Il est commun pour un employeur de rédiger une politique vestimentaire ou une politique destinée à réglementer l’apparence de ses salariés, que ce soit pour une question de visibilité ou une question de santé et sécurité. Depuis les dernières années, les arbitres de griefs ont développé un courant jurisprudentiel restreignant les employeurs dans l’établissement d’une politique vestimentaire, et ce, principalement au nom du droit à l’intégrité physique, à la liberté d’expression et au respect de la vie privée. Lorsqu’une politique était invalidée, on remarquait souvent que l’arbitre soulignait le laxisme en matière de précision. Or, dans la décision Syndicat de la fonction publique, section locale 4268 et Centre jeunesse de Montréal- institut universitaire[1], l’arbitre est venu mettre un frein à cette exigence de précision exorbitante.
Les faits :
L’employeur est un centre jeunesse fournissant différents services aux jeunes et portant assistance à des familles. Le syndicat désire invalider la politique sur la tenue vestimentaire et l’apparence physique (la « politique »). Cette politique est composée des quatre sections suivantes :
- Un préambule élaborant la mission et la philosophie de l’établissement ainsi que l’état du droit en matière de tenue vestimentaire en regard de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte »);
- Les buts et objectifs de la Politique avec des précisions sur ses fondements et les personnes visées;
- Les rôles et responsabilités du personnel, des gestionnaires, de la direction des ressources humaines et de la direction des services professionnels et des affaires universitaires;
- Différents éléments de l’apparence physique personnelle ou de la tenue vestimentaire que l’on appelle « balises ».
En ce qui concerne les balises, cette politique prescrit les normes en vigueur relativement : a) à la tenue vestimentaire; b) aux perçages, aux tatouages et à l’apparence personnelle; c) à l’hygiène, à la santé et à la sécurité; et d) à la tenue à maintenir dans le contexte d’une audience devant la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec.
Dans son argumentation, l’employeur affirme que la politique regroupe les cinq (5) objectifs suivants :
- Projeter une image professionnelle en cohésion avec les valeurs et la mission de l’établissement;
- Prévenir les fautes vestimentaires des employés;
- S’assurer d’une cohérence entre l’image projetée et les enseignements dispensés à la clientèle;
- Respecter les obligations légales de l’établissement; et
- Assurer la santé et la sécurité.
Or, le syndicat demande à l’arbitre d’invalider la politique sur la base que cette dernière est arbitraire et que ses éléments constitutifs sont basés sur des considérations irrationnelles compte tenu, notamment, de la mouvance de la mode en matière de vêtements et d’ornement. Bref, aux yeux du syndicat, la politique n’est pas assez précise quant à ses restrictions et donc, viole la liberté d’expression des salariés.
De son côté, après avoir énoncé les cinq (5) objectifs de la politique, l’employeur souligne qu’aucune personne salariée n’a été lésée. De plus, il argumente que ses exigences relativement à la tenue vestimentaire et à l’apparence physique des salariéssont suffisamment précises.
La décision :
L’arbitre entame son analyse en examinant l’exercice des droits de direction de l’employeur en fonction de trois (3) aspects de la politique soit a) l’applicabilité à tous les salariés, b) les rôles et responsabilité du personnel et c) les formulations ambigües et l’application discrétionnaire.
À l’égard du premier aspect, le débat est notamment axé sur le fait que la politique vise les membres du personnel administratif. En concluant que l’applicabilité générale est justifiée, l’arbitre constate que le contact visuel entre les usagers et les salariés est une réalité quotidienne dans les différents points de service chez l’employeur. À l’égard du second aspect, l’arbitre invalide ce passage de la politique en déterminant qu’il est déraisonnable d’exercer de la pression sur les salariés afin qu’ils agissent comme des modèles. Quant à l’aspect lié aux formulations ambigües et à l’application discrétionnaire, le tribunal en vient à la conclusion que des expressions telles que « décolletés déplacés » ou « fines bretelles » ne sont pas prima facie irrationnelles et n’induisent pas radicalement à porter un jugement arbitraire. De plus, il ajoute que les gestionnaires et le personnel en gestion des ressources humainesjouent un rôle actif dans l’application de la politique, laquelle n’est pas purement arbitraire.
L’arbitre poursuit son analyse en examinant si la politique porte atteinte à un droit protégé par la Charte à l’aide du test de l’article 9.1. Ainsi, le tribunal détermine si :
- la restriction se justifie par un ou des objectifs légitimes, sérieux et importants et, dans l’affirmative;
- la restriction a un lien rationnel avec ce ou ces objectifs;
- l’atteinte est minimale; et
- s’il y a proportionnalité entre les effets préjudiciables de l’atteinte et le ou les objectifs poursuivis.
L’arbitre considère que les objectifs poursuivis par la politique sont sérieux et importants. En effet, il réitère la mission d’un centre jeunesse qui est de rééduquer des jeunes ayant été victimes de sévicesphysiques, psychologiques ou sexuels, et d’apporter un soutien à leurs parents et à leur famille.
L’arbitre considère que l’ensemble des étapes du test est respecté. Ainsi, la valeur pédagogique de ces restrictions est rationnellement liée aux objectifs poursuivis.
Quant aux prohibitions relatives aux éléments vestimentaires, l’arbitre conclut qu’elles sont suffisamment précises. Par exemple, la politique n’interdit pas le port de short, mais plutôt celui du short très court. En outre, les jeans sont autorisés à la condition d’être soignés. Somme toute, chaque élément de la tenue vestimentaire est précisé, et l’arbitre souligne qu’il y a une limite à la précision souhaitable dans ce domaine.
Quant aux prohibitions sur l’apparence physique, l’arbitre en vient à la conclusion que la prohibition relative aux tatouages est justifiée puisqu’elle prohibe seulement le port de tatouages à des endroits précis sur le corps (haut du sein et haut de l’arc fessier). En conséquence, l’arbitre a pu se dissocier de la décision Syndicat des travailleuses des Centres de la petite enfance du Saguenay-Lac-St-Jean-FSSS-CSN c. Girard[2] puisqu’il ne s’agit pas d’une prohibition générale du tatouage.
La politique impose certaines exigences quant à la coupe de cheveux et à leur couleur. Encore une fois, ces prohibitions sont précisées. Par exemple, la politique prohibe les cheveux « excessivement colorés » et les coupes de cheveux de style « mohawk ». Bien qu’il détermine qu’il s’agisse, de prime abord, d’une violation au droit à l’intégrité physique, à la liberté d’expression et au respect de la vie privée, l’arbitre juge que les restrictions sont rationnellement liées aux objectifs de la politique et que l’atteinte est minimale, le tout basé sur l’image qu’un centre jeunesse doit projeter à ses usagers.
Le principe est le même pour les prohibitions relativement aux perçages sur la langue et dans le lobe d’oreilles. Elles ont pour but de promouvoir des valeurs d’hygiène, d’image et d’exemplarité à la clientèle et à leurs parents. Quant au port de la barbe, l’arbitre précise qu’à la différence de la jurisprudence majoritaire en la matière, l’employeur ne limite pas le port de la barbe, mais il prescrit plutôt qu’elle soit propre et bien taillée. Bref, cette exigence est intimement liée à l’objectif de l’image du centre jeunesse.
Depuis quelques années, plusieurs principes jurisprudentiels ont été dictés relativement aux différents éléments propres à la tenue vestimentaire ou à l’apparence physique. Or, rares sont les décisions où l’arbitre regroupe l’ensemble de ces éléments pour établir la validité d’une politique. L’arbitre rassemble tous les principes recensés et les applique au centre jeunesse. L’intégration de ces critères au milieu déterminé se révèle être un critère extrêmement important lors de l’élaboration d’une politique ou bien de son évaluation quant à sa légalité.
En conclusion, cette décision nous rappelle qu’il faut, lors de l’élaboration d’une politique, prendre bien soin d’évaluer le milieu de travail et de préciser chaque prohibition qui serait susceptible de violer le droit à l’intégrité physique, à la liberté d’expression et au respect de la vie privée.
Source : VigieRT, juin 2012.
1 | D.T.E. 2012T-336 (T.A.). |
2 | 2009 QCCS 2581. |