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Le Règlement fédéral sur la prévention de la violence dans le lieu de travail : parallèle avec les dispositions québécoises concernant le harcèlement psychologique au travail

Le Règlement sur la prévention de la violence dans le lieu de travail, adopté en mai 2008, constitue la nouvelle partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail[1].

Ce Règlement a été adopté en application de la partie II du Code canadien du travail[2] (Code) dont l’objet est de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi dans les entreprises de compétence fédérale, plus précisément en vertu de l’article du Code qui prévoit l’obligation pour les employeurs fédéraux de prévenir et de réprimer la violence en milieu de travail[3].

I. CONTEXTE D’ADOPTION DU RÈGLEMENT

Le gouvernement canadien justifie cette intervention règlementaire par les recommandations émises dans le cadre de l’enquête menée par le Conseil canadien de la sécurité à la suite des événements chez OC Transpo. Cette enquête suivait la fusillade ayant tué quatre personnes en 1999 à Ottawa. Un salarié qui se sentait harcelé avait alors ouvert le feu sur ses collègues, sur les lieux du travail, puis s’était enlevé la vie.

Le Conseil avait alors recommandé que le gouvernement fédéral adopte une loi contre la violence en milieu de travail.

Plusieurs projets de loi ont donc été discutés sur la scène fédérale, depuis le début des années 2000, en vue de l’adoption d’une loi prohibant d’abord le harcèlement au travail. Le 24 septembre 2003, le Bloc Québécois déposait un projet de modifications au Code, visant le harcèlement psychologique. Ce projet de loi était le pendant de la modification à la Loi sur les normes du travail au Québec (LNT) concernant les dispositions sur le harcèlement psychologique. Le projet de loi fédéral est toutefois mort au feuilleton lors du déclenchement des élections en 2004, puis défait en deuxième lecture lorsqu’il fut repris pour analyse après les élections.

Un nouveau projet de loi sur le harcèlement a été déposé par le Bloc Québécois le 7 avril 2005, mais il a également été défait en seconde lecture.

Puis, en novembre 2007, le NPD déposait un nouveau projet de loi sur le harcèlement psychologique, lequel n’a toutefois jamais passé l’étape de la première lecture.


II. CE QUE VISE LE RÈGLEMENT ET PARALLÈLE AVEC LES DISPOSITIONS QUÉBÉCOISES CONCERNANT LE HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE AU TRAVAIL

A. Les définitions de « violence dans le lieu de travail » au fédéral et de « harcèlement psychologique » au provincial
Le Règlement finalement adopté en mai 2008 vise plutôt la « violence dans le lieu de travail » et non le harcèlement.

Cette notion de violence dans le lieu de travail est définie dans le Règlement comme étant « tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie »[4].

Par opposition, la LNT au Québec vise le harcèlement psychologique au travail, lequel est défini comme étant « une conduite vexatoire qui se manifeste par des comportements, des paroles ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, qui portent atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui rendent le milieu de travail néfaste »[5]. Au provincial, une seule conduite grave peut également être considérée comme étant du harcèlement psychologique.

La violence comprend-elle la notion de harcèlement? Nous le croyons, malgré l’absence de décision rendue pour l’instant concernant la partie XX du Règlement fédéral. L’ancien ministre canadien du travail, M. Jean-Pierre Blackburn, s’était pour sa part prononcé sur cette question, lors de l’annonce publique concernant le Règlement, en déclarant que la notion de violence inclut la notion de harcèlement psychologique. Il est à prévoir qu’un décideur trancherait également en ce sens. En effet, la définition de violence semble étendue. Il est à noter cependant qu’on ne retrouve la mention ni de la répétition des gestes, ni de la gravité d’une seule conduite, ou encore de leur caractère vexatoire, hostile ou non désiré dans la définition de la « violence dans le lieu de travail ». Toutefois, un article du Règlement traite des facteurs de risques pour la survenance de violence et, à ce chapitre, la fréquence des situations et la gravité des conséquences pour les employés exposés figurent parmi les facteurs dont il faut tenir compte.

Le but de prévention de la violence apparaît clairement dans le libellé de cette définition de « violence dans le lieu de travail ». En effet, selon ce libellé, pour qu’il y ait violence, le comportement reproché doit simplement avoir le potentiel de « vraisemblablement causer un dommage, un préjudice ou une maladie ».

À titre d’indication supplémentaire quant aux comportements prohibés en vertu du Règlement, l’article traitant de l’élaboration d’une politique d’entreprise sur le sujet mentionne que celle-ci doit viser notamment l’intimidation, les taquineries et les comportements injurieux ou agressifs. Il y a donc peu de différence avec les types de comportements visés par la notion de harcèlement psychologique au provincial.

B. Les obligations précises au fédéral versus l’obligation plus générale au provincial
Alors que la LNT prévoit l’obligation générale pour l’employeur de prendre les moyens raisonnables pour prévenir et faire cesser le harcèlement psychologique[6], le Règlement fédéral dresse une série d’obligations particulières pour les employeurs fédéraux et établit, pour chaque obligation, des moyens précis pour qu’elle soit remplie. À ce titre, le Règlement oblige les employeurs visés à :

  • élaborer et afficher une politique de prévention de la violence dans le lieu de travail et affecter le temps et les ressources nécessaires à la gestion des facteurs de risques sur le sujet[7];

     
  • déterminer et évaluer les facteurs de risque de violence dans le lieu de travail, plusieurs facteurs étant par ailleurs mentionnés au Règlement, notamment la fréquence des situations comportant un risque de violence et la gravité des conséquences pour les employés exposés[8];

     
  • contrôler les facteurs de risque de violence dans le lieu de travail en mettant en place des mécanismes de contrôle systématiques afin de les prévenir et de les réprimer « autant que faire se peut ». Notons à ce sujet que le libellé du Règlement – tout comme le libellé à la LNT d’ailleurs – fait en sorte qu’il s’agit pour les employeurs d’une obligation de moyens et non de résultats. Toutefois, à l’inverse de la LNT, le Règlement fédéral précise que l’employeur doit réagir dès que possible, mais au plus tard quatre-vingt-dix (90) jours après la date où les possibilités de violence ont été évaluées. Il n’y a pas à la LNT de mention concernant ce type de délai d’intervention[9];

     
  • former les employés exposés à des risques de violence, chaque fois que de nouveaux renseignements le justifient, et au moins tous les trois ans[10];

     
  • mettre en place des mesures d’aide aux victimes;

     
  • réviser ses initiatives sur une base régulière et les mettre à jour, ceci au moins tous les trois ans[11];

     
  • commander la tenue d’une enquête sur la situation dénoncée comme génératrice de violence dans le lieu de travail, si la situation ne se règle pas à l’amiable dans les meilleurs délais. Le Règlement prévoit aussi qui est considéré comme une « personne compétente » pour mener cette enquête, à savoir une personne considérée impartiale par les parties, qui a les connaissances, la formation et l’expérience pertinentes et qui connaît les textes législatifs applicables. Le Règlement exige qu’une copie du rapport d’enquête écrit de même que des conclusions et recommandations qu’il comporte, soit remise au comité local ou au représentant en santé et sécurité (en y ayant toutefois camouflé les informations sur l’identité des tierces personnes). Le Règlement prévoit en outre des exceptions intéressantes à cette obligation de faire enquête, exceptions relatives aux cas où l’auteur de la violence n’est pas un employé et où les situations de violence font partie des conditions normales de l’emploi[12].

C. Les recours
Au Québec, la LNT prévoit un recours pour le salarié contre son employeur si celui-ci manque à son obligation de prendre tous les moyens pour assurer un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique[13]. Le salarié a alors quatre-vingt-dix (90) jours à compter de la dernière manifestation de la conduite de harcèlement pour déposer une plainte. La Commission des relations du travail est ultimement le forum compétent pour entendre celle-ci, sauf si l’employé est régi par une convention collective, auquel cas seul l’arbitre de grief aura compétence. Également, dans le cas où une lésion professionnelle aurait découlé du harcèlement psychologique, la Commission de la santé et de la sécurité du travail serait alors compétente pour entendre cette portion du litige[14].

Au fédéral, on n’a pas prévu de recours similaire à celui qui est prévu par la LNT. Il n’y a pas de processus de plainte précis eu égard à la nouvelle partie XX du Règlement.

Cependant, l’employé conserve son droit de refus de travailler en présence d’une situation dangereuse[15]. Le droit de refus a d’ailleurs été invoqué par le passé dans des cas où les employés prétendaient être exposés à des situations de violence au travail, ceci avant même l’entrée en vigueur de la partie XX du Règlement[16].

Par ailleurs, même si cette situation est moins susceptible de se présenter, un employeur qui ne respecterait pas ses obligations concernant la violence dans le lieu de travail s’expose à des sanctions en vertu de l’article 148 et les suivants du Code. En effet, l’article 148 (5) du Code clarifie justement qu’un règlement adopté en vertu des articles 125 et 157 du Code (ce qui est le cas du Règlement) sera sanctionné par l’article 146 et les suivants. Des amendes pourraient donc notamment être imposées à l’employeur qui n’aurait pas respecté la nouvelle partie XX du Règlement. Il est toutefois à noter que les pouvoirs d’intervention sont plus limités que ceux, fort détaillés, prévus à la LNT en cas de plainte pour harcèlement psychologique[17].


III. CONCLUSION

En conclusion, les balises entourant les nouvelles dispositions règlementaires concernant la violence dans le lieu de travail au fédéral restent encore floues à ce jour. Nous n’avons répertorié aucune décision sur le sujet. En outre, un Guide explicatif du Règlement est, semble-t-il, en préparation à Travail Canada et sera bientôt disponible au public. Il est à prévoir une certaine période de flottement sur le sujet, particulièrement si on considère que, cinq ans après l’entrée en vigueur des dispositions sur le harcèlement psychologique au Québec et une abondante jurisprudence rendue à ce jour, plusieurs sont d’avis que la jurisprudence sur la question commence tout juste à permettre l’émission de balises plus claires. Ce travail reste donc à effectuer au fédéral, mais les entreprises de compétence fédérale doivent dès maintenant être sensibilisées à l’impact potentiel des nouvelles dispositions.

Me Jean R. Allard, CRHA et Me Catherine Biron, CRHA du cabinet Ogilvy Renault

Source : VigieRT, numéro 42, novembre 2009.


1 DORS/86-304.
2 L.R.C. (1985) ch. L-2.
3 Art. 125 (1)z.16) du Code.
4 Art. 20.2 du Règlement.
5 Art. 81.18 LNT.
6 Art. 81.19 LNT.
7 Art. 20.3 du Règlement.
8 Art. 20.4 et 20.5 du Règlement.
9 Art. 20.6 du Règlement.
10 Art. 20.10 du Règlement.
11 Art. 20.7 du Règlement.
12 Art. 20.9 du Règlement.
13 Art. 123.6 et 123.15 LNT.
14 Art. 123.16 LNT.
15 Art. 128 et suivants du Code.
16 Notamment la décision Tench and canada (National Defence, Maritime Forces Atlantic), 2009 LNOHSTC 1.
17 Art. 123.15 LNT
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