Aux prises avec la crise financière qui se répercute actuellement sur l’économie canadienne, plusieurs employeurs peuvent être tentés de réduire certains éléments de la rémunération de leurs employés[1]. Or, une telle modification peut être assimilée à un congédiement déguisé, bien que toutes les modifications ne soient pas susceptibles de mener à un recours en congédiement déguisé.
L’arrêt de principe Farber c. Cie Trust Royal[2] de la Cour suprême du Canada nous enseigne qu’un congédiement déguisé survient principalement lorsqu’un employeur, sans nécessairement avoir l’intention de se départir d’un employé, modifie unilatéralement et substantiellement les conditions essentielles de son contrat de travail, sans préavis raisonnable ou sans motif sérieux.
Nous examinerons ci-dessous, de manière succincte, trois options qui s’offrent à l’employeur désirant procéder à la modification des conditions de travail de ses employés, sans que cette modification soit assimilée à un congédiement déguisé :
- obtenir le consentement de tous les employés visés, dans la mesure où ce consentement est donné de manière « libre et éclairée »;
- donner un préavis raisonnable aux employés avant de procéder à la modification;
- procéder à une modification non substantielle des conditions de travail.
Soulignons d’emblée qu’en ce qui concerne les employés syndiqués, l’employeur ne peut apporter aucune modification à leurs conditions de travail sans le consentement du syndicat, conformément aux termes de la convention collective applicable. Ainsi, les options dont il est question ci-dessous ne les visent pas.
Obtenir le consentement
En général, obtenir le consentement de l’employé, idéalement par écrit, avant de procéder à la modification, constitue un bon moyen de défense à l’encontre d’un éventuel recours en congédiement déguisé.
Pour être valide, un consentement doit être donné de façon « libre et éclairée », c’est-à-dire non viciée par l’erreur, la crainte ou la lésion.
Donner un préavis raisonnable
Lorsque l’employé ne consent pas à une modification substantielle de ses conditions de travail et quitte son emploi, son départ peut alors être considéré comme un congédiement déguisé et non pas comme une démission.
Pour éviter d’être accusé d’avoir procédé à un congédiement déguisé, l’employeur peut donner à ses employés un préavis raisonnable. Ce préavis informe les employés de la modification qui sera apportée à leurs conditions de travail.
Toutefois, cette option peut sembler bien théorique aux yeux d’un employeur qui désire réduire immédiatement ses coûts pour affronter la crise économique qui sévit actuellement. En effet, le préavis qui doit être donné aux employés équivaut au préavis raisonnable de cessation d’emploi. Or, le préavis raisonnable de cessation d’emploi s’évalue sur une base individuelle et peut atteindre, à l’égard de certains employés, jusqu’à 24 mois. Cette option ne permet donc pas toujours à l’employeur d’apporter la modification envisagée à brève échéance.
Procéder à une modification non substantielle
Pour déterminer si la modification envisagée est « substantielle », la Cour suprême, dans l’arrêt Farber précité, a énoncé le test suivant : le tribunal doit se demander si une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l’employé, aurait considéré que la modification touche les conditions essentielles du contrat de travail. Si une réponse négative est donnée à cette question, la modification au contrat de travail est alors justifiée par l’exercice légitime des droits de gérance de l’employeur.
Dans un tel cas, nos tribunaux considèrent que la modification apportée au contrat de travail est justifiée par l’exercice légitime des droits de direction de l’employeur. À ce sujet, la Cour suprême, toujours dans l’affaire Farber, écrit ce qui suit&bnsp;:
Bien entendu, l’exercice par l’employeur de son droit de gérance n’est pas illimité. C’est la portée de ce pouvoir de gérance qu’il faut analyser avec grand soin pour déterminer la marge de manœuvre de l’employeur.« Par contre, l’employeur peut faire toutes les modifications à la situation de son employé qui lui sont permises par le contrat, notamment dans le cadre de son pouvoir de direction. D’ailleurs, ces modifications à la situation de l’employé ne constitueront pas des modifications du contrat de travail, mais bien des applications de ce dernier. Cette marge de manœuvre sera plus ou moins grande selon ce qui a été entendu entre les parties lors de la formation du contrat. »
Une modification représentant une réduction de moins de 5 % des éléments de la rémunération de l’employé, lorsqu’une telle modification n’est pas accompagnée d’une autre modification des conditions de travail, pourrait, selon les circonstances, ne pas être considérée comme un congédiement déguisé. Toutefois, chaque cas est un cas d’espèce et aucune règle universelle ne peut être établie.
L’affaire Dufresne c. Lemiro inc.[3] illustre bien notre propos, à savoir qu’aucune règle ne peut être utilisée pour toutes les situations et que, parfois, une réduction de l’ordre de 5 % ou moins peut constituer un congédiement déguisé. Dans cette affaire, le salarié gagnait un salaire annuel de 60 000 $ en plus de certains avantages, dont un boni équivalant à 10 % des profits bruts de l’entreprise. En cours d’emploi, l’employeur a proposé de réduire le boni à 7 % si, pendant l’année de référence, le salarié s’absentait de son travail pendant plus de deux mois et, s’il s’absentait moins de deux mois, le boni serait alors maintenu à 10 %. Or, la Cour a conclu qu’une réduction de 3 % équivalait pour ce dernier à une perte de revenu de plus de 53 000 $ sur une période de quatre ans, ce qui constitue une modification substantielle de ses conditions de travail.
Bref, la frontière entre le droit de gérance de l’employeur et le congédiement déguisé est souvent fort ténue; mais rappelons qu’elle existe et qu’elle représente un intérêt réel pour certains employeurs. En effet, la somme de ces petites modifications individuelles peut effectivement représenter de précieuses économies en ces temps difficiles.
Me Valérie Korozs, rédigé en collaboration avec Me Carl Lessard, tous deux du cabinet Lavery, de Billy.
Publié avec l'autorisation de Lavery, de Billy
Source : VigieRT, numéro 35, février 2009.
1 | Par exemple, en réduisant le salaire des employés ou la contribution de l’employeur aux caisses de retraite, plans de boni ou régimes d’intéressement de ces derniers. |
2 | [1997] 1 R.C.S. 846 (C.S.C.) (Ci-après « Farber »). |
3 | D.T.E. 2004T-166 (C.S.). |