En vertu de son contrat de travail, le salarié est tenu de fournir une prestation normale de travail sous la direction et le contrôle de son employeur. Cette obligation entraîne le droit pour l’employeur d’effectuer un suivi rigoureux lors d’une absence pour cause de maladie.
D’ailleurs, dans l’arrêt Honda Canada inc. c. Keays[1], la Cour suprême rappelait que :
« […] un employeur doit assurer le suivi du dossier des employés qui s’absentent régulièrement, étant donné la nature même du contrat d’emploi et l’obligation qui lui incombe de gérer ses ressources humaines. »
De plus, l’employeur doit prendre toutes les mesures appropriées à la nature du travail exécuté pour protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié[2].
Toutefois, cet exercice de contrôle des absences pour cause de maladie doit se faire dans le respect du droit à la vie privée du salarié tel que protégé par la Charte des droits et libertés de la personne et le Code civil du Québec[3].
Le présent texte permet de faire un survol de certaines décisions rendues en interprétation d’une convention collective, mais dont certains principes peuvent s’appliquer en milieu non syndiqué.
Il est établi par l’ensemble des arbitres que le salarié a l’obligation de justifier son absence pour cause de maladie[4]. Dans une décision récente[5], l’arbitre mentionne :
« La jurisprudence est unanime sur la question suivante, que l’employeur a le droit de vérifier l’état de santé d’un employé qui se prétend invalide. »
L’employeur qui désire vérifier ou contrôler les absences pour cause de maladie de ses salariés peut requérir différents renseignements selon les circonstances. Il pourra s’agir d’une déclaration écrite ou verbale du salarié indiquant qu’il est malade ou d’une « attestation médicale » d’invalidité, soit un billet signé par le médecin confirmant son invalidité sans autre précision ou un « certificat médical » qui précise le diagnostic, les traitements et le pronostic de retour au travail.
Il est généralement établi que dans les cas d’absences occasionnelles et de courte durée, l’employeur devra se contenter d’une déclaration du salarié.
Dans l’affaire Syndicat des technologues d’Hydro-Québec, section locale 957 (SCFP) et Hydro-Québec, l’arbitre précise ce qu’un « certificat médical » constitue :
« […] Un “certificat médical”, au sens généralement retenu en relations de travail, correspond donc à un document par lequel le médecin indique “l’état de santé ou la capacité physique d’une personne”. La “cause exacte” de la maladie, la durée ou la nature de l’invalidité entre dans la description de “l’état de santé ou de la capacité physique d’une personne”. »
Dans quelle mesure un employeur peut-il exiger un « certificat médical »? À de nombreuses reprises, les arbitres ont eu à analyser cette question. Dans la décision Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce section locale 503 c. Société des casinos du Québec inc.[6],l’arbitre résume l’état de la jurisprudence de la façon suivante :
- « Le fait de prévoir conventionnellement un régime de congés de maladie qui implique l’autorisation des absences ne signifie pas que l’employeur s’en trouve empêché de vérifier au nom de ses prérogatives de gestion la légitimité des absences pour maladie, dans la mesure où la convention collective ne le contraint pas à cet égard.
- Le fait de prévoir conventionnellement qu’une absence de courte durée ne requiert pas d’attestation médicale n’empêche pas l’employeur d’en faire la demande, auquel cas le salarié a l’obligation de donner suite.
- S’il y a des motifs sérieux ou raisonnables de croire qu’il y a abus ou de douter de la raison (maladie) invoquée par le salarié, l’employeur peut exiger la production d’un certificat pour toute absence, quelle qu’en soit la durée.»
Voici quelques exemples retracés au sein de la jurisprudence où on a jugé que l’employeur avait des motifs raisonnables de demander un certificat médical :
- Absence prolongée (il est hasardeux de fixer arbitrairement ce qui pourrait constituer une absence prolongée, on a déjà reconnu qu’une absence dépassant trois journées consécutives pouvait satisfaire à ce critère, de nombreuses conventions collectives utilisent d’ailleurs ce point de référence);
- Historique d’absences antérieures qui excèdent un seuil raisonnable;
- Absentéisme en période de pointe ou de manque de personnel;
- Salarié à qui on a refusé une journée de congé, mais qui s’absente cette même journée;
- Employé dont les absences coïncident avec des périodes particulières (chasse, pêche, activités sportives ou suivant un congé férié);
- Absentéisme frauduleux ou présumé frauduleux.
Dans le but d’évaluer objectivement et rigoureusement les absences pour cause de maladie, de nombreux employeurs ont mis en place des politiques régissant leur cadre d’intervention, soit de façon unilatérale ou à même la convention collective.
Existence d’une politique en matière d’absentéisme ou de dispositions précises prévues au sein d’une convention collective
Plusieurs employeurs exigent, au sein d’une politique portant sur l’absentéisme, la remise d’un certificat médical précisant, entre autres, un diagnostic lorsqu’un salarié est absent au-delà d’un certain nombre de journées consécutives.
Dans l’affaire Aliments Culinar Canada inc. division Viau et Syndicat national de la biscuiterie de Montréal[7], l’arbitre doit évaluer la validité d’une politique de ce type. Il conclut à la validité de cette politique et se prononce de la façon suivante relativement à la question du droit au respect de la vie privée :
« À mon avis, lorsqu’une salariée [...] invoque la maladie au soutien de son absence, elle se place elle-même sur le “terrain” de sa vie privée. Tout comme il est reconnu que la personne qui met en litige son état de santé doit se soumettre à un examen physique et permettre l’accès à son dossier médical – renonçant ainsi à sa vie privée et au caractère confidentiel de son dossier médical – j’estime que la salariée qui justifie son absence au travail par un motif de “maladie” renonce également au caractère protégé de cet aspect bien précis de sa vie privée. [...]
Je ne crois pas qu’un salarié puisse, d’une part, soutenir qu’il s’est absenté parce qu’il a été malade et, d’un autre côté, refuser à son employeur de vérifier et d’évaluer ce motif – lié pourtant directement à sa vie privée – en invoquant une contravention à l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne. Dans son essence, j’estime que la démarche du salarié – qui est seul à pouvoir déterminer le motif de son absence – implique, par sa référence à la maladie, le dévoilement d’un aspect de sa vie privée qui a pour effet de relativiser le caractère absolu du droit prévu à l’article 5 de la Charte. »
Un autre arbitre retient aussi, dans une décision récente[8], que l’état de santé d’une personne est une composante de sa vie privée. Toutefois, lors d’une absence pour cause de maladie, le salarié doit justifier cette absence et renoncer de façon implicite à la confidentialité de son dossier médical.
La jurisprudence arbitrale fortement majoritaire a confirmé à maintes reprises la validité d’une politique qui prévoit le contrôle des absences pour cause de maladie et permet d’exiger la remise d’un certificat médical précisant au moins un diagnostic, mais quelques décisions remettent en cause l’opportunité de relier l’exigence de remettre un tel certificat à un nombre précis de jours d’absence.
Malgré la présence d’une telle politique, un employeur pourra exiger un certificat médical pour une absence plus courte si ses motifs sont sérieux ou raisonnables, tel que nous l’avons vu précédemment.
Absence de politique et silence de la convention collective
Le silence de la convention collective ou l’absence d’une politique en la matière n’empêche évidemment pas l’employeur de contrôler les absences pour cause de maladie des salariés et d’exiger, sur la base de motifs raisonnables, la production d’un certificat médical dûment rédigé par un médecin.
CONCLUSION
Un employeur peut contrôler les absences pour cause de maladie et exiger une justification au salarié qui s’absente, et ce, en application de ses droits de gérance. Si le respect de la vie privée du salarié est au cœur du questionnement relatif à la justification de son absence, celle-ci devra céder le pas à l’un des fondements du contrat de travail, soit la prestation qu’il doit fournir. La teneur de la justification requise devra être modulée en fonction de chaque situation.Pour obtenir des renseignements sur le cabinet ou pour consulter ses publications, cliquez ici.
Source : VigieRT, novembre 2012.
1 | [2008] 2 R.C.S. 362, au paragraphe 71. |
2 | Code civil du Québec, L.R.Q., c C-64 (article 2087). |
3 | Charte québécoise des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c C-12 (article 5) et Code civil du Québec, L.R.Q., c C-64 (articles 3 et 35). |
4 | Cette obligation est bien résumée par l’arbitre Jobin dans l’affaire Bridgestone/Firestone Canada inc. et Syndicat des travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette, S.A. 95-03-14. |
5 | Syndicat des employés et employées du bureau du Réseau de transport de Longueuil, section locale 3332 du SCFP et Réseau de transport de Longueuil, 2010 EXPT-2322, paragraphe 76. |
6 | Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce section locale 503 c. Société des casinos du Québec inc., [2003] R.J.D.T. 1393. |
7 | Aliments Culinar Canada inc. division Viau et Syndicat national de la biscuiterie de Montréal, S.A. 94-05-13. |
8 | Syndicat des travailleuses et travailleurs du Pavillon St-Joseph (C.S.N.) et Pavillon St-Joseph, 2010 EXPT-2471. |