Vous lisez : Technologies 2.0 – Êtes-vous prêt?

Le Web 2.0 – soit les outils collaboratifs du Web tels Facebook, wiki, MSN, blogues et autres – remet en question le milieu de travail tel qu’on le connaît. Les professionnels en gestion des ressources humaines sont-ils préparés?

Le détaillant américain Best Buy a réalisé une véritable petite révolution au sein de son entreprise grâce aux outils du Web 2.0. Aujourd’hui, près des deux tiers des 4 000 employés du siège social, à Minneapolis, n’ont tout simplement pas de bureau. Imaginez pouvoir assister à la réunion du lundi matin confortablement assis dans votre chalet avec vue sur le lac, ou encore, ne plus vous culpabiliser à l’idée de quitter le bureau au beau milieu de l’après-midi pour assister au spectacle de danse de la petite dernière.

Ce régime d’emploi basé uniquement sur les résultats, le Results-Only Work Environnement, a été conçu par deux anciennes cadres en gestion des ressources humaines chez Best Buy. « Leur but était de rendre le travail plus agréable et flexible », explique le porte-parole de Best Buy au Canada, Chafiq Jamal.

Résultats : les employés auraient de meilleures relations avec leurs proches, leur productivité aurait augmenté jusqu’à 40 % dans certains services et le taux de roulement a chuté. De quoi convaincre la division canadienne de la compagnie de tenter l’expérience. Ainsi, depuis septembre, les 800 employés du siège social à Burnaby, près de Vancouver, peuvent travailler deux jours à l’extérieur du bureau, en excluant les lundis. « Les commentaires que nous avons reçus sont très positifs. Les travailleurs sont plus heureux et les gestionnaires constatent un meilleur rendement. »

Autre entreprise avant-gardiste dans le domaine, Bell Canada fournit à ses employés plusieurs outils du Web 2.0 pour accroître leur productivité et leur permettre plus de mobilité.

Notamment, le géant des télécommunications compte 25 000 utilisateurs de la messagerie instantanée. Le logiciel Sharepoint sert de bibliothèques et d’outils de collaboration. Les employés peuvent y déposer des rapports, des devis ou des contrats, auxquels d’autres personnes pourront accéder. Ils peuvent aussi construire des documents en équipe à partir d’une plateforme participative, communément appelée un wiki. NetMeeting (maintenant connu sous le nom Live Meeting) est utilisé pour les conférences en ligne, avec vitrine vidéo et partage d’écran.

Les patrons de Bell ont aussi innové en créant ID-ah!, un outil qui permet aux employés de proposer des idées et de voter pour celles qu’ils considèrent les plus intéressantes. Déjà, plus de 1 000 suggestions ont été postées, et 32 d’entre elles ont été mises en œuvre.

Loin de la réalité
Pour Romain Charbonneau, CRIA, consultant en technologie GRH, les exemples de Best Buy et de Bell Canada sont de l’ordre de l’anecdote. Les entreprises québécoises et canadiennes traînent la patte par rapport à tout ce qui se fait aux États-Unis et en Europe.

« Ici, les technologies 2.0 en gestion des ressources humaines sont l’équivalent des autos électriques, il y a 5 ou 10 ans. Elles sont très peu utilisées avec un degré d’adoption de moins de 5 %. Et ce n’est pas dans les plans des entreprises de les déployer », déplore celui qui conseille plusieurs grandes entreprises pour le compte d’Horizons RH.

Malgré ce décalage, M. Charbonneau croit que les professionnels en gestion des ressources humaines gagneraient à connaître davantage ces technologies « remplies de promesses » pour planifier l’avenir.

« Si on se familiarise avec les technologies 2.0 et qu’on évalue qu’elles peuvent avoir un impact stratégique pour notre entreprise, il faut commencer dès maintenant à créer les assises pour que dans deux, trois ou quatre ans, on puisse aller de l’avant. »

M. Charbonneau explique qu’avant de pouvoir déployer des outils collaboratifs, l’organisation doit au moins se doter d’un système d’information RH opérationnel pour gérer les dossiers des employés et les autres activités administratives.

« Si on veut qu’un employé se connecte à des outils sur la plateforme Sharepoint, par exemple, il faut savoir qui il est, quel poste il occupe et de qui il relève, de façon à ce qu’il puisse accéder à de l’information pertinente pour lui, explique-t-il. En ce moment, la majorité des entreprises ne savent même pas qui sont les personnes qui travaillent pour elles, et j’exagère à peine. »

Selon Romain Charbonneau, l’étape suivante consiste à mettre en place des solutions de gestion de talent et des indicateurs de performance adéquats. Ce n’est qu’après tous ces efforts que les outils du Web 2.0 peuvent devenir une option. « Il faut construire les fondations de la maison, avant d’y ajouter une rallonge », illustre-t-il.

En définitive, les organisations devront évaluer les règles à mettre en place et les moyens de les communiquer pour éviter les mauvaises surprises. « L’aspect juridique est très lourd à gérer. C’est un autre côté de la médaille », note Romain Charbonneau.

À petits pas
Dans une moindre envergure, les outils du Web 2.0 font tout de même partie de la nouvelle réalité des entreprises. De leur bureau, les employés peuvent surfer sur Facebook, parler avec un ami sur la messagerie instantanée, étaler leurs humeurs sur un blogue, etc.

Dans ce contexte, les professionnels en gestion des ressources humaines seront appelés à jouer un rôle stratégique, croit Lyne Bouchard, chef de la stratégie chez DMR, une division de Fujitsu Conseil. « Ils doivent gouverner cette anarchie naturelle qui vient avec les outils du Web 2.0 et en même temps, en collaboration avec les travailleurs, trouver comment leurs activités sur la Toile peuvent être bénéfiques pour l’entreprise. »

Selon elle, les organisations qui interdisent tout simplement l’accès aux sites de réseautage et à la messagerie instantanée ne sont pas de leur temps. « Les nouvelles générations de travailleurs s’attendent à avoir accès à ces technologies. Ils les utilisent déjà dans leur vie de tous les jours. Quand ils rentrent au travail, ils veulent maintenir des contacts sociaux avec la famille et les amis. Pourquoi alors ne pas en tirer profit? » propose-t-elle.

Lyne Bouchard donne l’exemple d’un employé qui, confronté à un problème, envoie un message instantané à un ancien collègue, expert en la matière. « Comme employeur, je veux bien qu’il contacte son ami, même s’il travaille pour un concurrent, parce qu’il aura la réponse à sa question très rapidement. »

Lyne Bouchard avoue qu’il peut y avoir des abus. « Des gens consultent de la pornographie au bureau, d’autres passent l’après-midi à magasiner en ligne leurs prochaines vacances, ou encore, diffusent de l’information confidentielle à l’externe. Ça arrive. » Selon elle, la tâche des professionnels en gestion des ressources humaines sera de concevoir des règles et des politiques claires et surtout de les communiquer.

De plus, elle rappelle que les entreprises ont le droit d’utiliser des logiciels pour surveiller l’activité de leurs employés sur le Web. « Il faut le spécifier et donner des avertissements s’il y a des abus. Après le troisième, par exemple, la personne est congédiée. »

Selon Lyne Bouchard, la première réaction qu’un professionnel en gestion des ressources humaines devrait avoir s’il constate qu’un employé semble assez actif sur Internet est d’aller lui parler. « On peut lui demander de nous expliquer comment il utilise le Web 2.0 dans le cadre de son travail. En cours de route, on va peut-être découvrir comment on devrait encourager nos employés à se servir des outils collaboratifs. »

Marie-Ève Maheu, journaliste indépendante

Source : VigieRT, numéro 37, avril 2009.

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