Vous lisez : Obligation d’accommodement : l’affaire Hydro-Québec et ses récentes suites

La Cour suprême du Canada a rendu un important arrêt cet été, en matière d’obligation d’accommodement. L’affaire Hydro-Québec remonte au 19 juillet 2001, date à laquelle cet employeur a congédié administrativement une de ses employées de bureau, qui s’était absentée 960 jours entre 1994 et 2001, son dernier jour de travail ayant été le 8 février de cette année-là. La plaignante souffre d’un trouble de la personnalité mixte, avec des traits de trouble de la personnalité limite, ce qui l’a amenée à s’absenter durant de longues périodes et à de nombreuses reprises, après plusieurs tentatives de retour au travail et de nombreux ajustements de ses conditions de travail afin de tenir compte de ses limites.

L’arbitre Gilles Corbeil[1] a rejeté le grief de la plaignante, estimant qu’Hydro-Québec avait réussi à démontrer que, dans un avenir raisonnablement prévisible, la plaignante ne pouvait donner une prestation régulière de travail et que, par surcroît, les conditions de retour au travail suggérées par l’expert syndical constituaient une « contrainte excessive » malgré les accommodements que l’employeur avait déjà apportés à son environnement de travail.

En révision judiciaire, la Cour supérieure du Québec[2] a confirmé cette sentence arbitrale, estimant que le congédiement administratif en cause n’était pas une mesure déraisonnable, abusive, injuste ou discriminatoire. Qui plus est, la juge Lise Matteau a décidé que l'employeur n’avait aucunement l’obligation d’assumer le fardeau exorbitant qu’est celui d’éliminer tous les facteurs de stress chez la plaignante, qu’ils proviennent de son milieu de travail ou de son milieu familial.

Pour sa part, la Cour d’appel du Québec[3] a cassé ce jugement[4], principalement pour le double motif suivant : d’une part, elle a reproché à Hydro-Québec de ne pas avoir démontré qu’il lui était impossible de composer avec les limitations de la plaignante, sans avoir envisagé toutes les mesures d’accommodement raisonnablement possibles et sans en subir une contrainte excessive; d’autre part, la Cour d’appel a reproché à l’arbitre de griefs d’avoir tenu compte uniquement de ses absences du travail, sans avoir considéré le conflit de travail qui perdure et que les parties n’ont pas tenté de régler.

Par conséquent, la Cour d’appel a annulé le congédiement de la plaignante et a retourné le dossier à Gilles Corbeil, afin qu’il se prononce uniquement sur la question de réparation, advenant que les deux parties ne s’entendent pas.

Mais voici que, dans l’intervalle, Hydro-Québec a interjeté un pourvoi à la plus haute instance judiciaire au Canada, pourvoi que la Cour suprême du Canada[5] a accueilli le 17 juillet 2008, confirmant en cela la sentence de l’arbitre Gilles Corbeil.

D’une part, la Cour suprême du Canada a déclaré erroné le critère d’évaluation de la contrainte excessive que la Cour d’appel du Québec avait formulé, ce critère ne résidant pas dans l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un de ses salariés. En l’espèce, la bonne marche de l’entreprise a été entravée de façon excessive et, bien que l’employeur ait tenté de convenir de mesures raisonnables d’accommodement, la plaignante est néanmoins demeurée incapable de fournir sa prestation de travail dans un avenir raisonnablement prévisible.

D’autre part, la Cour suprême du Canada a également jugé que la Cour d’appel du Québec avait erronément estimé que l’obligation d’accommodement doit être évaluée au moment de la décision de congédier la plaignante. En l’espèce, c’est plutôt une évaluation globale de l’obligation d’accommodement qui aurait dû être adoptée, afin de tenir compte de l’ensemble de la période pendant laquelle la plaignante s’était absentée.

Depuis le 17 juillet 2008, date à laquelle la Cour suprême du Canada a rendu son jugement dans l’affaire Hydro-Québec, jusqu’au moment d’écrire ses lignes à la mi-novembre 2008, nous avons été en mesure de répertorier dans Droit du Travail Express 2008, quatre sentences arbitrales publiées qui se rapportent à l’obligation d’accommodement raisonnable.

La première est celle rendue par Louise Dubé à l’égard des Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw[6], sentence par laquelle elle a rejeté des griefs contestant une fin d’emploi pour incapacité physique et psychologique et réclamant le non-respect de l’obligation d’accommodement. La plaignante en question avait eu plusieurs malchances sur le plan médical : dépression, chirurgie du tunnel carpien, chirurgie pour anévrisme géant et accident vasculaire cérébral occasionnant des atteintes permanentes d’ordre cognitif.

D’abord, l’arbitre Louise Dubé a jugé que l'employeur avait entrepris une démarche sérieuse et en collaboration avec le syndicat, laquelle démarche a permis de conclure à l’inexistence d’un poste disponible correspondant à la qualification et aux capacités réduites de la plaignante. Ensuite, elle a écarté la possibilité d’un transfert comme gardienne de nuit dans un autre établissement, du fait qu’une telle mesure aurait pu mettre en danger la sécurité de la plaignante au sein de ce Centre de jeunes contrevenants. Enfin, l’arbitre Dubé a jugé que l'employeur n’avait aucunement l’obligation de créer un poste sur mesure pour cette dernière, ni davantage à lui offrir une assistance permanente, sous peine de subir une contrainte excessive.

Nous passons rapidement sur la deuxième sentence répertoriée, soit celle de Jean-Denis Gagnon dans l’affaire des Cols bleus de la Ville de Laval[7], étant donné qu’il s’agit d’une sentence intérimaire qui a rejeté une objection à l’arbitrabilité du grief et qui a reporté à une date ultérieure l’audience sur le fond. Disons simplement que cette sentence a réitéré la jurisprudence existante voulant que soit interprétée de façon libérale la notion de « handicap » utilisée à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec[8], de sorte d’y inclure notamment les maladies psychologiques et psychiatriques, telles la schizophrénie, pour laquelle le plaignant en l’espèce avait été congédié, en raison de son incapacité permanente à occuper son emploi.

C’est également d’une objection sur l’arbitrabilité du grief que l’arbitre Yvan Brodeur était saisi dans la troisième sentence répertoriée, cette fois-ci rendue dans l’affaire des Cols bleus de la municipalité de Rawdon[9], sauf qu’après avoir rejeté cette objection, cet arbitre de griefs s’est également prononcé sur le fond, dans cette même sentence arbitrale. Cette dernière est intéressante en ce qu’elle fournit une illustration d’un congédiement qui a été jugé discriminatoire.

Après une opération au cœur en 2002, le plaignant est revenu à son poste de chef d’équipe au Service des travaux publics, à raison de deux jours par semaine tout en restant de garde pour recevoir les appels d’urgence les trois autres jours. En 2005, la municipalité a mis fin à cette mesure d’accommodement et, en 2006, elle a mis fin à l’emploi du plaignant, alors âgé de 71 ans, après avoir demandé une évaluation médicale.

Notre collègue Yvan Brodeur a jugé que la municipalité n’avait pas démontré pourquoi et comment la contrainte de 2002 était devenue excessive en 2006, étant donné que l’état de santé du plaignant était demeuré stable et que ce dernier avait toujours fourni sa pleine collaboration à l’égard des accommodements proposés.

Et finalement, la quatrième et dernière sentence répertoriée met également en évidence les notions de handicap et d’obligation d’accommodement, cette fois-ci dans un cas de dépendance au médicament analgésique Fiorinal. Il s’agit de la sentence arbitrale rendue par l’arbitre Jean-Paul Deschênes, dans l’affaire du Centre de santé et de services sociaux de Québec – Nord[10].

Cet arbitre de griefs a jugé que la pharmacodépendance constituait une maladie au même titre que l’alcoolisme et que l'employeur avait donc une obligation d’accommodement. Cependant, étant donné que la plaignante avait utilisé de fausses ordonnances médicales, le congédiement a été remplacé par une suspension sans traitement de 16 mois.

Pour conclure en ce qui concerne cette notion d’accommodement raisonnable, qui est en constante évolution, quoi de mieux que de citer la Cour suprême du Canada dans l’affaire Hydro-Québec[11], laquelle nous a récemment transmis les enseignements suivants :

  • d’abord, sur la norme à satisfaire pour que l'accommodement proposé soit jugé comme ne constituant pas une contrainte excessive :

    « L’obligation d'accommodement n'a cependant pas pour objet de dénaturer l'essence du contrat de travail, soit l'obligation de l'employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail. »[12]

    « Le critère n'est pas l'impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d'un employé. L'employeur n'a pas l'obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l'obligation d'aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l'employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail. »[13]

  • ensuite, sur le moment pertinent pour décider si l'Employeur a satisfait ou non à son obligation d’accommodement raisonnable :

    « La Cour d'appel a estimé que l'obligation d'accommodement devait être évaluée au moment de la décision de congédier la plaignante. (...)[14] »

    « En l'espèce, la Cour d'appel a appliqué de façon tout aussi inappropriée une approche compartimentée. La décision de congédier un employé parce qu'il ne peut fournir une prestation dans un avenir raisonnablement prévisible doit nécessairement reposer sur une évaluation de l'ensemble de la situation. Lorsque, comme en l'espèce, une maladie a causé des absences dans le passé, que l'employeur a pris des mesures d'accommodement en faveur de l'employé pendant plusieurs années et que le pronostic des médecins est peu optimiste en ce qui a trait à une amélioration de l'assiduité au travail, ni l'employeur ni l'employé ne peuvent faire abstraction du passé pour évaluer la contrainte excessive. »[15]

Diane Sabourin, CRIA, avocate et arbitre de griefs

Source : VigieRT, numéro 32, novembre 2008.


1 Cette sentence arbitrale a été rendue le 19 septembre 2003, mais à notre connaissance, elle n’a pas fait l’objet d’une publication.
2 Syndicat des employées et employés de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP/FTQ) c. Hydro-Québec et Me Gilles Corbeil, jugement initialement rendu le 21 octobre 2004 et rectifié le 5 novembre 2004, madame la juge Lise Matteau de la Cour supérieure du Québec, SOQUIJ AZ-50276491 et D.T.E. 2004T-1121.
3 Syndicat des employées et employés de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP/FTQ) c. Hydro-Québec et Me Gilles Corbeil, 7 février 2006, les juges Hilton, Bich et Dufresne de la Cour d’appel du Québec, SOQUIJ AZ-50354899 et D.T.E. 2006T-188.
4 Voir notre résumé de ce jugement rendu par la Cour d’appel, dans « Quoi de neuf chez les arbitres de griefs? Obligation d’accommodement, harcèlement psychologique et application de l’arrêt Isidore Garon », Développements récents en droit du travail, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 2007, Éditions Yvon Blais, Cowansville, pages 135 à 166.
5 Ibid., note 2.
6 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2718 c. Centre de la jeunesse et de la famille Batshaw, 18 juillet 2008, Me Louise Dubé, arbitre de griefs, SOQUIJ AZ-50504040 et D.T.E. 2008T-656.
7 Syndicat des cols bleus de la Ville de Laval, section locale 4545 (SCFP) c. Ville de Laval, 31 juillet 2008, Me Jean-Denis Gagnon, arbitre de griefs, SOQUIJ AZ-50505928 et D.T.E. 2008T-683.
8 1977, L.R.Q., c. C-12.
9 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1084 c. Municipalité de Rawdon, 12 août 2008, Me Yvan Brodeur, arbitre de griefs, SOQUIJ AZ-50507609 et D.T.E. 2008T-757. Cette sentence arbitrale fait cependant l’objet d’une requête en révision judiciaire, déposée le 12 septembre 2008, sous C.S. # 705-17002698-080.
10 Syndicat des professionnels de CLSC-CHSLD de Québec et de Chaudière-Appalaches (CSN) c. Centre de santé et de services sociaux de Québec – Nord, 9 septembre 2008, M. Jean-Paul Deschênes, arbitre de griefs, SOQUIJ AZ-50513580 et D.T.E. 2008T-818.
11 Ibid., note 2.
12 Ibid., note 2, paragraphe 15.
13 Ibid., note 2, paragraphe 16.
14 Ibid., note 2, paragraphe 20.
15 Ibid., note 2, paragraphe 21.
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