Vous lisez : Quand l'obésité nuit au travail

Refuser de perdre du poids peut mener à un congédiement. Selon une récente décision du Tribunal d’arbitrage du Québec, demander à un employé de réduire son tour de taille constitue une mesure d'accommodement raisonnable.

Ce cas fait partie de la rare jurisprudence concernant l’obésité au travail. Une préposée aux bénéficiaires du Lac-Saint-Jean, âgée de 53 ans, mesurant cinq pieds trois pouces et pesant 233 livres, a été congédiée en 2004, après s’être absentée plus de trente-six mois consécutifs, comme le prévoyait sa convention collective. Cette femme avait plusieurs ennuis de santé tels des problèmes de dos, causés notamment par son surpoids.  

Dès son arrêt de travail en 2001, ses médecins se sont entendus pour dire qu’elle devait perdre entre 50 et 75 livres pour pouvoir reprendre ses fonctions, sans risque de rechute. Son travail au CHSLD Maria-Chapdelaine demandait une bonne condition physique, puisqu'il consistait à aider des personnes lourdement handicapées.

Après un certain temps, la préposée a manifesté le désir de reprendre son travail. Son employeur lui a alors proposé trois accommodements, jugés raisonnables par l’arbitre. Les deux premiers comprenaient une perte de poids de 30 livres, ce qu’a catégoriquement refusé la plaignante. L’hôpital lui a proposé, en dernier recours, de réintégrer ses fonctions, mais sans assurance-salaire. Cette offre a aussi été rejetée.

L’arbitre Gabriel-M. Côté a conclu que l’employeur avait fait son bout de chemin et qu’il était impossible pour lui de réintégrer la préposée en respectant ses limites fonctionnelles sans alourdir la tâche de ses collègues. Selon lui, la plaignante n’avait qu’elle à blâmer pour son congédiement.

« Si une personne obèse a un taux d’absentéisme effarant, on va tenter de l’accommoder; mais on va aussi exiger qu’elle fasse quelque chose pour s’aider, comme pour un alcoolique », illustre Jean Beauregard, CRIA, avocat spécialisé en droit du travail chez Lavery, de Billy.

Selon lui, l’obésité peut être considéré comme un handicap au sens de la Charte des droits et libertés de la personne. Dans ce cas, l’employeur doit évaluer comment il peut accommoder la personne sans coûts trop importants pour l’entreprise (financiers ou organisationnels), ce qu’on décrit dans le jargon juridique comme une contrainte excessive. « Dans un exercice d’accommodement, il n’y a pas d’obligation de résultat, mais une obligation de moyen », précise Me Beauregard.

Par ailleurs, l’obligation d’accommodement est réciproque. « Ce n’est pas seulement l’employeur qui doit tenter d’accommoder. Le travailleur doit aussi faire sa part ainsi que le syndicat s’il est une tierce partie, dit Jean Beauregard. Si l’employeur fait des propositions et que l’autre partie ne bouge pas, la personne pourra perdre son emploi ou son poste. »

Autre cas
Toujours en 2008, un tribunal a confirmé la décision de l’hôpital de Hull d’expulser une infirmière obèse du bloc opératoire. Cette femme, en raison de son obésité morbide et de la prise d’antidépresseurs, avait une sudation excessive qui augmentait les risques de contamination.

« L’hôpital soutenait que la situation contrevenait aux règles d’aseptisation. Le syndicat demandait à l’employeur de donner à l’infirmière la chance de maigrir, mais l’arbitre est venu dire qu’attendre était une contrainte excessive », résume Marie-Josée Sigouin, CRIA, avocate spécialisée en relations du travail chez Le Corre & associés. La plaignante, qui était en période d’essai, a repris son ancien poste.

« Ce n’est jamais l’obésité en soi le problème, c’est la santé physique, la capacité d’effectuer des tâches ou l’augmentation importante des risques d’accidents du travail ou de rechutes », dit Me Sigouin. C’est dans cette perspective que l’employeur peut intervenir.

« La première étape est la sensibilisation. On doit expliquer à la personne qu’on est en droit de s’attendre à une prestation régulière de travail et qu’à défaut de fournir cette prestation, il peut y avoir une rupture du lien d’emploi », dit Marie-Josée Sigouin.

Selon elle, l’intervention doit être axée sur les problèmes causés par le surplus de poids, plutôt que sur le tour de taille. « La dernière chose qu’on veut, c’est d’humilier la personne.  »

Elle ajoute qu’une expertise médicale est souvent nécessaire pour évaluer si la situation est réversible ou non et si l’employeur peut faire quelque chose. « L’objectif n’est pas de s’asseoir avec l’employé pour lui demander de perdre 40 livres, on ne peut pas aller jusque-là. Dans les cas où cela a été demandé, on se basait sur l’avis d’un médecin. »

L’employeur concerné
L’obésité, quoi qu’on en dise, est plus qu’une question de santé personnelle. Elle affecte le rendement au travail.

Selon une récente étude de Statistique Canada, le risque d’absence est près de quatre fois plus élevées chez les hommes obèses de 18 à 34 ans que chez ceux qui ont un poids normal.

L’obésité est aussi associée à une réduction des activités au travail, à un plus grand nombre de jours d’incapacité et à un taux plus élevé de blessures au travail chez les femmes de 35 à 54 ans.

Aujourd’hui, 16 % des travailleurs canadiens sont obèses, ce qui équivaut à un peu plus de trois employés sur vingt. Ce phénomène en croissance a de quoi préoccuper les employeurs. « Il est clair que l’excès de poids, en plus d’affecter la condition de vie des gens, entraîne des coûts pour les organisations », affirme Marie-Claude Pelletier, directrice générale du Groupe de promotion pour la prévention en santé (GP2S). Des coûts associés notamment à l’assurance médicaments, à l’absentéisme, aux jours d’invalidité et au présentéisme (baisse de la productivité).

En 1993, on estimait qu’un employé obèse coûtait 401 $ de plus qu’une personne de poids normal. Ce chiffre, qui date, est très prudent et pourrait facilement avoir triplé depuis, estime madame Pelletier. Pour elle, les employeurs ont tout intérêt à investir dans la santé de leurs employés et de leur organisation.

« Si on veut être capable de générer un changement dans l’état de santé des gens, il faut travailler sur deux plans : il faut responsabiliser l’employé, l’accompagner et l’outiller pour qu’il soit capable de prendre sa santé en main, mais aussi agir sur l’environnement de la personne pour favoriser la pratique d’activités physiques et une saine alimentation. Si un employé est très motivé à perdre du poids, mais qu’à la cafétéria, il y a seulement des frites et des hamburgers, ce sera beaucoup plus difficile pour lui d’y arriver », illustre-t-elle. De même pour quelqu’un qui souhaite venir travailler en vélo ou jogger à l’heure du dîner. Il sera plus enclin à le faire s’il y a des vestiaires et des douches à sa disposition.

Ces dernières années, des entreprises ont pris des mesures pour promouvoir de saines habitudes de vie : changement du menu de la cafétéria, installation de supports à vélos, subvention de l’inscription à des activités physiques, promotion du Défi Santé 5/30 (cinq portion de fruits et légumes et 30 minutes d’activités physiques cinq jours par semaine), etc.

Approche globale
Le Mouvement Desjardins est avant-gardiste dans le domaine. En plus de tous les exemples cités ci-dessus, le Service de cartes Desjardins a implanté en 2001 un programme pour motiver ses employés à s’occuper non seulement de leur santé physique, mais aussi psychologique. Durant trois ans, les participants ont rencontré des spécialistes et reçu des bilans de santé et des recommandations personnalisées concernant l’alimentation, l’activité physique, la gestion du stress, etc.

Les résultats ont été probants. Pour chaque dollar investi, l’entreprise estime avoir récupéré entre 1,50 $ et 3 $. Selon une étude financée par le GP2S, le taux d'absentéisme a baissé de 28 % et le taux de roulement de 54 % (en raison du programme et d’autres changements organisationnels).

« La santé physique a une incidence sur la santé psychologique et l’inverse est aussi vrai. Si on veut être capable de générer des résultats comme employeur, on ne peut plus jouer à l’autruche, il faut implanter des stratégies de santé globale parce que tout est interrelié », croit Marie-Claude Pelletier.

Elle donne en exemple le stress, qui est associé à l’obésité, selon plusieurs études. À son avis, les employeurs peuvent réduire les sources de tensions, notamment en gérant mieux les priorités, en donnant des mandats clairs, en misant sur la reconnaissance des employés et en offrant des cours de formation sur la gestion du stress.

Réal Cassista, chargé d’équipe en gestion globale de la santé chez Desjardins, est convaincu que l’investissement dans la santé et le mieux-être des employés rapporte. « Dans la majorité des entreprises, on constate ces dernières années une hausse des coûts liés à l’invalidité. De notre côté, on a réussi à stabiliser les coûts en assurance-salaire et même à les diminuer dans certains cas. »

Selon Marie-Claude Pelletier, la limite à ne pas dépasser est l’aspect volontaire des interventions. « Il faut faire attention de ne pas stigmatiser les personnes obèses parce que, dans 10 % des cas, leur condition est héréditaire. »

« On fait avec l’obésité ce qu’on a fait avec le tabac, ajoute-t-elle. Si on stigmatise les fumeurs et qu’on n’arrête pas de leur taper dessus, ce n’est pas une stratégie gagnante. Pour éviter les effets pervers, il faut plutôt sensibiliser les gens pour qu’ils puissent prendre la bonne décision et leur offrir un environnement favorable à la santé. »

Marie-Ève Maheu, journaliste indépendante

Source : VigieRT, numéro 41, octobre 2009.

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