Vous lisez : Perte de permis, perte d’emploi?

Certains emplois ne peuvent être occupés que par des personnes ayant les permis requis en application de la Loi. L’exemple le plus commun est celui d’une personne qui doit conduire un véhicule dans le cadre de son travail et qui doit donc posséder un permis de conduire valide pour travailler. Si certains salariés doivent posséder un permis en raison de conditions particulières à leur emploi (conduite d’un véhicule, port d’arme, etc.), d’autres devront avoir l’équivalent d’un permis de pratique sans lequel ils ne pourront légalement exercer les tâches inhérentes à leur emploi.

Si l’employeur a la responsabilité de s’assurer que les salariés ont les permis requis au moment de l’embauche et, dans certains cas, d’assurer le maintien à jour de cette information, les salariés ont en contrepartie l’obligation d’aviser l’employeur s’ils voient leurs permis révoqués ou suspendus. Une politique d’entreprise faisant état de cette responsabilité des salariés d’informer l’employeur de toute suspension ou révocation de leurs permis est une excellente façon pour celui-ci de limiter les risques de voir sa responsabilité engagée, de s’exposer à des amendes salées ou de faciliter la prise de mesures disciplinaires, le cas échéant.

Quelle voie adopter en cas de perte de permis?
L’employeur devant faire face à la suspension ou à la révocation du permis d’un salarié pourra lui imposer une mesure administrative et, dans certains cas, une mesure disciplinaire.

Les mesures administratives possibles sont notamment :

  • La suspension administrative sans solde;
  • La mutation;
  • La fin d’emploi.

Notons que dans les cas où la possession d’un permis valide est une nouvelle exigence de l’employeur ou devient obligatoire par l’application de la Loi, l’employeur devra accorder aux salariés visés le temps requis afin d’obtenir le permis en question.

L’employeur sera autrement justifié d’imposer une mesure disciplinaire au salarié dans les cas où celui-ci omet d’informer l’employeur de la suspension ou de la révocation de son permis ou fait de fausses allégations quant à la validité de son permis et continu d’effectuer sa prestation de travail.

L’employeur doit cependant, bien que cela puisse s’avérer évident, se questionner sur la réelle obligation du salarié d’être titulaire du permis en question afin d’exécuter ses fonctions. L’exercice peut être fait en évaluant la description de l’emploi visé et des exigences qui y sont contenues. Aussi, il sera également important d’être au fait de la réalité vécue par les salariés sur le terrain afin de connaître les tâches effectuées. Pensons par exemple au salarié qui se déplace en continu dans un véhicule de l’employeur, mais toujours à titre de co-voiturier, ou encore à l’agent de sécurité en affectation temporaire à un poste de nature administrative, sans lien avec ses fonctions habituelles.

Perte ou suspension temporaire du permis, un congé sans solde?
Rares sont les cas où le permis d’un salarié est révoqué de façon permanente. En effet, le plus souvent, le salarié sera sans permis valide durant quelque mois. La question se pose alors quant au maintien ou non du lien d’emploi. Plusieurs tribunaux ont jugé que l’employeur, à moins que ce soit prévu à la convention collective, n’a pas l’obligation d’accorder un congé sans solde au salarié dont le permis est suspendu. Cette question se posait alors essentiellement dans des cas de perte de permis de conduire.

Dans l’affaire Maurice Jacob Inc.[1], le plaignant, un chauffeur de camion, contestait le congédiement qui lui avait été imposé à la suite de la suspension de son permis pour une période de deux ans. Le syndicat représentant le salarié soutenait devant le tribunal que l’employeur avait été déraisonnable et que, dans les circonstances, il aurait pu lui confier un autre poste ou lui imposer un congé sans solde jusqu’à ce que son permis soit valide.

Le tribunal a rejeté le grief. Dans ses motifs, l’arbitre a précisé que :

« Rien dans la convention collective ne protège un salarié qui a perdu son permis de conduire. Il ne peut pas exiger un déplacement ou un congé sans solde. Pour qu’un employé revendique ces droits, il faudrait un texte clair le stipulant. »

De plus, quant à la possibilité d’accorder un autre poste au plaignant, le tribunal a retenu de la preuve que, pour l’ensemble des postes chez l’employeur, conduire un véhiculeest exigé, et ceci, à quelques occasions durant l’annéedu moins.

Notons que chaque cas doit être apprécié à la lumière des faits pertinents. En effet, le congédiement pourrait par exemple ne pas être l’avenue souhaitable lorsque le permis est suspendu pour une très courte période et que l’employeur a l’habitude d’accorder des congés sans solde sans trop de formalités. Chaque cas est un cas d’espèce.

Travailler sans permis à l’insu de l’employeur
Le salarié qui voit son permis suspendu ou révoqué et qui continue à travailler sans en informer son employeur commet une faute justifiant la prise d’une mesure disciplinaire. La majorité des tribunaux ont conclu à l’obligation d’un salarié de communiquer à son employeur la suspension ou la perte de son permis, dès lors qu’il est lié à l’exercice de la prestation de travail. Il est donc de la responsabilité du salarié d’informer l’employeur relativement à tout changement touchant la validité de son permis. Cette obligation, si elle n’existe pas dans le contrat qui lie les parties, existe à tout le moins en application du devoir d’honnêteté que l’employé doit avoir envers son employeur.

À cet effet, un arbitre s’exprimait ainsi :

«Au fait, il faut comprendre qu’un emploi dont les tâches requièrent la détention d’un permis de conduire valide et en vigueur exige de la part de celui qui occupe un tel emploi qu’il informe sans délai son employeur lorsque son permis de conduire est révoqué ou suspendu et qu’il ne satisfait dès lors plus à la condition sine qua non inhérente aux tâches de son emploi qui impliquent la conduite de véhicules de diverses catégories nécessitant un tel permis, car l’employeur ne peut raisonnablement vérifier continuellement, au jour le jour, de semaine en semaine, ou même à chaque mois, si tous ses salariés occupant un tel emploi détiennent toujours un permis de conduire valide, c’est-à-dire non révoqué ou non suspendu.

Or, lorsqu’un salarié ne le fait pas et qu’il continue d’accepter des affectations qui nécessitent l’opération de tels véhicules, il trahit la confiance que son employeur lui fait […].[2] »


[Notre soulignement]

Ainsi, bien qu’il soit préférable d’adopter une politique ou une directive afin que les salariés soient informés de leur obligation de communiquer la perte temporaire ou permanente de leur permis, l’employé aura toujours l’obligation de divulguer à l’employeur qu’il ne répond plus aux exigences de l’emploi.

Illustration jurisprudentielle récente
Un tribunal d’arbitrage a récemment eu à se pencher sur la question du congédiement d’un gardien de sécurité dans une université en raison du refus par l’organisme responsable de lui délivrer le permis d’exercice requis[3]. En effet, en application de la Loi sur la sécurité privée, L.R.Q., chap. S-3.5, le gardien doit être titulaire d’un permis d’agent pour exercer ses fonctions. L’employeur motivait le congédiement sur le plan administratif en soutenant que le salarié ne satisfaisait pas aux exigences du poste puisqu’il ne possédait pas de permis et, du en matière disciplinaire, soutenait que le salarié avait dissimulé les antécédents criminels à la base du refus de l’organisme responsable de lui octroyer le permis d’agent de sécurité. Le syndicat, pour sa part, alléguait notamment que la mesure imposée par l’employeur était disciplinaire et non pas administrative et que l’employeur devait offrir un autre poste au plaignant.

Le tribunal d’arbitrage a rejeté le grief. En effet, de l’avis de l’arbitre, un congédiement imposé en raison du fait que le plaignant ne répond plus aux exigences du poste ne peut être qu’administratif. En de pareilles circonstances, devant l’absence de conduite discriminatoire, abusive ou de mauvaise foi de la part de l’employeur, l’arbitre ne peut modifier la mesure. L’arbitre s’est aussi penché brièvement sur le volet disciplinaire et a conclu que la conduite du salarié peut être qualifiée de faute grave. Constatant enfin que la convention collective ne comporte aucune clause imposant à l’employeur l’obligation d’offrir un autre poste au plaignant, il a rejeté la demande du syndicat à cet effet.

Plusieurs options s’offrent donc à l’employeur lorsqu’un de ses employés voit son permis suspendu ou révoqué et, au surplus, s’il continu à travailler par la suite. En pareil cas, les tribunaux ont pour la plupart qualifié de faute grave le manquement du salarié. Ainsi, dépendamment des circonstances, le congédiement pourra être justifié. Autrement, lorsque le salarié informe l’employeur de la perte de son permis, celui-ci pourra choisir la mesure administrative qui convient le mieux au cas qui se présente à lui.

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Source : VigieRT, octobre 2012.


1 Maurice Jacob inc. et Employés de l’agence Maurice Jacob inc., D.T.E. 91T-893 (T.A.).
2 Syndicat des employés municipaux de la Ville de Saguenay et Ville de Saguenay, D.T.E. 2009T-860 (T.A.).
3 Syndicat des employés d'entretien de l'Université de Montréal, section locale 1186, SCFP/FTQ et Université de Montréal, D.T.E. 2012T-642 (T.A.).
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