Toutes les organisations se dotent de politiques. Tour à tour nommées directives, règlements internes ou codes de conduite, ces politiques institutionnelles font partie intégrante de la gestion des ressources humaines et des relations de travail. En général considérées comme de saines pratiques, complémentaires aux manuels des conditions de travail, elles se sont multipliées au cours des dernières années. Poursuivant différents objectifs, notamment la clarification des attentes, l’équité, la sécurité ou la prévention, les sujets abordés s’étendent, quitte à faire preuve d’une certaine créativité et parfois… à frôler la vie privée. Plus ou moins essentielles, plus ou moins acceptées, plus ou moins appliquées, ces politiques sont pourtant des outils de gestion fondamentaux. Quelles sont les conditions de validité des politiques? Quelle est leur utilité pour une entreprise? Pour répondre à ces questions, il faut pouvoir cerner les véritables buts de ces directives, anticiper les problématiques et comprendre les enjeux en question. Les solutions pourraient se dessiner alors d’elles-mêmes.
Conditions de validité
Tout d’abord, il y a lieu de rappeler les conditions permettant à une politique de se qualifier comme valide :
- Être rédigée dans le respect des lois et, le cas échéant, de la convention collective;
- Être claire et sans ambiguïté;
- N’être ni abusive ni discriminatoire;
- Être communiquée, connue et comprise;
- Être appliquée de façon constante et uniforme;
- Prévoir les sanctions en cas de non-respect.
Le tout en répondant aux exigences de la bonne foi.
Les objectifs visés par une politique
Plusieurs raisons motivent les organisations à adopter des politiques. Premièrement, s’assurer du respect des lois du travail. Dès lors, l’organisation se positionne telle une enseignante doublée d’une vulgarisatrice des dispositions législatives lui permettant de remplir ses obligations. Par exemple, une politique sur la sécurité au travail ou sur le tabagisme. Deuxièmement, s’assurer du respect des valeurs organisationnelles. L’organisation véhicule ainsi ses idéaux pour les propager dans toutes les strates de sa structure. Par exemple, un code d’éthique ou une politique sur les cadeaux et faveurs. Troisièmement, s’assurer du respect des règles et des comportements requis. L’organisation impose des directives claires et précises sur les attitudes à suivre, souvent par souci d’équité ou bien de contrôle. Par exemple, une politique sur l’utilisation des technologies de l’information, sur le conflit d’intérêts ou sur le télétravail. Quatrièmement, s’assurer du respect de mesures de prévention ou de sensibilisation. L’organisation se place en acteur social, voire en acteur culturel et politique, idéalement proactif en matière d’initiatives. Par exemple, une politique sur le harcèlement psychologique, sur la civilité ou encore sur l’inclusion des personnes transgenres en milieu de travail.
Difficultés à considérer
Il est plutôt aisé de comprendre les motifs qui incitent une organisation à mettre en place des politiques internes, ceux-ci étant d’ailleurs souvent expressément énoncés dans les principes directeurs. De plus, il est somme toute facile d’assimiler les conditions garantes de la validité de la politique. Au stade théorique de la réflexion et de l’élaboration de la politique, l’exercice apparaît ainsi relativement élémentaire. Cependant, les choses atteignent un certain degré de complexité lors de la rédaction et de l’implantation. Tout professionnel en ressources humaines et/ou en relations de travail se doit d’être en mesure d’anticiper les difficultés à venir, puisqu’il est évident que celles-ci surviendront. Ces difficultés annoncées peuvent être de différentes natures et se présenter à plusieurs niveaux. Du léger obstacle, à la complication, à la contestation individuelle, jusqu’à l’action collective, il est dans tous les cas important de prendre la démarche au sérieux.
L’une des principales problématiques est la possible atteinte aux droits fondamentaux des employés, et plus spécifiquement au droit à la liberté d’expression et au droit à la vie privée, tous deux enchâssés par la Charte des droits et libertés de la personne. Sur ce point, les exemples les plus révélateurs sont le code vestimentaire, la politique sur les fouilles et la surveillance ou encore la politique sur l’utilisation d’Internet ou du cellulaire à des fins personnelles. S’entrechoquent ici les droits et les obligations des parties au contrat de travail. Trouver le juste équilibre entre les intérêts légitimes de l’organisation et le respect des droits fondamentaux s’avère délicat. Cela nécessite une maîtrise des règles de l’art, mais également une excellente connaissance de l’état du droit combinée à une compréhension approfondie du milieu de travail. Le mot d’ordre est l’élaboration de politiques adaptées au contexte organisationnel. Le leitmotiv bien connu des conseils en rédaction de politique est de proscrire toute reproduction de modèles largement disponibles sur la « toile ».
Une autre difficulté est le risque de surabondance des politiques. En effet, il existe moult sujets à aborder, donc une multiplicité des directives. Or, à trop vouloir clarifier les attentes, il est à craindre que l’adage « trop d’information tue l’information » s’applique. Sensible aux avertissements des conseillers juridiques, le professionnel RH tente de prévenir et d’encadrer la plupart des situations pouvant déstabiliser son organisation. Certes, il s’agit d’une intention louable, mais, en cette matière aussi, la modération est à considérer. Il faut choisir judicieusement les politiques à mettre en place afin de s’assurer de la clarté des messages et des valeurs transmises par l’organisation.
La reconnaissance de la légitimité d’une politique par les employés fait partie des difficultés rencontrées « sur le terrain ». Il est important de vérifier comment la politique est reçue et comment elle est perçue. S’assurer de son acceptation permet – bien plus efficacement qu’une sanction – de s’assurer de sa mise en œuvre et de son respect. Le professionnel RH doit s’interroger sur le caractère essentiel ou non de la politique. Par exemple, une politique sur le harcèlement psychologique est fondamentale; celle sur les produits parfumés en milieu de travail peut être superflue. Il faut éviter de tomber dans le piège d’un carcan administratif trop lourd, discutable, qui aura malheureusement un effet inverse à l’objectif initial.
Enjeux… et pistes de solution
En matière de politiques institutionnelles, les principaux défis sont de trois ordres. Tout d’abord, la responsabilisation. Il faut comprendre qu’un trop grand contrôle de l’organisation à travers des règlements internes entraîne inévitablement une déresponsabilisation des employés. En effet, au travail, comme dans les autres sphères de la vie, l’autonomie est un besoin psychologique essentiel de l’individu, c’est-à-dire qu’il veut avoir le choix. La personne doit avoir le sentiment de s’engager volontairement dans quelque chose. Se sentir forcé, se sentir obligé, annihile le libre arbitre. Pour contrer cet effet, il est primordial de bien expliquer le pourquoi de la politique, ses principes, ses objectifs. Cette façon de faire est efficace, car elle soutient l’autonomie, meilleure garantie du respect des politiques grâce à un engagement libre et délibéré.
Le second défi est une application constante et uniforme. Il s’agit non seulement d’une condition de validité, mais aussi d’un enjeu majeur dans les organisations, et ce, pour des raisons d’équité, de cohérence, de même que de rigueur, dans les dossiers de relations de travail. Sur ce sujet, le danger pour une organisation est de se faire taxer de laxisme, de discrimination ou de traitement inéquitable. Il est d’une importance capitale pour l’organisation de bien former les gestionnaires : séances de sensibilisation, d’information ou ateliers de formation, etc. Au-delà de la diffusion de la politique, il faut surtout s’assurer de sa compréhension. Mieux apprivoisée, la politique peut être mise en pratique avec harmonie et régularité.
Enfin, un enjeu de taille est de faire vivre la politique. Nombreuses sont les politiques qui voient le jour, puis sont mises de côté, jetées aux oubliettes. Il est requis de procéder non seulement à des rappels, mais également à des mises à jour. Une certaine discipline est de mise : les politiques doivent être régulièrement évoquées, au rythme d’un métronome au tempo annuel. Il va sans dire que les politiques se doivent d’évoluer avec les enseignements de la jurisprudence ou lorsque l’évolution du cadre juridique ou social le commande. Le professionnel RH doit effectuer une vigie active et être le gardien des bonnes pratiques en matière de politiques.
Conclusion
Les politiques sont sans aucun doute indispensables pour toutes les organisations, puisqu’elles permettent de prescrire les lignes de conduite à adopter. Les politiques représentent le porte-étendard des valeurs, de la mission et des principes auxquels doivent se conformer les manières d’être et d’agir d’un collectif organisationnel. En ce sens, il est intéressant d’envisager la possibilité d’inclure certaines politiques à la convention collective de travail. Pour réussir le passage de la conception à une réelle adhésion, il faut avoir à l’esprit les conditions de validité, rechercher une utilité, tout en ayant à cœur la prévention, la proactivité, l’équité et le sentiment d’appartenance.