Il est déjà bien établi en jurisprudence que l’article 45 du Code du travail ne s’applique qu’au Québec et n’a pas de portée extraterritoriale. Par conséquent, l’employeur a le loisir de vendre, céder ou transférer une partie ou la totalité de ses opérations dans une autre province sans que l’accréditation et la convention collective, le cas échéant, ne soient transférées. Par contre, les dispositions d’une convention collective peuvent-elles limiter le droit d’un employeur de transférer un travail réalisé dans un établissement au Québec dans un autre de ses établissements à l’extérieur du Québec?
Dans l’affaire Parmalat Canada inc. c. Tremblay [1], la Cour supérieure s’est récemment penchée sur la question, à l’occasion de la révision d’une sentence arbitrale ayant donné raison à la position syndicale.
Les faits
Le syndicat était accrédité pour représenter tous les employés de bureau et de laboratoire à l’exception de la secrétaire de direction de la compagnie Les Aliments Parmalat inc. De plus, le certificat d’accréditation indiquait l’adresse de l’usine située à Victoriaville.
L’article pertinent de la convention collective prévoyait ce qui suit :
« 2.02 Un employé exclu de l’unité de négociation ne peut accomplir de travail habituellement accompli par une personne salariée, si cela devait avoir pour effet la mise à pied ou le maintien de la mise à pied d’une personne salariée. »
Les parties avaient demandé à un arbitre de déterminer si Parmalat avait le droit de transférer un travail habituellement accompli par un salarié de l’usine de Victoriaville à son usine située en Ontario en tenant pour acquis que cela allait entraîner des mises à pied.
L’arbitre a conclu que l’employeur n’avait pas le droit d’agir de la sorte et que la clause de la convention collective interdisant de faire effectuer un travail par des salariés exclus de l’unité devait s’appliquer non seulement à son établissement de Victoriaville, mais aussi à tout autre établissement, même situé à l’extérieur du Québec. De façon surprenante, l’arbitre décidait qu’une clause comme celle qui est intégrée à la convention collective, peu importe le contexte dans lequel elle est imposée, devait servir à protéger l’emploi des salariés couverts par le certificat d’accréditation sans égard à un lieu géographique où ils se situent.
La décision de la Cour supérieure
Devant la Cour supérieure, l’employeur demande la révision de la décision de l’arbitre pour plusieurs raisons, notamment parce qu’elle aurait une portée extraterritoriale.
Dans un premier temps, la Cour note qu’il ne faut pas nécessairement conclure que les parties ont voulu limiter la portée des clauses de la convention collective à l’usine de Victoriaville simplement du fait que l’adresse civique apparaisse dans le texte, alors qu’elle ne faisait pas partie des conventions précédentes. À cet effet, il convient de noter que Parmalat a « hérité » de cette convention collective et de l’accréditation à la suite de l’achat de l’usine à Lactantia Ltée. À cette époque, il n’y avait qu’un seul établissement. La Cour supérieure conclut qu’il faut considérer que les parties ont pris en compte la nouvelle réalité de l’entreprise.
Quant à l’argument de l’employeur relativement à la portée extraterritoriale de la décision de l’arbitre, la Cour le rejette. Elle conclut que l’employeur a conventionnellement restreint son recours au transfert de tâches à d’autres de ses employés ne faisant pas partie de l’unité de négociation, que ces derniers composent le personnel de l’employeur de l’établissement visé par la convention collective ou de ses autres établissements.
Selon la Cour, l’interprétation de l’arbitre d’un tel engagement n’affecte en rien l’étendue et la portée géographique du certificat d’accréditation. L’engagement ne sert qu’à protéger les emplois des personnes travaillant à l’établissement accrédité.
Leçons pour les employeurs
Cette décision démontre l’importance que tout employeur doit accorder au libellé des dispositions d’une convention collective relatives notamment au transfert de tâches. Le caractère extraterritorial de la portée d’une telle clause ne sera pas suffisant pour en limiter l’application; l’employeur qui souhaite encadrer la sous-traitance et/ou l’impartition en lien avec un établissement ou une région géographique précise devra le faire en termes exprès.
Jacques Rousse, CRIA, associé, et Martine Bélanger, avocate, McCarthy Tétrault LLP / S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Source : VigieRT, numéro 41, octobre 2009.
1 | D.T.E. 2009T-665 |