Vous lisez : Protection des fonctionnaires dans le secteur municipal

Le monde municipal se distingue du secteur privé par plusieurs particularités, spécialement en ce qui concerne le droit du travail. Notamment, les employeurs du monde municipal (villes et municipalités) sont régis par plusieurs lois distinctes des entreprises du secteur privé, entre autres, la Loi sur les cités et villes[1] (ci-après LCV), le Code municipal du Québec[2] (ci-après CMQ) et la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[3].

En matière de relations du travail, une des grandes particularités du secteur municipal réside dans la sécurité d’emploi des fonctionnaires municipaux[4], auxquels la législation accorde une protection accrue comparativement aux autres secteurs d’activité. Cette question a notamment fait l’objet de nombreuses décisions, et ce, particulièrement au cours des derniers mois. Nous vous proposons donc une revue des décisions récentes et du droit actuellement en vigueur en la matière.

Sécurité d’emploi

Advenant la fin d’emploi d’un employé non syndiqué travaillant dans un secteur d’activité autre que le secteur municipal, celui-ci bénéficie du recours pour « congédiement sans cause juste et suffisante » prévu à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[5] s’il a deux ans de service continu au sein de l’entreprise.

Le fonctionnaire travaillant dans le monde municipal bénéficie quant à lui d’une sécurité d’emploi supérieure. Il peut profiter d’un recours particulier, prévu aux articles 71 à 73.1 de la LCV ou aux articles 267.01 à 267.06 du CMQ, et ce, après une période de seulement six mois de service.

En vertu de la LCV et du CMQ, la Commission des relations du travail (ci-après CRT) peut notamment ordonner à l’employeur municipal, ayant destitué un fonctionnaire municipal sans raison valable après le délai de six mois, de réintégrer ce fonctionnaire etde lui verser une indemnité de salaire depuis la date de la destitution, moins la mitigation des dommages. La CRT peut aussi rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire (indemnité de départ, honoraires judiciaires, dommages moraux, frais de recherche d’emploi et autres).

Il convient également de mentionner que la suspension sans traitement de plus de vingt jours ouvrables et la réduction de traitement d’un fonctionnaire ayant plus de six mois de service peuvent également ouvrir la porte au recours prévu aux articles 71 à 73.1 de la LCV et du CMQ.

Par ailleurs, soulignons que la durée du lien d’emploi n’affecte pas les recours dont un fonctionnaire peut se prévaloir selon la situation dans laquelle il se trouve (congédiement pour lésion professionnelle, droit de refus, retrait préventif, harcèlement et autres) en vertu, notamment, des lois suivantes, soit la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[6], la Loi sur la santé et la sécurité au travail[7], la Loi sur les normes du travail[8], le Code du travail[9] et la Charte des droits et libertés de la personne[10].

Période de probation

Même si l’employeur du secteur municipal prévoit une période de probation supérieure à six mois à l’embauche d’un fonctionnaire, à compter de six mois de service, le fonctionnaire peut exercer un recours prévu aux articles 71 à 73.1 de la LCV et aux articles 267.01 à 267.06 du CMQ.

En effet, en vertu du droit en vigueur, une période de probation supérieure à six mois ne pourra faire échec au recours du fonctionnaire destitué sans raison valable en vertu de la LCV ou du CMQ[11].

Échéance d’un contrat à durée déterminée

Le recours prévu à la LCV et au CMQ comporte toutefois une exception, soit l’échéance d’un contrat à durée déterminée. En effet, l’expiration du contrat à durée déterminée met fin au contrat de travail et son non-renouvellement ne constitue pas une « destitution » au sens de la LCV et du CMQ, selon la décision récente de la Cour d’appel du Québec, Leduc c. Ville de Montréal.

Leduc c. Ville de Montréal, 2014 QCCA 876

La Cour d’appel a rejeté le 5 mai dernier l’appel de la plaignante, une greffière à la ville de Montréal, concernant un jugement de la Cour supérieure rendu le 25 avril 2012. Ce jugement avait accueilli la requête en révision judiciaire de la ville et annulé la décision de la CRT rendue le 15 août 2011, laquelle accueillait la plainte en vertu de l’article 72 de la LCV.

Selon la Cour supérieure, la CRT a rendu une décision déraisonnable en accueillant la plainte de la plaignante en vertu de l’article 72 LCV au motif que cette dernière n’avait pas été destituée pour des motifs sérieux et suffisants. Or, dans cette affaire, la Ville de Montréal n’avait pas renouvelé le contrat de travail à durée déterminée de la plaignante valable pendant cinq ans. Le fait de ne pas renouveler un contrat à durée déterminée à son échéance n’est pas une destitution selon la Cour supérieure, et la Ville de Montréal n’était pas tenue de renouveler ce contrat. Or, la Cour d’appel est arrivée à la conclusion que la décision de la Cour supérieure était raisonnable.

Par ce jugement, la Cour d’appel a ainsi confirmé que le non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée ne constitue pas une destitution au sens de l’article 72 LCV. Par contre, il convient de mentionner que, pour qu’une telle règle s’applique, les règles de rédaction d’un contrat à durée déterminée doivent être respectées. Par exemple, un contrat à durée déterminée comportant une clause permettant la résiliation avant le terme pourra être considéré comme un contrat à durée indéterminée par la CRT et, dans ce cas, son non-renouvellement pourra être considéré comme une destitution, et ainsi le fonctionnaire pourra être réintégré.

Bien que ce soit l’état de droit pour le moment, il convient de mentionner l’obiter de la juge dans la décision précitée, alors que cette dernière mentionne qu’elle est :

« […] préoccupée par la possibilité que les municipalités voient dans le contrat à durée déterminée le moyen d’échapper aux contraintes du recours prévu [à la LCV] et, ce faisant, puissent contourner la volonté du législateur qui a voulu protéger les fonctionnaires contre la “politicisation” de leur embauche, leur emploi et leur renvoi […][12]. »

Il faudra donc suivre l’évolution de cet obiter particulièrement limpide.

Aucune permission d’en appeler de cette décision n’a été déposée à la Cour Suprême.

Autres décisions récentes

En terminant, voici deux décisions récentes traitant du recours des fonctionnaires municipaux en vertu de la LCV et du CMQ.

Gia c. Westmount, 2013 QCCRT 0508

Le 5 juillet 2012, la CRT a accueilli la plainte d’un chef de service, un ingénieur électrique, en vertu de l’article 72 LCV, lequel a été destitué pour rendement insatisfaisant. Ce rendement étant justifié par une surcharge de travail, la CRT a conclu qu’il ne constituait pas un motif valable pour la Ville de le destituer. La CRT a ainsi ordonné la réintégration du fonctionnaire et a gardé compétence pour déterminer des mesures de réparation appropriées.

Comme il n’y a pas eu d’entente entre les parties, le 1er novembre 2013, la CRT s’est prononcée sur les mesures de réparation appropriées à accorder au plaignant. Tout d’abord, la CRT est arrivée à la conclusion que la Ville n’a pas démontré que le plaignant avait fait défaut à son obligation de mitiger ses dommages. En effet, il a été démontré que le plaignant a fait des recherches d’emploi, bien qu’infructueuses en raison de son âge et du manque de référence étant donné sa situation avec la Ville. La Ville refusait de le réintégrer, car elle voulait abolir son poste vu une restructuration de ce service. Elle lui a donc proposé une indemnité de cessation d’emploi de six mois de salaire pour ne pas le réintégrer, une proposition que la CRT a jugée inacceptable. Selon la CRT, le plaignant pouvait être réintégré étant donné que son poste n’était pas encore aboli, que la Ville pouvait encore changer d’avis pour la restructuration et qu’il bénéficiait d’une sécurité d’emploi. La CRT a accordé le remboursement du salaire et des avantages perdus depuis sa destitution et un montant de 5 000 $ en dommages non pécuniaires.

Pour le dénouement de cette affaire, il faudra suivre ce dossier puisqu’une requête en révision judiciaire a été déposée le 5 décembre 2013.

McKercher c. la Ville de Saint-Constant, 2013 QCCRT 0385

Dans cette affaire, la CRT a accueilli la plainte, en vertu de l’article 72 LCV, d’une directrice générale à l’encontre de sa destitution.

Avant sa destitution, elle avait fait l’objet d’une plainte de harcèlement psychologique. De plus, la Ville lui avait retiré certaines responsabilités. Vu ces événements, la directrice générale a décidé de prendre quelques jours de congé, puis elle a également déposé une plainte de harcèlement psychologique contre le maire.

La Ville a présumé qu’elle avait démissionné en prenant ces jours de congé. Or, même si la plaignante a pris quelques jours de congé, la CRT est arrivée à la conclusion que ce ne pouvait être interprété comme une démission. La rupture du lien d’emploi à l’initiative de la Ville n’était donc pas justifiée, car la cause de la rupture du lien d’emploi résultait surtout d’un conflit interpersonnel entre le maire et la directrice générale. Le procureur de la plaignante a indiqué que la réintégration était non opportune. La Ville, qui n’était pas d’accord avec le fait que la plaignante renonce à son droit d’être réintégré, a demandé à la CRT de prendre en compte cet élément dans le calcul de l’indemnité.

La CRT a confirmé que la réintégration n’était pas opportune puisque le lien de confiance était rompu et impossible à rétablir entre la directrice générale, le maire et le conseil municipal.

La CRT a ordonné à la Ville de verser à la plaignante la somme de la perte de salaire et des autres avantages, moins les revenus qu’elle a obtenus pendant cette période (mitigation des dommages), des frais de perte d’emploi, dommages moraux, frais de psychologues, honoraires et déboursés juridiques en plus des intérêts.

Dans cette décision, la CRT est venue rappeler que la réintégration est le premier remède en vertu de l’article 72 LCV, mais qu’elle peut être non opportune selon la situation.

Conclusion

Comme démontré dans le présent article, le fonctionnaire municipal bénéficie d’une sécurité d’emploi supérieure à celle prévue à la Loi sur les normes du travail. L’employeur du secteur municipal ne peut prévoir une période de probation de plus de six mois à l’embauche en pensant priver le fonctionnaire ayant plus de six mois de service de son recours.

Le secteur municipal est un domaine pointu du droit de l’emploi. D’autres règles très particulières existent, notamment l’arbitrage de différend chez les policiers et les pompiers et l’interdiction du droit de lock-out de l’employeur. Notez qu’au moins quarante-quatre lois particulières, en date du présent article, s’appliquent aux nombreuses municipalités québécoises[13].

Source : VigieRT, juin 2014.


1 (L.R.Q., chapitre C-19).
2 (L.R.Q., chapitre C-27.1).
3 (L.R.Q. chapitre A-2.1).
4 Un fonctionnaire municipal peut être assimilé à un cadre s’il n’est pas un salarié au sens du Code du travail.
5 (L.R.Q. chapitre N-1.1).
6 (L.R.Q. chapitre A-3.001).
7 (L.R.Q. chapitre S-2.1).
8 (L.R.Q. chapitre N-1.1).
9 (L.R.Q. chapitre C-27).
10 (L.R.Q. chapitre C-12).
11 Ville de Québec c. Ginette Poulin, 2011 QCCRT 0547.
12 Leduc c. Ville de Montréal, 2014 QCCA 876, paragraphe 68.
13 1 111 municipalités au Québec
Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie