Le 25 juillet 2014, la Cour suprême a rendu une décision qui a un impact important sur le droit de l’emploi au Québec et qui signifie le retour au statu quo pour les employeurs. La Cour suprême devait trancher la question suivante : durant la période de délai de congé donné par un salarié à son employeur conformément à l’article 2091 du Code civil du Québec (ci-après le « C.c.Q. »), l’employeur peut-il résilier le contrat d’emploi sans rémunérer le salarié ni même lui verser l’indemnité compensatrice prévue à l’article 83 de la Loi sur les normes du travail (ci-après la « LNT »)?
Contexte
Or, le 19 février 2008, l’employeur a décidé de mettre fin unilatéralement au contrat du salarié sans respecter le délai de trois semaines préalablement donné par ce dernier. La Commission des normes du travail (ci-après « CNT ») s’est pourvue devant la Cour du Québec afin d’obtenir le délai de congé, et ce, même si le salarié avait droit à un préavis statutaire de quatre semaines en raison de ses années de services.
La Cour du Québec
En juillet 2010, la Cour du Québec a accueilli la demande et a condamné l’employeur à payer au salarié une indemnité tenant lieu de délai de congé correspondant aux trois semaines réclamées en plus de l’indemnité afférente au congé annuel. Le juge a justifié sa décision en s’appuyant sur la tendance jurisprudentielle dominante. Il a conclu que priver les salariés de leur droit à l’indemnité équivalant au délai de congé aurait pour effet de les inciter à résilier leur contrat de travail sans préavis et, ainsi, causer un préjudice potentiel à l’employeur[1]. Donc, le juge de première instance a réaffirmé le droit du salarié de choisir le moment où sa cessation d’emploi sera effective, à moins qu’il n’existe un motif sérieux qui peut justifier la résiliation immédiate de son contrat d’emploi (2094 C.c.Q.). Il a repris une fois de plus la distinction entre l’employé qui annonce son intention de démissionner à une date ultérieure au moyen d’un préavis et celui qui démissionne sur-le-champ en offrant ses services pour une période additionnelle raisonnable.
La Cour d’appel
En mars 2013, la Cour d’appel a accueilli le pourvoi avec dissidence. La majorité a décidé que l’article 2091 C.c.Q. vise la protection du cocontractant qui reçoit le préavis. Dans ce contexte, elle souligne que l’employeur a le privilège de renoncer au délai de congé (art. 2091 C.c.Q.) du salarié démissionnaire en tout temps. De surcroît, la Cour a déterminé que si l’employeur choisit de renoncer au délai de congé, il ne met pas fin au contrat de travail unilatéralement selon les termes de l’article 82 LNT. En conséquence, l’indemnité compensatrice relative à la protection offerte par la LNT n’est pas obligatoire dans les circonstances. Cette décision de la Cour d’appel a créé une onde de choc dans les milieux de travail puisqu’elle permettait dorénavant à un employeur de renoncer au délai de congé offert par son salarié démissionnaire et de mettre un terme immédiat à la relation contractuelle sans obligation de lui verser ledit délai de congé, ni même l’indemnité prévue à l’article 82 LNT. La Commission des normes du travail a interjeté appel.
La Cour suprême
Dans l’affaire Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., la Cour suprême a accueilli le pourvoi et a rétabli le jugement de première instance.
Le plus haut tribunal du pays s’est prononcé sur l’existence d’une discrétion de l’employeur de mettre fin prématurément au contrat de travail d’un salarié ou de lui verser, le cas échéant, une indemnité correspondant au délai de congé raisonnable donné par le salarié.
La Cour a décidé que la discrétion de l’employeur avait ses limites et a ainsi réaffirmé quelques principes de base concernant le contrat à durée indéterminée et le délai de congé raisonnable. À cet égard, la Cour, de façon unanime, a rappelé qu’en vertu de l’article 1439 C.c.Q., un contrat ne peut être modifié sans le consentement des deux parties. Ainsi, l’employeur ne peut résilier le contrat de travail de son employé unilatéralement sans lui accorder un délai de congé raisonnable satisfaisant aux critères établis à l’article 2091 C.c.Q., à moins que la fin d’emploi ne soit due à un motif sérieux (art. 2094 C.c.Q.). Aux dispositions du droit commun, s’ajoutent les dispositions statutaires de la LNT selon lesquelles l’employeur doit donner un avis écrit au salarié, lorsqu’il choisit de mettre fin à son emploi. La durée de l’avis dépend des années de service continu du salarié et ne représente qu’une norme minimale qui doit être bonifiée par les circonstances particulières énoncées à l’article 2091 C.c.Q. Par ailleurs, si l’employeur ne souhaite pas permettre au salarié d’exécuter sa prestation de travail jusqu’au terme prévu, une compensation pécuniaire équivalente au préavis est aussi prévue par la Loi (art. 83 LNT).
Par cette décision, la Cour a réitéré le fait que la LNT a pour objectif de protéger les salariés en raison de l’asymétrie existante dans les rapports employés-employeurs. Les dispositions de la LNT doivent donc être interprétées et appliquées en tenant compte de ce contexte historique.
En conséquence, le fait d’accorder un délai de congé ne met pas fin au contrat de travail sur-le-champ. Dans les faits, chaque partie est tenue de satisfaire à ses obligations contractuelles jusqu’à la date prévue par le délai de congé. Sur ce dernier point, la Cour suprême rejette la prétention de la majorité de la Cour d’appel selon laquelle le délai de congé « retarderait » la fin d’emploi du salarié. En réalité, la Cour est plutôt d’avis que c’est le contrat de travail qui continue d’exister jusqu’à l’expiration dudit délai de congé.
La Cour suprême a accepté l’opinion minoritaire de la Cour d’appel selon laquelle le délai de congé ne peut être traité sous l’angle d’une « renonciation ». Dans ce contexte, aviser d’un départ ultérieur ne met pas fin immédiatement aux obligations contractuelles des deux parties. Ainsi, la Cour a entériné le principe selon lequel un employeur qui ne rémunère pas son salarié et qui ne lui permet pas de fournir sa prestation de travail manque à ses obligations contractuelles qui demeurent en vigueur jusqu’à la fin du contrat. Ainsi, « si l’employeur refuse de laisser le salarié fournir sa prestation de travail et de le rémunérer pendant le délai de congé, il se trouve à “mettre fin au contrat” au sens de l’art. 82 de la Loi sur les normes du travail » (par. 41). En d’autres termes, l’employeur qui prive son salarié de l’exécution en nature de ses obligations devra l’indemniser au moyen d’une compensation pécuniaire.
Sur la question de savoir si l’obligation de donner un délai de congé en fonction de l’article 2091 C.c.Q. est réciproque, la Cour suprême a reconnu que théoriquement cette obligation incombe aux deux cocontractants. Dans l’éventualité où un employeur serait en mesure de prouver un dommage découlant du départ précipité du salarié, il pourrait entreprendre un recours en réparation du préjudice subi. Par ailleurs, la Cour a souligné que le délai de congé prévu à l’article 2091 C.c.Q. est bénéfique pour les deux parties puisque chacune d’elles dispose d’un délai raisonnable pour assurer la transition.
Dans la deuxième partie du jugement, la Cour suprême a rejeté le raisonnement a contrario proposé par la Cour d’appel concernant l’article 2092 C.c.Q. Elle a déterminé que l’interdiction formelle pour un salarié de renoncer a priori au délai de congé prévu à 2091 C.c.Q. ne signifie pas que les employeurs peuvent refuser pour autant un délai de congé raisonnable de la part de leur employé.
Au demeurant, il ressort du ratio de la Cour que l’étendue des obligations des parties pourra varier selon deux genres de fin d’emploi. En effet, seront traitées différemment des situations où 1) un employé qui entend démissionner sur-le-champ offre ses services à l’employeur en guise d’accommodement et 2) la situation où le délai de congé devra être perçu uniquement comme un avertissement sans résiliation immédiate du contrat. La distinction est cardinale puisqu’elle permet de qualifier la fin d’emploi d’unilatérale ou de consensuelle et donc, de fixer les droits et obligations des parties sur la nécessité de fournir un délai de congé.
Finalement, bien que la Cour ait laissé entendre que le salarié aurait eu droit à une indemnité supérieure à trois semaines de salaire, conformément à l’article 82 LNT, elle n’a pas cru opportun de se prononcer sur le caractère d’ordre public de protection ou de direction des articles 82 et 83 LNT. Dans ce contexte, elle a fait uniquement droit à la réclamation de la CNT telle que libellée devant toutes les instances. Dans les faits, il n’est pas dit que les tribunaux soient appelés à trancher cette dernière question le cas échéant.
Cette décision vient mettre un terme à la controverse découlant de la décision de la Cour d’appel. Ainsi, lorsqu’un salarié annonce sa démission à son employeur en lui donnant un délai de congé (qui, en pratique, s’apparente à deux semaines), l’employeur peut 1) rémunérer le salarié pour la durée de ce délai de congé ou 2) mettre un terme lui-même à la relation d’emploi en remettant au salarié une indemnité équivalente au délai de congé reçu. Or, cette décision ouvre la porte à d’autres questions. Outre le débat portant sur le caractère d’ordre public de la LNT, soit un ordre public de direction ou de protection, et celui portant sur le recours en dommage contre le salarié qui omet de donner un délai de congé raisonnable, il y aura certainement des interrogations portant sur la durée du délai de congé donné par le salarié et son caractère raisonnable. Dès lors, en donnant un délai de congé qui semble déraisonnable, le salarié forcera en quelque sorte son employeur à lui octroyer un délai de congé raisonnable et à assumer la décision qu’il aurait prise s’il avait mis fin à l’emploi du salarié, et ce, nonobstant le désir clair du salarié de démissionner. L’avenir nous permettra d’apprécier l’application que les tribunaux feront de cette décision et des questions qui en découlent.
Source : VigieRT, septembre 2014.
1 | Commission des normes du travail c. Asphalte Desjardins inc., 2010 QCCQ 7473 (CanLII), par. 44. Id., par. 46. |