Nul doute que les régimes de retraite furent l'enjeu majeur de 2012 dans les relations de travail. En 2011, tout laissait déjà présager que ce sujet allait bientôt monopoliser les discussions et les négociations, voire être au cœur des litiges. Les douze derniers mois ont clairement confirmé cette tendance.
« Évidemment, ce sont pour des raisons pratico-pratiques, relève Michel Grant, professeur associé à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM. C'est à cause du rendement des marchés. Il a eu un impact sur la situation financière des régimes de retraite et entraîné des déficits actuariels, ainsi que des baisses importantes dans les taux de solvabilité de certains régimes. » Il souligne que cet enjeu ne sera sans doute pas temporaire, considérant le vieillissement de la population. Il prévoit que dans le secteur public, très prochainement, il y aura des demandes gouvernementales en raison de « la fragilité des régimes à prestation déterminée ».
Plusieurs employeurs cherchent depuis un moment à transformer les régimes à prestation déterminée en régime à cotisation déterminée, « avec ceux-ci, ce sera les futurs travailleurs qui vont prendre tous les risques », craint Jacques Létourneau, président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN).
Suzanne Thérien, sous-ministre adjointe aux relations du travail au ministère du Travail, observe que cette question amène une nouvelle donne dans les négociations. « Les régimes de retraite doivent être considérés sur une longue période. Souvent, dans les négociations, on a une perspective de deux, trois ou quatre ans. Là, il faut regarder sur 15 ans et se pencher sur ce qu'on a fait dans les 10 à 15 dernières années. Et il faut travailler avec de l'information avec laquelle les comités ne sont pas nécessairement habitués de travailler. » Elle précise que le coefficient de difficulté est plus élevé, puisque « ce ne sont pas des questions qu'on peut régler rapidement. Ça demande l'intervention d'actuaires, ça prend une consultation des actifs et des retraités ainsi que plusieurs études et des discussions. »
Dans les dossiers où le Ministère a dû intervenir à ce sujet, « les partis travaillent très fort à trouver des solutions, parce que la solution facile n'existe pas », observe Mme Thérien.
La Régie des rentes du Québec a mis sur pied un comité spécial, piloté par Alban D'Amours, pour se pencher sur l'avenir des régimes de retraite. Le rapport devrait être déposé à l'hiver 2013. « On réclame, au terme de la commission d'Amours, la mise sur pied d'un comité réunissant les employeurs et les syndicats avec l'État pour débattre de l'avenir des régimes de retraite, déclare M. Létourneau. On pense qu'on est incontestablement mûr pour un vrai débat de société sur l'avenir des régimes de retraite. »
« La bonne nouvelle là-dedans, laquelle a malheureusement souffert de peu de visibilité, c'est l'entente entre la Ville de Montréal et ses cols bleus », remarque Florent Francoeur, président-directeur général de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA). En effet, le 20 octobre, près de 3 mois avant l'échéance de la convention collective, les 4 400 cols bleus ont accepté l'entente de principe conclue entre la ville et leur syndicat. Ils ont ainsi entériné la mesure voulant que la cotisation des employés, versée au régime de retraite, augmente. « Ce n'est pas rien », souligne Florent Francoeur. M. Grant partage ce constat, en ajoutant que les chauffeurs d'autobus et de métro de la Société des transports de Montréal (STM) ont aussi conclu une entente, plus tôt cette année. Le régime de retraite constituait le principal point de discorde dans ce dossier. « On ne peut pas dire que ce sont des syndicats complaisants à l'égard de l'employeur », précise M. Grant. « On voit qu'à la Ville de Montréal il y a eu assainissement des relations de travail », tient d’ailleurs à signaler Mme Thérien. Plus de 3 000 griefs y ont été réglés en 2012.
Par contre, l'un des conflits de travail les plus tendus de l'année, celui à la Commission de la construction du Québec (CCQ), a dégénéré alors que le principal litige concernait le déficit actuariel de 136 millions de dollars à renflouer dans le régime de retraite. Pendant environ 7 semaines, 600 travailleurs de la CCQ ont été en grève, alors que leur convention collective était échue depuis 2009. Un court lock-out de quelques jours a précédé la grève, puis un autre a suivi l'entente alors qu'il y a eu bisbille autour de sa version écrite.
Cet arrêt de travail a non seulement compromis l'inspection des chantiers, mais aussi paralysé la CCQ, alors que la Loi 33, adoptée en 2011, prévoyait, cette année, lui transférer la responsabilité du placement de la main-d’œuvre dans le milieu de la construction. Un projet de loi, cet automne, est d'ailleurs venu reporter au 9 septembre 2013 l'implantation du nouveau système de référence, alors que des mesures transitoires s'amorceront en février prochain. « On dit que la CCQ va pouvoir gérer la situation, mais on n'a pas encore reçu l'aval assez complet des partenaires syndicaux, ce qui semble toujours attendu, commente M. Francoeur. Je pense que la nouvelle ministre du Travail [Agnès Maltais] veut continuer à travailler pour qu'il y ait une meilleure participation des syndicats. »
À Ottawa, le gouvernement fédéral a poursuivi sur sa lancée interventionniste. La Chambre des communes a voté une loi spéciale pour empêcher un lock-out ou une grève dans le bras de fer opposant Air Canada à ses 8600 mécaniciens, machinistes et bagagiste, ainsi que dans celui impliquant la compagnie aérienne et ses pilotes. Une mesure qui n’est pas sans rappeler la loi spéciale adoptée en 2011 lors des négociations entre Air Canada et ses agents de bord. Une fois de plus, la fragilité de l'économie a été invoquée. « Au fédéral, la notion de service essentiel est beaucoup plus élastique qu'à Québec », note M. Grant, qui rappelle que « par définition, une grève c'est un rapport de force économique. »
Le gouvernement a persisté et signé, un peu plus tard dans l'année, en adoptant une loi spéciale pour mettre fin à la grève entamée par 4 500 employés du Canadien Pacifique. Cette mesure a été justifiée par les mêmes arguments. Cette situation « déséquilibre beaucoup les rapports de force employés-employeurs », indique Florent Francoeur. Certains observateurs ont d'ailleurs soupçonné le Canadien Pacifique d'avoir négocié de mauvaise foi après avoir constaté le penchant du gouvernement dans le dossier d'Air Canada.
Un autre coup dur a été asséné au milieu syndical il y a quelques jours à peine. Le projet de loi C-377, adopté à la Chambre des communes, forcera les organisations ouvrières à rendre publics leurs dépenses et plusieurs autres renseignements comptables. Cette règle de transparence ne vise que les organisations syndicales, risquant ainsi de déséquilibrer le rapport de force avec la partie patronale. « C'est extrêmement insidieux comme approche. De telles mesures ont déjà été prises aux États-Unis et y ont freiné l'élan des syndicats. À l'avenir, si, par exemple, un syndicat voulait embaucher un consultant en communication pour préparer une campagne de syndicalisation ou de négociation, il devra ouvrir son jeu en public, alors que c'est le genre de choses que tu ne veux pas publiciser, parce que tu vas partir avec deux prises contre toi », illustre M. Létourneau. Il confirme que des contestations devant les tribunaux sont envisagées.
Malgré tout, la paix industrielle se maintient. Soixante-six conflits de travail, touchant un peu plus de 8 300 travailleurs, ont été répertoriés de janvier à novembre 2012 par le ministère du Travail. Les grèves et lock-out, qui se sont déroulés dans la dernière année, ont jusqu'à maintenant entraîné 236 000 jours-personnes perdus en 2012. Aucun revirement notoire, donc, par rapport aux dix dernières années. « Les parties n'utilisent pas l'arrêt de travail comme moyen privilégié pour arriver à un résultat en négociation », observe Mme Thérien. Elle déconstruit le mythe voulant que le nombre de lock-out ait augmenté en proportion, ce qu'elle qualifie de « légende urbaine ». Dans les dix dernières années, « tout a diminué, incluant les lock-out ».
« Le contexte n'est pas propice au conflit de travail, ajoute M. Grant. Pour qu'il y en ait un, il faut vraiment qu'on touche à un noyau dur. À ce moment-là, la probabilité qu’une grève ou qu’un lock-out soit plus long augmente. »
« Cette année, un seul dossier a eu énormément d'influence sur les résultats », signale Mme Thérien. Le lock-out à Rio-Tinto Alcan, qui a mis 755 travailleurs sur le trottoir pendant près de 6 mois, représente à lui seul 44,7 % des jours-personnes perdus dans l’année, soit 105 700.
Ce conflit de travail se butait à des questions loin d'être nouvelles : la sous-traitance et le plancher d’emploi. N'empêche, ces problèmes sont « plus importants en ce moment, parce que les emplois sont plus fragiles. Les gens craignent de perdre des emplois solides et bien rémunérés, juge Mme Thérien. À la table de négociation, tout ce qui est lié à la sécurité d'emploi, c'est très important pour les parties ».
Florent Francoeur indique aussi que les fermetures sauvages dues à des délocalisations d’emplois ou à de la sous-traitance effectuée dans d'autres pays, comme dans le cas d'Aveos, « ont beaucoup teinté le paysage des relations de travail cette année. »
La CSN a d'ailleurs réuni en 2012 tous ses syndicats du milieu privé pour entamer une réflexion sur les rapports de force en cette époque mondialisée. « La concurrence parfois ne s'exerce plus seulement entre deux entreprises différentes, mais aussi au sein de la même multinationale », soulève-t-il au sujet de la sous-traitance et de la délocalisation.
Source : VigieRT, décembre 2012.