Vous lisez : Preuve recueillie sur Facebook au moyen d’un subterfuge

Campeau et Services alimentaires Delta Dailyfood Canada Inc., 2012 QCCLP 7666 (C.L.P.), une décision du 28 novembre 2012

L’admissibilité en preuve des renseignements recueillis sur les médias sociaux a fait l’objet de sérieux débats durant la dernière année devant différents tribunaux. la majorité de ceux-ci ont conclu à l’admissibilité en preuve de tels renseignements, une décision rendue récemment par la Commission des lésions professionnelles (ci-après, la « CLP ») s’inscrit toutefois à contre-courant. Cette décision mérite notre attention en ce que le tribunal y pose une limite à la recherche d’information sur Facebook, et ceci, dans des circonstances que nous détaillons ci-dessous.

Quelques faits
La travailleuse conteste à la CLP plusieurs décisions de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « CSST ») la concernant, dont une par laquelle la CSST refuse d’établir un lien entre un diagnostic de dépression et un événement (chute) survenu à l’occasion du travail.

En cours d’audience, l’employeur tente d’introduire en preuve un extrait du compte Facebook de la salariée dans l’objectif de mettre en doute la crédibilité de son témoignage. Le tribunal décide qu’il doit trancher d’office la question de l’admissibilité en preuve des extraits de Facebook comme il en a le pouvoir lorsque la preuve a été obtenue dans des circonstances portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux.

Le stratagème utilisé pour accéder au compte Facebook de la salariée
À la demande du tribunal, la représentante de l’employeur témoigne sur la manière dont elle a obtenu les éléments de preuve sur le compte Facebook de la travailleuse. Notons que le compte Facebook de la travailleuse était privé, de façon à ce que seuls ses « amis » y aient accès. La représentante de l’employeur a ainsi créé un compte au nom d’une personne fictive. Le profil a été structuré de façon à attirer l’attention de la travailleuse, en prenant en considération les goûts de celle-ci en matière de culture et en y indiquant que la personne fictive avait étudié à la même Université que la travailleuse.

L’invitation à devenir « amies » Facebook étant acceptée par la travailleuse, puisque celle-ci croyait avoir à faire à une ancienne camarade de classe, la représentante de l’employeur obtient l’accès à l’ensemble de son compte Facebook, dont elle tire toutes les conversations et interventions que la travailleuse a eues durant la dernière année.

L’admissibilité en preuve des renseignements obtenus
Tel que mentionné précédemment, le tribunal soulève lui-même la question de l’admissibilité en preuve de l’information obtenuepar le compte Facebook de la travailleuse.

D’emblée, le tribunal souligne l’application de deux articles du Code civil du Québec dictant certaines des règles générales concernant la recevabilité d’un élément de preuve :

« 2857. La preuve de tout fait pertinent au litige est recevable et peut être faite par tous moyens.

2858. Le tribunal doit, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Il n'est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu'il s'agit d'une violation du droit au respect du secret professionnel. 
»

Ainsi, tout élément de preuve est recevable s’il est pertinent au litige en question. Toutefois, cet élément de preuve pourra être rejeté par le tribunal si celui-ci conclut que les deux conditions suivantes sont remplies :

  1. Il a été obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux (dont, par exemple, le droit à la vie privée);
  2. Son utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Comme le précisait le tribunal, ces deux conditions sont cumulatives et donc, un élément de preuve ne sera pas automatiquement irrecevable du simple fait qu’il a été obtenu en violation d’un droit fondamental, comme le droit à la vie privée.

Le tribunal constate que le caractère public de l’information contenue sur Facebook semble faire l’unanimité chez les décideurs et les auteurs. Il est toutefois possible, selon le tribunal, de démontrer que les renseignements de l’usager Facebook revêtent un caractère privé si : 1) les paramètres privés ont été appliqués par l’usager et 2) l’usager a un nombre limité « d’amis », ce qui lui permet de garder le contrôle sur sa vie privée.

En l’espèce, la travailleuse avait appliqué les paramètres de façon à limiter l’accessibilité à son compte à ses « amis » seulement. Elle en avait cependant plus de 400, conférant dès lors à son compte un caractère nettement public.Le juge administratif souligne cependant le fait que l’employeur ait usé de moyens détournés pour obtenir l’information. À cet effet, le juge précise que « la preuve Facebook présentée par l’employeur a été obtenue par des moyens frauduleux. » Ainsi, le moyen utilisé par l’employeur n’est pas de nature à porter atteinte « le moins possible » à la vie privée de la travailleuse, un critère établi par les tribunaux afin d’apprécier la mesure de l’atteinte. De l’avis du juge, l’employeur a porté atteinte au droit fondamental de la travailleuse au respect de sa vie privée. Le tribunal doit donc décider si l’utilisation de la preuve est de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

Cette dernière question demeure complexe et consiste essentiellement pour le tribunal à se demander si la recherche de la vérité, et donc l’introduction en preuve des éléments recueillis, doit avoir priorité sur le respect des droits fondamentaux d’une personne. En l’espèce, le tribunal conclut que la recevabilité en preuve des renseignements recueillis sur Facebook serait de nature à déconsidérer l’administration de la justice. Il refuse donc que ces renseignements soient mis en preuve. À cet effet, le juge administratif précise ceci :

« [58] Le tribunal a déjà qualifié la gravité de violation comme étant une violation sérieuse surtout lorsqu’on place celle-ci dans le contexte des relations employeurs-employés. Il s’agit d’une incursion sans retenue dans la vie privée de la travailleuse. On ne peut donner carte blanche aux employeurs afin d’espionner leurs employés dans leur vie privée sans s’attendre à des utilisations abusives.

[59] Avant d’entreprendre sa démarche, la représentante de l’employeur n’avait aucune indication voulant qu’une situation frauduleuse se tramait par la travailleuse. D'ailleurs, le résultat de cette fouille n’en démontre aucune. La seule motivation de la représentante de l’employeur était d’espérer, en allant dans le profil Facebook de la travailleuse, trouver fortuitement une preuve pouvant l’aider. »

Le tribunal souligne au surplus que la recherche d’information de la représentante de l’employeur se voulait une « partie de pêche », celle-ci n’ayant aucun motif de procéder à cette recherche. Considérant toutes ces circonstances, le tribunal conclut que la preuve tirée du profil Facebook de la travailleuse est irrecevable.

Conclusion
Comme le juge administratif le souligne dans cette décision, la majorité des décisions rendues à ce jour reconnaissent que l’information diffusée sur Facebook relève du domaine public. Rares sont les cas où les décideurs ont conclu à l’irrecevabilité des éléments de preuve obtenus sur les médias sociaux. Cela est d’autant plus vrai que, comme dans le cas de Facebook, l’usager qui fixe les paramètres de vie privée et de diffusion limitée de ses renseignements est instantanément avisé que ces mêmes renseignements sont susceptibles d’être transmis à des tiers par les usagers autorisés à y accéder. Il est donc difficile pour une personne de prétendre avoir une expectative de vie privée en ce qui les concerne. Dans le présent cas, le subterfuge utilisé pour accéder à l’information sur Facebook a conduit en grande partie à l’irrecevabilité des éléments de preuve obtenus.Au surplus, l’employeur n’avait aucune raison de douter de la travailleuse et de procéder à cette « partie de pêche ». Ainsi, dans ce cas particulier, le tribunal a jugé que l’employeur était allé trop loin en créant un profil Facebook au nom d’une personne fictive pour arriver à ses fins.

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Source : VigieRT, mars 2013.

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