Vous lisez : Test aléatoire de dépistage d’alcool et de drogues

La Cour d’appel s’est prononcée récemment sur la validité d’une politique de dépistage d’alcool et de drogues dans l’arrêt Section locale 143 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Goodyear Canada inc.[1] (ci-après « Goodyear »).

Dans cette affaire, la Cour devait déterminer si la politique de dépistage de l’employeur, telle que modifiée par une sentence arbitrale de grief, était conforme au droit. Cette politique imposait des tests de dépistage dans cinq cas précis : (1) à l’égard des postulants et des nouveaux employés, (2) lorsqu’il y a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne a les capacités affaiblies par la consommation d’alcool ou l’usage de drogues, (3) à la suite d’un accident important, (4) à la suite d’une absence reliée à la consommation d’alcool ou à l’usage de drogues et, finalement, (5) sans préavis et de manière aléatoire pour les « postes à risque élevé ».

Il n’était pas contesté que de tels tests de dépistage sont susceptibles de porter atteinte notamment aux droits à l’intégrité de la personne, à la sauvegarde de la dignité et au respect de la vie privée garantis par la Charte des droits et libertés de la personne[2] et par le Code civil du Québec[3]. En effet, ces analyses ont un caractère envahissant et elles risquent de révéler des informations confidentielles sur l’état de santé des employés, renseignements qui peuvent être consignés et être potentiellement discriminatoires.

La Cour a rappelé cependant que ces droits ne sont pas absolus et que les tests de dépistage peuvent être légaux si leur réalisation est justifiée par une cause raisonnable. L’objectif poursuivi par ceux-ci doit être légitime, l’atteinte aux droits de la personne doit être minimale et le moyen adopté doit être rationnellement lié à l’objectif poursuivi.

La Cour a estimé que le test obligatoire, sans préavis et aléatoire de dépistage d’alcool et de drogues pour « les postes à risque élevé » ne constituait pas une atteinte raisonnablement minimale pouvant le justifier. Aucun fait ne laissait voir que cette mesure de dépistage pour les emplois à haut risque (nécessitant une grande concentration et une perception parfaite) était essentielle pour assurer la protection et de la sécurité des autres employés. Selon la Cour, Goodyear, une usine de fabrication de pneus, n’exploitait pas une entreprise ayant un caractère de dangerosité qui exige des mesures de protection spéciales du public et des employés. De plus, la preuve n’établissait pas, comme le prétendait Goodyear, qu’il y avait un lien entre son mauvais dossier d’employeur en matière d’accidents du travail et la consommation d’alcool et de drogues. Aucun fait ne révélait un problème particulier relié à la consommation de ces substances par les employés de l’usine. Ce test de dépistage aléatoire étant dans les circonstances contraires à la Charte québécoise, la Cour d’appel a ordonné que la clause y référant soit biffée de la politique.

Quant aux autres mesures de dépistage faisant partie de la politique de Goodyear, la Cour a jugé qu’elles étaient justifiées par une cause raisonnable. Il s’agit des tests fondés sur des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne a les capacités affaiblies et de ceux qui sont réalisés à la suite d’un accident important ou à la suite d’une absence reliée à la consommation de drogues ou d’alcool. Ces mesures constituent, comme le reconnaît généralement la jurisprudence, une juste conciliation des droits par la pondération, d’une part, des droits des employés à la dignité et à la vie privée et, d’autre part, du droit de l’employeur à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et à l’organisation du travail. La Cour ne s’est pas prononcée sur la validité du dépistage systématique des postulants à un emploi chez Goodyear.

Michel Towner, CRIA, avocat et Sandrine Thomas, avocate pour le cabinet Fraser Milner Casgrain s.e.n.c.r.l.

Source : VigieRT, numéro 26, mars 2008.


1 D.T.E. 2008T-27 (C.A.).
2 L.R.Q., c. C-12.
3 L.Q. 1991, c. 64.
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