personnelle. En fait, s’il devait y avoir une indemnisation, ce serait en vertu d’un régime d’assurance privé auquel aurait préalablement souscrit un assuré et qui indemnise ce dernier contre les pertes dues en raison d’une invalidité, d’une incapacité de travail liée à une maladie d’origine personnelle.
Dans cette affaire, après avoir constaté que la syncope est survenue au travail par pur hasard et pure coïncidence, la CLP a déclaré que les conséquences de la syncope, soit la chute et les lésions subies, ne peuvent constituer des lésions professionnelles.
Ce raisonnement a été suivi dans la décision Beaumont Transport inc. et Brochu[6] rendue le 6 juillet par la CLP. Dans cette affaire, la CSST a accepté une réclamation d’un travailleur, un camionneur, pour des blessures qu’il a subies à la suite d’une chute causée par une syncope.
Partageant l’interprétation retenue dans l’affaire CHSLD Villa Soleil précitée relativement à l’exigence que la lésion survienne «&nbs;par le fait ou à l’occasion du travail », la CLP a conclu que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle, puisque la preuve démontrait que le travailleur a été victime d’un malaise d’ordre personnel (une syncope) qui a entraîné sa chute de l’habitacle de son camion. Enfin, la CLP a ajouté que la syncope n’a pas été rendue symptomatique ou aggravée par le travail, et que sa manifestation dans ce contexte était une pure coïncidence.
Puis, le 16 juillet dernier, la CLP a rendu une décision à l’opposé des deux décisions précitées, soit confirmant l’admissibilité à titre de lésion professionnelle d’une blessure subie par un travailleur à la suite d’une chute en raison d’une arythmie cardiaque maligne qui s’est manifestée au travail. Dans cette décision, le juge administratif a refusé d’adopter le raisonnement suivi dans les décisions CHSLD Villa Soleil et A. Beaumont Transport inc. et Brochu pour les motifs suivants p;:
[33] La Commission des lésions professionnelles estime que l’interprétation retenue par cette avenue ne correspond pas à l’intention du législateur et à l’interprétation large et libérale que commande l’application d’une loi à caractère sociale. De fait, à la définition d’accident du travail, le législateur prend le soin de préciser, pour consacrer le principe éminemment réparateur de la loi, que c’est l’évènement imprévu et soudain qui peut être attribuable à toute cause. Or, l’interprétation d’un texte de loi implique la prise en compte de chacune de ces composantes afin d’en cerner l’intention du législateur et non pas d’en gommer certaines parties.
[…]
[35] En suggérant que cette cause doit être nécessairement reliée au travail ou encore offrir une certaine connexité avec le travail, la Commission des lésions professionnelles considère que l’interprétation retenue dans la décision CHSLD Villa Soleil et Lauzon[6] annihile l’intention du législateur d’offrir une large protection au travailleur, en éliminant d’emblée des causes d’un évènement imprévu et soudain survenant à un travailleur alors qu’il se trouve dans son milieu de travail.
[36] D’ailleurs, les notions de par le fait et à l’occasion de son travail employées à la définition d’accident du travail sont associées à la victime et non à la cause de l’évènement imprévu et soudain. Ainsi, la Commission des lésions professionnelles estime que par le fait ou à l’occasion du travail représentent des conditions spatio-temporelles faisant en sorte que lorsque l’évènement imprévu et soudain survient quelle qu’en soit la cause, il importe que le travailleur soit à son travail ou, à tout le moins, dans sa sphère professionnelle.
[37] Par ailleurs, l’économie générale de la loi, notamment les dispositions sur le financement permettent à un employeur d’obtenir un transfert ou un partage d’imputation, si la cause de l’évènement imprévu et soudain est étrangère au travail. Ainsi l’article 326 de la loi notamment permet un transfert d’imputation dans le cas où l’accident du travail est attribuable à un tiers alors que l’article 329 permet un partage d’imputation lorsqu’une déficience a contribué entre autres à la survenance de la lésion. Ces dispositions permettent à l’employeur de ne pas être imputé du coût des prestations lorsque notamment la cause de l’évènement est étrangère au travail. Elles renforcent donc le principe selon lequel la cause de l’évènement imprévu et soudain peut être étrangère au travail.
Cette dernière décision fait actuellement l’objet d’une requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure. Il sera intéressant de voir si la Cour donnera préséance à l’un des courants jurisprudentiels à l’étude.
Source : VigieRT, octobre 2015.
1 | A. Beaumont Transport inc. et Brochu, 2015 QCCLP 3688; Réno-Dépôt inc. et Landry, 2015 QCCLP 3897. |
2 | 2011 QCCLP 2775 (formation de trois juges administratifs). |
3 | Ibid., para. 189. |
4 | Ibid. para. 235. |
5 | 2014 QCCLP 3341 |
6 | A. Beaumont Transport inc. et Brochu, supra note 1. |