Le Code civil du Québec[1] établit que les parties à un contrat sont libres de contracter et tient pour prémisse que les deux contractants négocient librement et sur un pied d’égalité.
Ainsi, une entreprise et un individu pourront ensemble convenir par contrat écrit d’une entente intitulée « contrat d’entreprise » dans laquelle tous deux reconnaissent que leur relation est basée uniquement sur le Code civil du Québec, que la Loi sur les normes du travail[2] (LNT) ne s’applique pas et que l’individu se déclare « travailleur autonome », et ce, auprès des autorités fiscales et quant à l’application de l’ensemble des lois.
Toutefois, si au moment de la fin de la relation contractuelle, une partie conteste ce statut, ce contrat, tout comme la qualification que les parties auront initialement retenue, ne pourra être opposable à l’autre partie[3].
La Loi sur les normes du travail : une loi d’ordre public
En effet, en matière de contrat de travail, le législateur a constaté que le pouvoir de négociation du salarié se trouvait fort limité et, habituellement, purement inexistant. Il a donc édicté une loi d’ordre public, la LNT, qui vient régir l’ensemble de la relation entre un salarié et son employeur.
Ainsi, malgré les conditions d’une entente signée par les deux parties, c’est au tribunal saisi d’un litige que reviendra le pouvoir de déterminer leur statut réel. Il pourrait donc déterminer si le plaignant est salarié ou travailleur autonome et donc, si les parties en litige sont liées par un contrat de travail ou d’entreprise. En effet, la qualification que feront les parties du type de relation qui les unit n’aura aucun impact[4].
Nous vous proposons ici d’examiner quels sont les éléments sur lesquels le tribunal basera son étude.
La LNT pose comme condition d’application que le plaignant soit un « salarié » au sens de son article 1, 10º. Elle s’appliquera donc uniquement dans le cadre d’une relation salarié-employeur. Ce faisant, le travailleur autonome, entre autres, en est exclu.
L’article 1, 7º et 10º présente une définition de l’« employeur » et du « salarié »[5]. Les tribunaux ont, quant à eux, eu maintes occasions d’interpréter et de nuancer cette définition et, surtout, d’en établir les critères d’étude.
La définition du mot « salarié » de la LNT met en lumière trois éléments constitutifs du contrat de travail, soit :
- une prestation de travail;
- une rémunération;
- un lien de subordination.
Premier élément : la prestation de travail
Cette notion n’est pas définie par la LNT. Elle comporte toutefois l’exigence d’une exécution personnelle par le salarié, ce qui la distingue du contrat d’entreprise. Dans cette dernière situation, les deux entreprises conviennent de services à rendre, tout en laissant à la partie qui donne le service le soin de déterminer qui l’exécutera.
À l’opposé, en matière de contrat de travail, l’exécution personnelle de la prestation de travail est un élément fondamental. C’est CE salarié que l’employeur choisit personnellement pour exécuter un travail donné[6]. On y renvoie comme à une relation intuitu personae (« en fonction de la personne »).
Dans le même esprit, les tribunaux ont rappelé que les statuts de salarié et d’employeur dans l’exécution d’une même tâche étaient incompatibles. Ainsi, la Commission des relations du travail[7] a établi qu’il est « […] possible qu’une personne qui en embauche une autre pour l’aider dans son travail puisse conserver son statut de salarié. Mais dans cette hypothèse, il se doit d’offrir lui-même une prestation de travail. Lorsqu’il se fait remplacer, il n’est plus salarié, il devient un entrepreneur [8] ».
Deuxième élément : la rémunération
Quant à la rémunération, l’article 1, 9º LNT donne une définition large de ce qu’est un « salaire », et il pourra prendre diverses formes : commissions et salaire de base, uniquement à commissions, salaire horaire ou annuel, versé au salarié directement ou par l’entremise d’une entreprise, avec ou sans déductions à la source, etc[9]. C’est rarement un élément distinctif; aussi, nous ne nous y attarderons pas davantage.
Troisième élément : la subordination
La subordination est l’élément clé qui jouera un rôle prépondérant lorsque le statut d’une personne devra être défini. Plusieurs critères seront donc étudiés par les tribunaux afin de déterminer s’il existe ou non un lien de subordination entre les parties.
Ces critères ne sont pas exhaustifs, et aucun ne sera déterminant :
- le degré de contrôle/d’autonomie dans l’exécution des tâches;
- la propriété des outils de travail;
- l’existence d’une clause d’exclusivité ou de non-concurrence, ou les deux à la fois;
- les chances de profits et les risques de pertes;
- l’intégration du salarié dans l’entreprise;
- la possibilité pour l’employeur d’appliquer des mesures disciplinaires.
Ainsi, soulignons que le pouvoir de contrôle et de direction de l’employeur n’a pas à être direct et immédiat. Il suffit qu’il ait le pouvoir de déterminer le cadre de travail dans lequel le salarié doit évoluer. C’est donc dire que ce dernier pourra bénéficier d’une grande liberté dans l’exécution des tâches sans automatiquement être qualifié de « travailleur autonome »[10]! Nous pensons ici aux professionnelles et aux professionnels (comptables, avocats, dentistes, courtiers mobiliers ou immobiliers, recherchistes, etc.) qui jouissent d’une grande autonomie dans l’exécution de leurs tâches.
À ce sujet, ces mêmes professionnelles et professionnels pourront être soumis à une réglementation particulière qui imposera notamment des formations continues, l’obligation de détenir une couverture d’assurance responsabilité ou qui encadrera les inscriptions sur les cartes professionnelles. À cet égard, les tribunaux ont rappelé « […] qu’il ne fallait pas confondre la subordination juridique avec la subordination aux mécanismes de régulation visant la protection du public […][11] ». Un tel encadrement légal n’empêchera pas une partie au contrat d’avoir un statut de travailleur autonome.
Dans le même esprit, une personne pourra avoir été reconnue comme « salariée » au sens d’une autre loi telle que la Loi sur le revenu ou la Loi sur l’assurance emploi[12]. Cet élément ne sera pas déterminant pour la décideuse ou le décideur saisi d’une plainte en vertu de la LNT et « […] une personne peut être à la fois un salarié au sens d’une loi et avoir un autre statut en vertu d’une autre. […] La détermination du statut d’une personne est faite en fonction des définitions et paramètres de chacune des lois[13] ».
En terminant, rappelons que c’est au moment de la rupture du lien d’emploi que se cristallise le statut de la plaignante ou du plaignant. Les parties pourront donc avoir eu un véritable contrat d’entreprise dans les années précédentes, mais c’est la situation telle qu’elle existe au moment du bris du lien d’emploi qu’étudiera le tribunal afin de qualifier la nature du contrat de ces parties.
En résumé, la cour appréciera globalement la situation des parties en ayant l’objectif de déterminer leur intention véritable.
Avant de rédiger et de qualifier une relation contractuelle, les parties auraient donc intérêt à s’interroger quant à ces éléments afin d’éviter une surprise… plusieurs années plus tard!
Source : VigieRT, octobre 2016.