Les employeurs sont parfois confrontés à des réalités économiques ou organisationnelles les obligeant à restructurer leur entreprise. Qu’il s’agisse de l’optimisation des ressources humaines, matérielles ou financières, ou encore de modifications pour une question de survie de l’entreprise, les conséquences sur certains salariés ne sont pas toujours heureuses. En effet, il peut en résulter une perte d’emploi et, même en présence d’un dossier d’un membre du personnel irréprochable, les tribunaux sont sans compétence pour infirmer la décision de l’employeur, sauf lorsqu’elle camoufle un congédiement déguisé.
En milieu syndiqué, plusieurs conventions collectives prévoient la nécessité de transmettre un avis à la personne concernée et au syndicat dans un délai prescrit. L’ancienneté déterminera habituellement l’ordre dans lequel s’opérera une abolition de poste pour une appellation d’emploi donnée. Des conventions collectives peuvent aussi prévoir la nécessité de rencontrer, sur demande, le syndicat afin de convenir « des solutions de rechange susceptibles d’en réduire l’impact sur les personnes salariées » ou encore, plus rarement, restreindre les abolitions de postes aux seuls postes dépourvus d’une ou d’un titulaire. En milieu non syndiqué, bien que le principe de l’ancienneté n’ait pas à être respecté, l’employeur devra utiliser des critères raisonnables, objectifs et impartiaux pour expliquer sa décision et le choix de la personne visée par l’abolition de poste.
Quel que soit le milieu, une chose demeure claire : les restructurations, et leur effet corollaire d’entraîner l’abolition de certains postes, relèvent du droit de gérance et cette décision échappe généralement au contrôle des tribunaux.
Le fardeau de preuve qui repose sur les épaules de l’employeur est de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la restructuration est réelle et découle de véritables motifs économiques ou administratifs. Pour établir la véracité de la restructuration administrative, et qu’il s’agisse d’un licenciement plutôt que d’un congédiement, la preuve requise variera d’un dossier à un autre. De façon générale, et sous réserve de modalités particulières dans certaines conventions collectives, les témoignages de dirigeants impliqués dans la décision sont inévitables et les analyses d’efficience, les mesures de compression prises en parallèle, les données financières pertinentes, les rapports de consultants externes ainsi que les procès verbaux du conseil d’administration, font partie des éléments qu’il peut s’avérer utile de mettre en preuve pour convaincre un tribunal.
Il faut savoir qu’un employeur peut redistribuer les tâches d’un membre du personnel licencié afin de réduire le nombre d’employés. Il est alors toutefois primordial d’être en mesure de démontrer qu’un poste identique ou très similaire n’a pas été créé de façon concomitante à l’abolition d’un poste.
La personne qui conteste une telle mesure devra quant à elle démontrer que la restructuration alléguée de l’employeur n’était qu’un artifice pour la congédier (« congédiement déguisé ») et que l’employeur a fait preuve de mauvaise foi, discriminatoire ou arbitraire, en utilisant un prétexte pour la congédier injustement.
En d’autres termes, un employeur ne peut utiliser le prétexte d’une réorganisation administrative pour se départir des services d’une personne « indésirable » par une abolition de poste fictive. Ce n’est qu’en pareille circonstance que les tribunaux interviendront.
Malgré la simplicité apparente des débats et des enjeux, le nombre de contestations à la suite d’une perte d’emploi découlant d’une réorganisation administrative, pour des motifs économiques ou d’efficience, est considérable. Ainsi, des dizaines de décisions sont rendues année après année, tant par les tribunaux d’arbitrage, en milieu syndiqué, que par le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT »), pour les salariés non syndiqués et les cadres intermédiaires, sans compter la multitude de dossiers qui se règlent à l’amiable.
Une brève analyse de trois décisions rendues très récemment par le TAT illustre la variété des litiges et la teneur des débats.
Dans Piafsky c. Udisco, 2017 QCTAT 4137, le plaignant contestait son congédiement sans cause juste et suffisante, alors que l’employeur plaidait que de graves problèmes financiers avaient nécessité le licenciement de deux salariés, dont le plaignant. L’employeur a démontré devant le tribunal que ses ventes ont chuté drastiquement, notamment en raison de travaux routiers affectant la circulation automobile pour accéder au commerce, et l’accumulation d’un déficit financier important. Pour assurer la survie de l’entreprise, différentes mesures ont été mises en place : un prêt personnel contracté par le président, une tentative infructueuse de vendre l’immeuble, la liquidation de l’inventaire et, ultimement, la fin d’emploi de deux personnes, dont le plaignant. L’entreprise a même fini par fermer ses portes.
La particularité de ce dossier réside dans le fait que le plaignant possédait plus d’années de service que les autres salariés ayant conservé leur emploi. L’employeur a justifié sa décision sur la base d’une meilleure polyvalence ainsi que de la disponibilité et de la compétence plus grandes de ces derniers. La lettre d’abolition de poste était d’ailleurs peu élogieuse à l’endroit du plaignant, faisant notamment état d’erreurs, de manque de rigueur dans son travail, de lacunes professionnelles et de demandes de compensations financières à la moindre tâche supplémentaire. Bref, l’employeur a choisi de conserver les employés les plus utiles pour l’entreprise.
Le tribunal a rejeté le recours du plaignant et conclu qu’il n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé. Les difficultés économiques étaient réelles, et le licenciement du plaignant se justifiait dans le cadre d’une restructuration organisationnelle pour assurer la survie de l’entreprise.
L’affaire Boutin c. 9079-0239 Québec inc., 2017 QCTAT 4235, offre l’exemple d’un poste-cadre qui peut également subir les conséquences d’une restructuration, en l’espèce la directrice générale d’un établissement hôtelier. Après avoir rejeté l’objection de l’employeur indiquant qu’il s’agissait d’une cadre supérieure (qui n’aurait donc pas eu droit au recours de la Loi sur les normes du travail), le tribunal a analysé le fond de la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante. Dans ce dossier, l’employeur a démontré qu’en raison d’une baisse significative de l’achalandage dans le restaurant adjacent à l’hôtel, il a décidé́ d’abolir le poste de la directrice générale, qui s’occupait à la fois du restaurant et de l’hôtel, pour prendre en charge lui-même, avec son épouse, les tâches anciennement effectuées par la directrice générale, et ce, sans rémunération. Cette décision permettait de générer une économie annuelle de 100 000 $.
L’employeur a fait la preuve des difficultés financières du restaurant, en plus du licenciement de trois gérants dans les six mois précédents et d’une diminution de plus de la moitié des employés du restaurant. Ces difficultés se sont soldées par une fermeture définitive du restaurant et de sa mise en faillite dans les mois suivants. Par ailleurs, même si l’hôtel et le restaurant étaient juridiquement deux entreprises distinctes, et que le salaire de la plaignante était payé en totalité par l’hôtel, elles étaient intimement liées, et l’employeur pouvait améliorer la rentabilité de l’une par l’abolition d’un poste dans l’autre.
Le tribunal a donc conclu que la plaignante n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé, mais d’un véritable licenciement fondé sur des difficultés économiques et une restructuration réelle.
Enfin, la décision Faucher c. Construction & Location Jenik inc., 2017 QCTAT 3826, constitue une illustration d’une situation où un tribunal a accepté d’intervenir. Dans ce dossier, la plaignante, une secrétaire-réceptionniste employée depuis 14 mois, soutenait que sa fin d’emploi était illégale puisqu’elle résultait de sa grossesse et non d’une réelle abolition de poste comme le prétendait l’employeur. La preuve a démontré que quelques mois après que la plaignante a annoncé qu’elle était enceinte, l’employeur a requis les services d’un consultant afin de redresser la situation financière de l’entreprise. Ce dernier a alors recommandé d’abolir le poste de la plaignante, qu’il considérait comme non essentiel puisque l’entreprise recevait peu d’appels et que tous les salariés avaient un cellulaire et des boîtes vocales. Il a également recommandé de créer un poste d’adjointe à la comptabilité́, poste qui a alors été affiché sur Emploi-Québec le jour même de la fin d’emploi. Ce poste comportait les tâches de prise d’appels, mais également d’autres tâches relatives à la comptabilité de base et exigeait une « attestation de gestion financière informatisée ».
Pour le tribunal, la plaignante a démontré qu’il s’agissait d’un congédiement déguisé puisque l’employeur a affiché un emploi très similaire à celui de la plaignante et visait des tâches comparables. De plus, la description de poste et l’exigence d’attestation ont été préparées uniquement après l’embauche de la remplaçante de la plaignante. Bien que l’employeur ait décidé́ que cette dernière ne pouvait pas occuper ce nouveau poste en raison de certaines tâches exigeant des connaissances qu’elle n’avait pas, ni le consultant ni le président de l’entreprise ne connaissaient la formation de la plaignante et ils ne l’ont jamais questionnée sur ses compétences.
Le tribunal a donc jugé que la réorganisation alléguée n’expliquait pas la fin d’emploi de la plaignante et qu’il s’agissait plutôt d’un prétexte utilisé pour congédier une salariée enceinte. La réintégration de la plaignante chez l’employeur a en conséquence été ordonnée.
Bref, outre les cas où l’employeur use du couvert de la réorganisation pour mettre fin à l’emploi d’un membre du personnel qui n’aurait pu, légalement, être autrement congédié, les abolitions de postes relèvent du droit de gérance, et les salariés qui en subissent les conséquences sont sans véritable recours. Malgré le sentiment d’injustice qu’une telle perte d’emploi peut susciter chez la personne touchée, il revient à l’employeur de gérer ses ressources et de prendre les mesures qui s’imposent afin de mener à bien les destinées de son entreprise. Même si la question peut se poser différemment pour les organismes sans but lucratif ainsi que dans le secteur public ou parapublic, la réalité est la même : les budgets restreints, l’optimisation des ressources et la nécessité de « faire plus avec moins » peuvent entraîner leurs lots d’inconvénients, notamment des pertes d’emploi pour des raisons administratives.
Source : VigieRT, novembre 2017.