Bien que des milliers de plaintes pour harcèlement psychologique soient formulées chaque année, très peu s’avèrent fondées et cheminent jusqu’à une décision qui confirme la situation. En effet, le harcèlement psychologique, tel que défini à la Loi sur les normes du travail, fait fréquemment l’objet d’interprétations subjectives par le plaignant, soit d’interprétations qui, souvent, ne correspondent pas à la perception qu’en aurait une « personne raisonnable ». De fait, c’est à ce critère que s’en remettent les tribunaux lorsqu’ils ont à trancher la question.
Si plusieurs plaintes, fondées ou non, sont déposées en toute bonne foi, d’autres ne sont parfois qu’un moyen de causer des préjudices ou de parvenir à d’autres fins. On peut facilement imaginer les conséquences que peuvent avoir de telles plaintes vexatoires sur la vie personnelle et professionnelle de leurs victimes.
En application de la Loi sur les normes du travail (art. 81.19), il incombe à l’employeur de prévenir et de faire cesser le harcèlement psychologique. L’élaboration d’une politique d’entreprise à cet égard peut être un bon outil pour y parvenir. Or, la mise en œuvre d’une telle politique s’avère aussi un moyen efficace à la disposition de l’employeur pour aviser ses employés des conséquences du dépôt d’une plainte pour harcèlement non fondée.
L’employeur, en application de son obligation plus générale de protéger la santé de ses salariés, ne doit pas tolérer une telle utilisation du mécanisme de plaintes pour l’entreprise. Il se doit au contraire d’agir et, possiblement, d’imposer des mesures disciplinaires à la personne fautive. Il devra cependant agir prudemment, de façon à ne pas décourager les véritables victimes de harcèlement psychologique de se prévaloir de ce mécanisme mis à leur disposition.
La politique sur le harcèlement
La politique sur le harcèlement psychologique de l’organisation doit contenir un ensemble de définitions, de règles et de mécanismes qui permettent aux personnes concernées de dénoncer et de faire cesser le harcèlement au travail. Il est aussi judicieux d’y introduire une section informant les salariés de ce que l’employeur considère comme une plainte pour harcèlement sans fondement et des conséquences y étant associées.
L’employeur ne devrait pas circonscrire de façon trop précise ce qu’il entend par « plainte sans fondement », de façon à favoriser l’application de la clause en temps opportun. Ainsi, on définit le plus souvent de telles plaintes comme étant des plaintes « mensongères, frivoles, vexatoires ou déposées de mauvaise foi ».
La politique devrait également contenir un avis sur les conséquences associées au dépôt d’une plainte pour harcèlement sans fondement. Par exemple une section expliquant que, selon la gravité de la faute, une mesure disciplinaire allant jusqu’au congédiement pourra être imposée dans le cas d’une telle plainte, la gravité de la sanction imposée sera notamment conséquente et proportionnelle à la nature de cette même plainte sans fondement.
Notons ici que la détermination par l’employeur d’une sanction précise (par exemple, le congédiement) dans sa politique d’entreprise ne liera pas un décideur appelé à trancher en cas de litige. En effet, que l’on œuvre en milieu syndiqué ou non, le seul fait que l’employeur ait informé les salariés d’une mesure automatique en cas de plainte pour harcèlement sans fondement ne justifiera pas à tout coup l’imposition d’une telle mesure. Le tribunal se prononcera ainsi sur la proportionnalité de la sanction imposée en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire.
Le traitement de la plainte en apparence frivole
La réception d’une plainte pour harcèlement psychologique doit être prise au sérieux par l’employeur, même si celle-ci paraît frivole ou vexatoire, car il se peut que le plaignant n’ait tout simplement pas une bonne compréhension de ce qu’est le harcèlement. Ainsi, souvent, ce type de plainte pourra être résolu aisément en ayant recours au mécanisme de conciliation prévu dans la politique de l’entreprise.
Par contre, d’autres plaintes nécessiteront la tenue d’une enquête. Or, une fois l’enquêteur désigné, l’employeur devra établir le mandat qui lui sera confié. Dans un contexte où l’employeur a des motifs raisonnables de penser que la plainte est déposée de mauvaise foi, il devrait alors inclure dans le mandat donné à l’enquêteur la tâche de faire enquête sur le caractère frivole ou vexatoire de la plainte. En effet, le mandat pourra dès lors porter non seulement sur la recevabilité de la plainte, mais également sur la détermination du caractère frivole, vexatoire ou de mauvaise foi de celle-ci.
L’imposition d’une mesure disciplinaire
Même si l’employeur a omis de préciser dans sa politique que la plainte pour harcèlement sans fondement est un acte fautif, celui-ci sera justifié d’intervenir par l’imposition d’une mesure disciplinaire s’il s’avère que le plaignant a agi de la sorte.
En effet, le dépôt d’une plainte pour harcèlement sans fondement peut constituer un manquement au devoir de loyauté incombant au salarié et à l’obligation d’agir de bonne foi. En raison d’un tel comportement, non seulement l’employeur subira-t-il des dommages en mettant les ressources requises pour le traitement de la plainte, mais la personne visée par la plainte en subira les conséquences, lesquelles sont souvent désastreuses.
Comme le soulignait un arbitre :
« On peut accepter qu’une personne exerce des recours devant les instances appropriées afin de faire reconnaître ses droits, mais, dans ce processus, il est inacceptable qu’elle tienne des propos accusateurs sur des faussetés ou des éléments dont elle ne peut faire la preuve. […]
[…] Il ressort de la littérature que le devoir de loyauté, qu’il soit celui du salarié ou de l’employeur, ce qui n’est pas contesté, repose avant tout sur des principes généraux de respect d’autrui, sur la bonne foi et l’absence d’intention de nuire à quelqu’un, que ce soit un collègue de travail, un employé ou l’employeur.[1] »
[Notre emphase]
Dans une autre décision rendue en la matière, l’arbitre mettait l’accent sur l’obligation d’une personne, lorsqu’elle dépose une plainte, d’agir de bonne foi :
« Tel que relaté précédemment un employé a le droit de s’exprimer et de critiquer son employeur, mais il doit le faire respectueusement et de bonne foi. Un employé a également le droit de déposer des plaintes contre son employeur afin de faire respecter ses droits mais il doit le faire de bonne foi. La preuve nous démontre que la plainte déposée la veille de la rencontre de réintégration contient des faussetés qui indiquent la facilité avec laquelle la plaignante exagère ou déforme la réalité et ce afin d’obtenir gain de cause. […]
[…] La preuve a également démontré que la plaignante n’était pas de bonne foi lorsqu’elle dépose ses plaintes, attitude qu’elle a même maintenue en présentant une dernière plainte pour harcèlement criminel contre le directeur général et qui confirme son attitude vindicative.[2] »
Une personne qui dépose une plainte pour harcèlement sans aucun motif agit forcément de mauvaise foi, ce qui nécessite l’imposition d’une mesure disciplinaire.
Le choix de la mesure disciplinaire appropriée variera selon les circonstances de chaque cas. Voici quelques facteurs qui peuvent influencer la sévérité de la sanction à être imposée :
- Fonctions assumées par la personne fautive;
- Gravité de la nature de la plainte pour harcèlement sans fondement;
- Existence d’une politique contre le harcèlement psychologique;
- Dossier disciplinaire de la personne fautive;
- Le préjudice causé à la suite du dépôt de la plainte sans fondement;
- Le comportement du salarié après le dépôt de la plainte sans fondement, et plus particulièrement durant l’enquête.
Évidemment, l’existence d’une clause prévoyant les conséquences du dépôt d’une plainte pour harcèlement psychologique frivole ou vexatoire dans la politique de l’entreprise sera déterminante dans le choix de la mesure à imposer.
L’employeur doit habituellement respecter le principe de la progression des sanctions. Ainsi, un avis verbal, suivi d’un avis écrit, d’une suspension courte, d’une suspension longue et enfin d’un congédiement respectera le plus souvent ce principe. Cependant en raison de la nature même d’une plainte pour harcèlement psychologique sans fondement, l’employeur pourrait être appelé à imposer d’emblée des mesures sévères, allant parfois jusqu’au congédiement.
En effet, comme l’ont souligné certains tribunaux, le dépôt d’une plainte sans fondement peut constituer une faute grave, nécessitant l’imposition d’une mesure disciplinaire sévère. Ainsi, selon les circonstances, l’employeur serait justifié d’agir en faisant fi d’une quelconque progression des sanctions.
En conclusion
Lorsqu’un employeur reçoit une plainte pour harcèlement psychologique, une analyse des faits invoqués est nécessaire, et ce, non seulement sur la véracité de ceux-ci, mais également sur la possibilité que ladite plainte ait été déposée de mauvaise foi.
Par ailleurs, l’employeur est justifié d’agir lorsqu’il est aux prises avec des plaintes pour harcèlement psychologique sans fondement. En effet, ces plaintes peuvent elles-mêmes constituer du harcèlement psychologique qui ne saurait être toléré par un employeur soucieux de respecter les obligations qui lui incombent en application des différentes lois du travail.
Une politique complète et détaillée sur le harcèlement, prévoyant les conséquences en cas de dépôt d’une plainte pour harcèlement psychologique sans fondement, facilitera les interventions à venir des gestionnaires pour rétablir le climat de travail.
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Source : VigieRT, septembre 2011.
1 | Brasserie Labatt limitée et Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Brasserie Labatt (CSN), D.T.E. 2005T-935 (T.A.). |
2 | Syndicat des travailleurs et travailleuses en garderie de Montréal – CSN et Centre de la petite enfance Graffiti inc., SOQUIJ AZ-50365112 (T.A.). |