Vous lisez : Moyens de pression dans les entreprises de juridiction fédérale

À l’heure où différents acteurs des relations du travail au Québec se concentrent sur les dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail[1] et sur la possibilité ou non d’amender les règles associées aux droits et aux obligations des parties en cas de moyens de pression, de multiples employeurs se voient assujettis à un régime distinct, soit à celui du Code canadien du travail[2]. Ce régime est fondamentalement différent du modèle québécois à bien des égards, et un nombre important d’entreprises de juridiction fédérale doit se soumettre à ses impératifs.

Le présent article se veut un survol des différentes règles régissant les moyens de pression exercés par un syndicat dans un contexte de négociation collective lorsque l’employeur visé est de juridiction fédérale.

L’acquisition du droit de grève
La grève, à titre de moyen de pression exercé sur l’employeur, est évidemment réservée aux seuls salariés dûment accrédités en vertu du Code canadien du travail. De plus, tout comme en droit québécois, toute grève déclenchée alors qu’une convention collective est en vigueur est illégale.

La première exigence nécessaire à l’acquisition du droit de grève consiste en l’envoi d’un avis de négociation. L’une des parties avisera ainsi formellement l’autre de son souhait d’entamer les négociations pour la conclusion ou le renouvellement d’une convention collective. Cet avis est l’élément déclencheur de deux obligations incombant à chacune des parties :

« (i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective;[3]  »

La première rencontre doit se tenir dans les vingt (20) jours suivant la réception de l’avis ou dans le délai convenu par les parties. L’obligation de faire les efforts raisonnables pour convenir d’une entente est synonyme de l’obligation pour chacune des parties de négocier de bonne foi.

La deuxième exigence consiste en la constatation que, malgré les efforts déployés par chacune des parties, ou parce qu’elles n’ont pas déployé les efforts raisonnables requis, elles n’ont pu réussir à s’entendre sur une convention collective. Ce fait entraînera la possibilité pour l’une des parties d’aviser le ministre d’un avis de différend. Par cet avis, la partie concernée informe le ministre que les parties à l’exercice de négociation collective n’ont pas réussi à conclure, à réviser ou à renouveler une convention collective.

À la suite de la réception de cet avis de différend, ou de sa propre initiative, le ministre prendra l’une des quatre décisions suivantes et la communiquera aux parties :

  1. Nommer un conciliateur.
    Le conciliateur est chargé de rencontrer les parties pour les aider à conclure une convention collective. Il doit transmettre au ministre un rapport faisant état des résultats de son intervention dans les quatorze (14) jours de sa nomination. C’est l’option la plus souvent choisie par le ministre.

  2. Nommer un commissaire-conciliateur.
    Le commissaire-conciliateur doit mener une enquête et peut, dans ce cadre, demander à des personnes de témoigner devant lui ou étudier les dossiers de négociation. Il doit aussi faire un rapport au ministre, dans le même délai de quatorze (14) jours, dans lequel il fera ses recommandations.

  3. Constituer une commission de conciliation.
    Lorsque le ministre choisit cette solution, chacune des parties est appelée à nommer une personne pour siéger, et les deux personnes nommées en choisiront une troisième, le président. La commission dispose pour sa part d’un délai de soixante (60) jours pour remettre son rapport au ministre, sauf entente entre les parties.

  4. Ne nommer aucune des personnes en 1 et 2 ni l’organisme nommé en 3.
    Enfin, s’il n’en ressent pas le besoin, le ministre peut choisir de ne nommer ni conciliateur, ni commissaire-conciliateur, ni commission de conciliation. Il en avise alors les parties.

La décision du ministre est importante puisque, avant d’avoir le droit de grève, vingt-et-un (21) jours devront s’être écoulés depuis :

  • La date à laquelle le ministre aura signifié son intention de ne pas nommer de conciliateur, de commissaire-conciliateur ni de commission de conciliation; ou
  • La date à laquelle le ministre a avisé les parties que le conciliateur lui a fait rapport des résultats de son intervention; ou
  • La date à laquelle le ministre aura remis aux parties une copie du rapport du commissaire enquêteur ou de la commission de conciliation; ou
  • La date à laquelle le ministre est réputé avoir reçu le rapport ou avoir été informé des résultats de l’intervention du conciliateur.

L’exercice du droit de grève
Une fois ce délai de vingt-et-un (21) jours expiré, et non avant, le syndicat aura acquis le droit de grève. Notons cependant que, bien qu’il ait acquis le droit de déclarer la grève, le syndicat doit se conformer à certaines autres exigences avant d’exercer un tel droit. En effet, si la grève en question est susceptible d’entraîner un danger pour la santé ou la sécurité du public, et si l’employeur a soumis la question au Conseil canadien des relations industrielles, celui-ci devra s’être prononcé sur le litige avant le début de la grève. Aussi, le syndicat devra avoir donné à l’employeur un préavis de soixante-douze (72) heures, l’informant de la date et de l’heure à laquelle la grève sera déclenchée. Enfin, le syndicat devra avoir tenu un vote au scrutin secret, auquel tous les salariés du service pourront avoir participé, et dont une majorité votante aura approuvé la grève. Ce vote devra avoir été tenu dans les soixante (60) jours précédant une déclaration de grève.

Les travailleurs de remplacement
Contrairement au Code du travail, le Code canadien du travail n’interdit pas à l’employeur de recourir à des travailleurs de remplacement en cas de grève déclenchée par le syndicat. L’employeur n’a cependant pas tout à fait carte blanche, la limite étant ainsi formulée :

« 94 (2.1) Il est interdit à tout employeur ou quiconque agit pour son compte d’utiliser, dans le but établi de miner la capacité de représentation d’un syndicat plutôt que pour atteindre des objectifs légitimes de négociation, les services de toute personne qui n’était pas un employé de l’unité de négociation à la date de remise de l’avis de négociation collective et qui a été par la suite engagée ou désignée pour exécuter la totalité ou une partie des tâches d’un employé de l’unité de négociation visée par une grève ou un lock-out. »

[Notre emphase.]

Il est donc possible pour un employeur d’avoir recours à des briseurs de grève, mais il ne peut le faire pour miner la capacité de représentation du syndicat. Tel sera le cas si le recours à ces briseurs de grève est fait dans le seul but de se débarrasser du syndicat, chose qu’il sera difficile pour celui-ci de mettre en preuve.

Le mécanisme d’acquisition et d’exercice du droit de grève sous le Code canadien du travail est donc, somme toute, bien différent de celui sous le Code du travail. Il est fondamental, avant même d’entamer le processus de négociation, d’évaluer les différentes étapes à travers lesquelles le syndicat devra passer avant d’acquérir le droit de grève et d’établir un plan d’action en conséquence. Une bonne connaissance de ces différentes étapes favorisera l’élaboration d’un plan de contingence adapté à la situation.

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Source : VigieRT, décembre 2011.


1 Code du travail, LRQ, c C-27;
2 Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2
3 Id, art. 50
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