Vous lisez : Party de Noël : obligations de l’employeur et des employés

Un employé, ayant pris quelques verres de trop, harcèle une de ses collègues de travail. Une autre, fervente danseuse, glisse et subit une commotion cérébrale en chutant sur un coin de table. Deux personnes qui ne s’apprécient guère en viennent aux coups.

Voilà des scénarios susceptibles de se produire lors du traditionnel party de Noël des employés. Or, qu’en est-il des obligations des employeurs et des employés dans de telles situations? Est-ce que ces obligations persistent lorsque l’événement a lieu en dehors des heures et des lieux de travail?

Avant d’aborder ces questions plus en détail, rappelons quelques principes généraux. En tout temps, l’employeur a l’obligation de protéger la santé, la sécurité et l’intégrité de ses employés[1] et il doit prendre des mesures pour prévenir le harcèlement. Quant aux employés, ils demeurent assujettis aux différentes politiques en vigueur dans l’entreprise. Peu importe son statut, tout individu est susceptible d’engager sa responsabilité civile et criminelle s’il commet un geste répréhensible, par exemple, lorsqu’il est arrêté pour conduite en état d’ébriété.

Voici différentes décisions pertinentes rendues à la suite d’incidents survenus lors d’une activité sociale de Noël.

Accident du travail
Les accidents survenus lors de la préparation ou de la tenue d’un événement social ne sont pas couverts par la CSST.

Dans Marcel Desjardins, partie requérante, et EMD Construction inc., partie intéressée[2], l’employeur, une compagnie de construction, organisait sa réception de Noël dans une auberge. Lors de la préparation de la fête, l’employeur a demandé à l’un de ses employés s’il pouvait aider les employés de l’entreprise engagée pour préparer la fête à déplacer quelques tables en prévision de la soirée. L’employé a accepté, mais en sortant, il a chuté et a subi une déchirure du ligament collatéral interne. Il a donc déposé une réclamation à la CSST.

S’agit-il d’une lésion professionnelle? La Commission des lésions professionnelles répond à cette question par la négative : il ne s’agit pas d’une blessure qui est survenue par le fait ou à l’occasion du travail. En effet, c’était une fête à laquelle tous les employés étaient invités; ainsi, l’activité accomplie par le travailleur était donc volontaire et personnelle[3]. Le tribunal a déjà conclu autrement en d’autres circonstances lorsqu’il s’agissait d’un repas de Noël qui avait lieu sur les lieux du travail, pendant les heures habituelles de travail et lors duquel les employés étaient rémunérés.

Harcèlement sexuel
Le harcèlement sexuel est prohibé, peu importe que l’activité sociale soit organisée sur les lieux habituels de travail ou non et pendant les heures normales de travail ou non. Lorsqu’une politique de harcèlement est en vigueur dans l’entreprise, elle s’applique en tout temps. D’ailleurs, certains employeurs jugent opportun de rappeler son applicabilité aux employés et aux cadres de l’entreprise, avant la tenue de la fête, afin d’éviter des situations fâcheuses comme celles qui suivent.

Dans l’affaire Pelletier et Sécuritas Canada Ltée[4], la Commission des relations du travail (CRT) a analysé sous l’angle du harcèlement sexuel le cas d’un employé qui, à l’occasion du party de Noël annuel de son employeur, a complimenté une employée en lui disant notamment qu’elle est jolie et sexy. Cette dernière, mal à l’aise, ne répondait pas; le plaignant a néanmoins cru bon d’en remettre en vantant « ses prouesses sexuelles » et en déclarant que « les gens de son âge étaient bien meilleurs au lit que les jeunes de la vingtaine, parce que lui a de l’expérience au lit[5] ». Plus tard dans la soirée, sur la piste de danse, il se rendra coupable de comportements déplacés et tentera de soulever la jupe de sa victime.

La CRT a conclu, dans un premier temps, que les actes du plaignant étaient constitutifs de harcèlement sexuel. Le harcèlement sexuel en milieu de travail a été défini par la Cour suprême du Canada comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement[6]. Dans un second temps, la CRT a réitéré que, même si le harcèlement avait eu lieu lors d’un événement, il était prohibé.

Dans l’affaire S.H. et Compagnie A[7], la plaignante était serveuse au pub de l’employeur, la compagnie intimée. Lors du party de Noël annuel, l’employeur a offert à ses employés un souper au restaurant et des boissons alcoolisées. À la fin du repas, tous sont retournés au pub de l’intimée afin de procéder à un échange de cadeaux à « thème érotique ». Au cours de cet épisode, l’employeur, à l’aide d’une paire de menottes donnée en cadeau, a eu un comportement inapproprié aux dépens de l’employée, et ce, au vu et au su des autres employés présents.

La CRT a conclu que l’acte de l’employeur constituait une conduite grave au sens de l’article 81.18 de la LNT. En effet, la conduite de l’employeur a entraîné une détérioration considérable des conditions de travail de la plaignante. Étant lui-même l’auteur du harcèlement, il ne s’était certainement pas acquitté de l’obligation prévue à l’article 81.19 de la LNT, soit de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement ou, s’il y a déjà eu lieu, de le faire cesser.

Violence - Mesure disciplinaire
La violence physique lors d’un party de Noël peut entraîner des conséquences sur le plan criminel, mais également en regard de la relation employeur-employé : même lors d’un événement, les gens sont assujettis à leur statut d’employé, ils peuvent donc encourir des sanctions disciplinaires pour les actes qu’ils posent lors de cette fête.

Dans Nettoyage de drains A Ducharme (2000) inc. et Syndicat national des travailleuses et travailleurs de l’environnement (F.E.E.S.P. – C.S.N.)[8], le plaignant et sa conjointe s’apprêtaient à quitter le party de Noël lorsque la conjointe du plaignant a émis un commentaire peu élogieux à l’encontre de l’organisation de la fête. Un des directeurs de l’employeur l’a alors poussée, furieux des propos qu’elle venait de tenir. Le plaignant, au secours de son épouse, est alors intervenu en tenant le directeur par le collet pendant environ trente (30) secondes avant de le pousser sur une table de billard. Quelques instants plus tard, le plaignant a lancé son téléavertisseur vers la poitrine de son contremaître qui s’était approché pour intervenir. À la suite de cet incident, le plaignant a été congédié.

Le tribunal, considérant plusieurs facteurs dont l’attaque initiale envers l’épouse du plaignant, la gravité de l’agression, sa non-préméditation, le dossier disciplinaire vierge du plaignant, etc. a substitué le congédiement du plaignant par une suspension de neuf mois. Néanmoins, il a rappelé que la violence n’avait pas sa place en milieu de travail, et que ce principe s’appliquait tout autant lors des activités festives offertes par l’employeur : lors de tels événements, l’employé conserve son statut d’employé, et tous les actes de violence sont passibles de sanction disciplinaire.

Dans une autre affaire, Association internationale des machinistes et des travailleuses de l’aérospatiale, district 140, section locale 2309 et Servisair (Avo Minassian)[9], on reproche à un employé d’avoir crié et lancé une chaise parce que le préposé du restaurant où se déroulait la fête de Noël de l’employeur ne trouvait pas son manteau. L’employé aurait même menacé le préposé de lui casser les jambes s’il ne le retrouvait pas.

Proférer des menaces et lancer une chaise sont des comportements qui dénotent un manque de civilité. En outre, ces gestes de l’employé sont susceptibles d’entacher la réputation de l’employeur[10]. Le tribunal, confirmant qu’un employé qui participe à une activité sociale conserve son statut d’employé et que tout manquement de sa part risque d’être sanctionné, a jugé qu’en l’espèce, une suspension de trois jours était raisonnable.

Alcool – Transport des employés en état d’ébriété
Si party de Noël rime avec alcool, les employeurs ne sont pas exemptés d’obligations à cet égard. En effet, un employeur pourrait violer son obligation générale de protéger la santé et la sécurité de ses employés advenant, par exemple, qu’il laisse un employé conduire alors qu’il est ivre et que ce dernier est impliqué dans un accident.

Cependant, cette obligation n’est pas sans limites. En effet, dans la décision Bédard c. Royer[11], un employé a emprunté une motoneige appartenant à son employeur pour se rendre à une activité sociale commanditée par ce dernier. Lors de la soirée, l’employé a consommé de l’alcool aux frais de l’employeur. En fin de soirée, il est retourné chez lui avec la même motoneige. À ce moment, il a heurté une autre motoneige et blessé sa passagère. La Cour d’appel a confirmé la décision de la Cour supérieure selon laquelle l’employeur n’est pas tenu responsable des actes de son employé puisque ce dernier n’était pas dans l’exercice de ses fonctions : il s’était présenté à la soirée à titre purement personnel, sans rapport avec son emploi[12]. Cependant, la Cour d’appel a conclu que l’employeur est responsable des dommages subis par la victime puisqu’il est propriétaire de la motoneige.

Enfin, la Cour suprême du Canada a statué à deux reprises quant à l’obligation d’empêcher une personne de conduire en état d’ébriété. Dans les décisions Stewart c. Pettie[13] et Childs c. Desormeaux[14], la plus haute instance du Canada a fait la distinction entre un hôte commercial (un hôte dont l’hospitalité a un caractère de lucre), par exemple un établissement qui vend de l’alcool, et un hôte privé, par exemple un ami. L’hôte commercial a une obligation de diligence envers ses clients, soit de s’assurer que ceux-ci ne prennent pas la route en état d’ébriété et l’obligation de protéger les membres du public, alors que l’hôte privé n’a pas cette obligation. Cependant, si ses actions contribuent aux risques encourus par le public, celui-ci pourra en être tenu responsable. Bien qu’il s’agisse de décisions de common law, et donc qu’elles ne s’appliquent pas nécessairement au Québec, il est permis de soutenir par analogie qu’un employeur qui organise une fête de Noël pourrait être perçu comme un hôte privé puisqu’il ne retire aucun avantage pécuniaire de l’activité.

Bien que l’employeur puisse ne pas avoir d’obligations directes en ce sens, il n’en demeure pas moins qu’il a intérêt à prévenir tous les problèmes causés par des personnes ivres (comportements dégradants, harcèlement, bagarres, etc.). Afin de s’assurer que l’alcool ne soit pas une source de désagréments, certains employeurs ont notamment adopté les mesures suivantes :

  • fermer le bar quelques heures avant la fin de la fête;
  • instaurer un système de coupons pour l’alcool;
  • prévoir des coupons de taxi;
  • encourager le recours au service « Nez Rouge »;
  • sensibiliser les employés à consommer de façon modérée.

Conclusion
Afin d’éviter les ennuis dont nous venons de faire état et de faire en sorte que la période des Fêtes demeure un moment de réjouissances, un simple rappel des règles et des sanctions applicables pourrait calmer les employés les plus susceptibles de transgresser les règles élémentaires de civisme.

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Source : VigieRT, décembre 2010.


1 Code civil du Québec, L.Q. 1991, c.64, art. 2087; Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1, art. 81.18 et 81.19; Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.R.Q., c. S-2.1, art.51; Charte des droits et liberté de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 46.
2 Marcel Desjardins, partie requérante, et EMD Construction inc., partie intéressée, 2007 QCCLP 496.
3 Ibid., au par. 28.
4 Pelletier et Sécuritas Canada Ltée. D.T.E. 2004T-1149.
5 Ibid., au par. 19.
6 Jazen c. Platy Entreprises Ltd, [1989] 1 R.C.S. 1252, à la page 1284.
7 S.H. et Compagnie A, D.T.E. 2007T-722.
8 Nettoyage de drains A Ducharme (2000) inc. et Syndicat national des travailleuses et travailleurs de l’environnement (F.E.E.S.P. – C.S.N.), D.T.E. 2001T-1030.
9 Association internationale des machinistes et des travailleuses de l’aérospatiale, district 140, section locale 2309 et Servisair (Avo Minassian), D.T.E. 2009T-448.
10 Ibid., au par. 53.
11 Bédard c. Royer, J.E. 2003-1782.
12 Bédard c. Royer, J.E. 2002-222, au par. 80 et 85.
13 Stewart c. Pettie [1995] 1 R.C.S. 131.
14 Childs c. Desormeaux [2006] 1 R.C.S. 643.
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