Vous lisez : Renonciation à la réintégration et mesures de réparation

Le 20 décembre 2013, un juge administratif a rendu une décision sur le quantum des mesures de réparation suivant l’accueil de deux plaintes, la première en vertu de l’article 122 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) et la seconde, en vertu de l’article 124 L.N.T[1]. Cette décision souligne le droit d’un employé de renoncer à une réintégration ordonnée à la suite d’un jugement rendu accueillant une plainte pour congédiement injustifié selon l’article 122 L.N.T. et de recevoir, en lieu et place, le paiement d’une indemnité de perte d’emploi après l’accueil de sa plainte selon l’article 124 L.N.T.

LES FAITS

Le plaignant
Le plaignant occupait un poste de directeur des finances depuis 7 ans pour une entreprise pancanadienne œuvrant dans le domaine de la sécurité qui compte 1600 employés. Il était notamment responsable de la production des états financiers.

Au moment de son congédiement, le plaignant était âgé de 61 ans, et son revenu d’emploi était d’environ 80 000 $, auquel s’ajoutait une gamme d’avantages sociaux.

Les faits entourant le congédiement
L’employeur s’était vu confier un projet spécial fort important nécessitant la mise sur pied d’un groupe de travail, dont le plaignant faisait partie. Ce projet a débuté le 4 janvier 2011 et devait être complété le 1er avril 2011.

La preuve a révélé que le plaignant s’est absenté pour une intervention chirurgicale du 10 février 2011 au 2 mars 2011. L’employeur a dû procéder à l’embauche d’un consultant temporaire pour pallier cette absence.

Sans préavis ni raison particulière, le plaignant a été congédié en juillet 2011 après qu’il eut terminé la production des états financiers de l’entreprise. Ce dernier a déposé deux plaintes afin de contester cette fin d’emploi inopinée.

La première audience à la CRT
Le 15 mars 2013, un juge administratif a accueilli les deux plaintes au fond déposées pour le plaignant et a réservé sa compétence pour le quantum.

Dans un premier temps, il a accueilli la plainte déposée en vertu de l’article 122 L.N.T. :

« La Commission conclut que le fait que le requérant se soit absenté en raison de son état de santé a joué un rôle dans la décision de l’employeur de le congédier. La présomption établie en sa faveur n’est donc pas repoussée[2]. »

Dans un deuxième temps, le juge administratif a accueilli la plainte déposée en vertu de l’article 124 L.N.T. :

« La preuve ne démontre pas de motifs disciplinaires suffisants pour mettre un terme à l’emploi du requérant. Par ailleurs, la compétence de celui-ci n’est pas mise en cause, car l’employeur a attendu qu’il ait terminé les travaux de fin d’exercice financier pour le congédier[3]. »

Le juge administratif a donc annulé le congédiement, ordonné la réintégration du plaignant dans son emploi en application de l’article 122 L.N.T. et a réservé sa compétence pour déterminer les mesures de réparation appropriées, y compris le calcul du quantum des dommages subis.

Les emplois subséquents occupés par le plaignant
Entre la fin de son emploi et l’audition sur le quantum, le plaignant a occupé deux postes (en juillet 2012 et en mars 2013) qu’il a perdus à la suite de restructurations.

L’entente entre l’employeur et le plaignant
Pour faire suite à la sentence rendue accueillant les plaintes, l’employeur a convenu avec le plaignant d’une entente financière de dédommagement couvrant la période du 11 juillet 2011 au 15 mars 2013, soit la période entre la fin d’emploi et la décision accueillant les plaintes de congédiement injustifié. Cette entente couvre notamment la perte salariale, la contribution de l’employeur au REER, un boni annuel et une indemnité pour vacances.

En raison d’une mésentente avec son ancien employeur sur les sommes à verser à titre d’indemnité de perte d’emploi, le plaignant a saisi le tribunal de cette mesure de réparation. Le plaignant a cependant réservé ses droits et recours relativement à l’indemnité de perte d’emploi.

LA DÉCISION SUR LE QUANTUM – RÉCLAMATION DU PLAIGNANT

Lors de l’audition, le plaignant a soutenu que sa réintégration était impossible notamment en raison de la perte de confiance entre le directeur général et lui-même. Il a alors informé le tribunal de sa décision de renoncer à l’ordonnance de réintégration dans son emploi contenue au jugement initial. À la place, le plaignant a réclamé une indemnité pour perte d’emploi d’environ 50 000 $ en raison de la renonciation à ce droit.

La prétention de l’employeur
Essentiellement, l’employeur a fait valoir qu’en ordonnant la réintégration le 15 mars 2013, le juge administratif avait épuisé sa compétence et ne pouvait octroyer d’autres dommages. À son avis, la décision rendue le 15 mars 2013 était ainsi définitive et accueillait la demande formulée par le plaignant, soit sa réintégration. Celui-ci ne peut pas, de l’avis de l’employeur, changer d’idée au moment de la décision sur le quantum.

Subsidiairement, l’employeur a argumenté que l’indemnité de perte d’emploi visait à assister le plaignant dans sa recherche d’emploi et devait déduire toute somme gagnée ailleurs. L’indemnité de perte d’emploi, si elle devait être ordonnée, a pour vocation d’aider un salarié à se retrouver un emploi. Comme le plaignant en a trouvé deux, ce n’est pas à l’employeur de compenser.

La décision
Le juge administratif a précisé que les recours prévus aux articles 122 et 124 L.N.T. ont des objets différents. Un recours en vertu de l’article 122 L.N.T. pourrait être rejeté alors qu’un recours en vertu de l’article 124 L.N.T. serait accueilli sur la base des mêmes faits[4]. Toutefois, le juge administratif a déclaré que toute plainte accueillie en vertu de l’article 122 L.N.T. est également accueillie en vertu de l’article 124 L.N.T. :

« Un congédiement illégal est nécessairement un congédiement sans cause juste et suffisante[5]. »

De l’avis du tribunal, l’employeur qui fait face à deux plaintes basées sur les mêmes faits doit faire la preuve :

  • Dans un premier temps, que la cause de congédiement n’est pas une pratique prohibée, selon l’article 122 L.N.T.;
  • Dans un deuxième temps, que la cause constitue une cause juste et suffisante, selon l’article 124 L.N.T.

Dans le cas en l’espèce, bien que le plaignant ait renoncé à la réintégration dans son emploi prononcée à la suite de l’accueil de sa plainte par le tribunal en application de l’article 122 L.N.T., il ne perdait pas la possibilité d’octroi d’autres bénéfices tel que prévu à l’article 128 L.N.T., car la plainte constituée en vertu de l’article 124 L.N.T. qui contestait également la fin d’emploi avait également été accueillie. Ainsi, les pouvoirs de la Commission lui permettant d’ordonner d’autres mesures de réparation lorsqu’elle accueille une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante demeuraient intacts.

Conséquemment, le juge administratif a conclu finalement que le paiement d’une somme de 25 000 $ à titre d’indemnité de perte d’emploi, équivalant à près de 4 mois de salaire, était raisonnable dans les circonstances.

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Source : VigieRT, février 2014.


1 Rivard et Corps canadien des commissionnaires (division de Montréal), 2013 QCCRT 0600, D.T.E. 2014T-55.
2 Para 11.
3 Para 12.
4 Para 34.
5 Para 54.
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