Vous lisez : Réflexions du groupe Lavery de Billy

Oser faire quelques prévisions est hasardeux, mais à la lumière de positionnements juridiques récents ou en questionnement, il est permis de réfléchir à des orientations possibles.

À quelques mois du début de l'année 2010, diverses problématiques apparaissent en toile de fond, lesquelles sont accompagnées de solutions encore perfectibles. Parmi celles-ci, notons entre autres la pénurie de main-d’œuvre et la perte de l'expertise dans certains secteurs d'activité, la conciliation travail-famille et les préoccupations entourant la viabilité des régimes de retraite ainsi que le vieillissement du personnel et l’entrée des jeunes sur le marché du travail dans un contexte de précarité qui se traduit par des contrats de travail aux modalités différentes : travailleurs autonomes, possibilité d'accréditation du personnel d'organisations composées de quelques personnes seulement (p. ex., responsables de services de garde et ressources de type familial et intermédiaires dans le réseau de la santé), travail à temps partiel, pigistes ou contractuels, etc.

Par ailleurs, la négociation collective s'avère souvent ardue, et les parties s'opposent en usant de moyens que nous croyions bien connus. Sur ce point, un litige impliquant la presse écrite nous apporte des illustrations intéressantes. Commençons par cette illustration de l'impact potentiel d'Internet sur les relations de travail au Québec.

Utilisation de briseurs de grève dans l'établissement
Le 11 septembre 2009, la Cour supérieure a infirmé l’arrêt de la Commission des relations du travail sur un des volets importants d’une de ses décisions, soit celui d’élargir la notion d’« établissement ». Ainsi, la Cour supérieure a conclu que le Journal de Québec n'avait pas utilisé les services de briseurs de grève [1]. Rappelons les faits : pendant le lock-out, le Journal de Québec a fait appel à des agences de presse pour recevoir des articles et des photographies. Les journalistes et les photographes de ces agences exécutaient leurs fonctions à l'extérieur des locaux du Journal de Québec, soit à partir des lieux des événements couverts et ensuite, de leur domicile en transmettant leurs articles ou leurs photographies par la voie électronique.

Or, les syndicats représentant les journalistes et les photographes du Journal de Québec alléguaient que leurs membres effectuaient la plupart de leurs tâches à l'extérieur des murs de l'établissement en lock-out. Ils ajoutaient que le Code du travail devait protéger également les salariés, et que ceux qui n'effectuaient par leur travail « selon le mode traditionnel en usine, en atelier ou dans un bureau » devaient aussi être protégés par les dispositions anti-briseurs de grève.

La Cour supérieure a conclu que la Commission des relations du travail a outrepassé l'intention du législateur en retenant que les employés des agences effectuaient leurs fonctions « dans l'établissement », et que cette Commission rendait une décision déraisonnable en cherchant à comparer le fonctionnement de la rédaction avant et après le lock-out pour définir l'« établissement » dans le cas en litige. La Commission des relations du travail a voulu préserver le rapport de force existant entre les parties avant le lock-out et dans la foulée de cet exercice, elle a analysé la réorganisation opérée par l'employeur grâce aux nouvelles technologies[2].

Comme la Commission des relations du travail, la Cour supérieure retient par ailleurs que l'employeur a « utilisé » les services des personnes qui travaillent pour des agences puisqu’il demandait ou suggérait des objets de reportages aux agences, cette conclusion reposant sur les faits mis en preuve.

Le litige se poursuivra vraisemblablement devant la Cour d'appel et suivant le jugement de celle-ci, il sera utile de réexaminer dans quelle mesure la portée du Code du travail peut évoluer au gré des nouvelles technologies et des nouveaux modes de production qu'elles peuvent entraîner, malgré l'absence d'une intervention du législateur en matière de dispositions anti-briseurs de grève.

Facebook et sites Internet : nouveaux outils de recrutement
Le réseau Facebook suscite un engouement croissant et quasi irrésistible. En plus d’être un site de réseautage amical et social, il est d’ores et déjà un site de réseautage professionnel.

En effet, Facebook offre la possibilité à tout utilisateur d'inclure son historique d'emploi (nom de l'entreprise, titre du poste et période d’emploi) dans sa page personnelle. Il offre de plus la possibilité de se joindre à des groupes d'intérêt. On y retrouve ainsi plusieurs groupes ayant comme noyau d'intérêts le même employeur ou, encore, le même service. Tout comme les pages des utilisateurs, certains groupes sont publics tandis que d'autres sont privés ou accessibles sur invitation seulement. Il est loisible de retrouver dans ces groupes des échanges de propos ou de photos du dernier party de Noël, voire des échanges sur l'évolution d'un projet. Facebook est donc un outil riche en renseignements tant pour un employeur à la recherche de candidats que pour ceux-ci.

Par ailleurs, de façon générale, outre sur des sites comme Facebook, les employeurs ne résistent souvent pas à la tentation de présenter les postes disponibles ainsi que leurs conditions de travail sur le site Internet de leur organisation.

Ces présentations virtuelles de l’entreprise peuvent entraîner des conséquences juridiques alors que les représentations faites par un employeur dans son site Internet, si elles ne sont pas modulées à l'occasion d'une entrevue ou avant la conclusion d'un contrat de travail, pourraient être considérées comme faisant partie de ce contrat.

Avant l'avènement d'Internet, un employeur prudent se savait tenu à une obligation de renseignement envers un candidat et de ce fait, devait s'assurer de faire une divulgation complète de tous les renseignements qui lui étaient connus et qui pouvaient influencer la décision d'une personne d'accepter ou non l'emploi proposé[3]. Ces principes demeurent en vigueur et ne sont pas différents dans le contexte de la diffusion d'offres d'emploi par Internet.

En conclusion
L’année 2010 nous permettra peut-être de mieux nommer les responsabilités respectives des parties à un contrat de travail (individuel ou collectif) alors que les communications sont maintenant décuplées en volume et en vitesse. Le prisme d'Internet peut sembler élargir les possibilités, mais les engagements des parties à un contrat demeurent assujettis aux règles de base bien connues. Suivons donc le courant sans, toutefois, y céder aveuglément!

Me Véronique Morin, CRIA, avec la collaboration de Madame Marie-Sylvie Poissant, CRHA

Source : VigieRT, numéro 40, septembre 2009.


1 Journal de Québec et autres c. CRT et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1450 et autres, 2009 QCCS 4168.
2 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2808 (employés de bureau) et Journal de Québec, une division de Corporation Sun Media, 2008 QCCRT 0534.
3 Voir, par exemple, Queen c. Cognos inc., [1993] 1 R.C.S. 87.
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