Vous lisez : Lorsque référence rime avec prudence!

L’obtention d’une référence post-emploi est généralement d’une grande importance dans le processus de recherche d’emploi d’une personne et l’est tout autant dans celui de la sélection d’un candidat. À l’évidence, une recommandation favorable à l’égard d’un candidat à un emploi au sein de votre entreprise aura un impact sur votre décision, sans nécessairement en faire le point déterminant. Inversement, une référence négative aura habituellement pour effet de repousser votre envie d’embaucher la personne concernée.

Avant de donner une référence, tout gestionnaire aguerri devrait obtenir l’autorisation de la personne concernée. En effet, il est interdit à un employeur de fournir des renseignements concernant un ancien employé au-delà de ce que prévoit la loi. L’article 84 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q. c. N-1.1 énonce ces renseignements qui peuvent être transmis sans autorisation. Cet article permet au salarié d’exiger de son employeur la remise d’un certificat de travail qui ne doit contenir que les informations concernant la nature et la durée de l’emploi, la date de début et de fin de l’emploi ainsi que le nom et l’adresse de l’employeur. Des renseignements tels que la qualité du travail ou la conduite du salarié ne peuvent donc être révélés, à moins d’un consentement de l’employé à cet effet.

Au risque d’énoncer l’évidence, l’obtention d’une autorisation par l’employeur n’emporte pas le droit de divulguer n’importe quelle information. Il ne peut divulguer que ce qui lui est permis par l’ancien employé et ce qui est conséquence de la relation de travail. Ainsi, l’ancien employeur ne pourrait, par exemple, révéler à un employeur potentiel que son ex-employé a vécu des problèmes familiaux. La bonne foi et le bon sens doivent en tout temps gouverner les paroles et commentaires du gestionnaire.

Le défaut de l’employeur, ou de l’un de ses représentants, de respecter ces balises, peut entraîner de sérieuses conséquences. À titre d’exemple, l’employeur pourrait être poursuivi en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne pour atteinte aux droits fondamentaux. Mentionnons que le Code civil du Québec contient aussi des dispositions relatives aux droits et libertés de la personne. Ainsi, les articles 3, 10 et 35 du Code civil du Québec reconnaissent le droit à l'inviolabilité et à l'intégrité de la personne et traitent du respect de la vie privée.

L’employé visé par les commentaires négatifs pourrait également intenter une poursuite en diffamation ou en responsabilité civile pouvant entraîner la condamnation de l’employeur à payer des dommages et intérêts, y compris, dans certains cas, des dommages punitifs. Les recours possibles en vertu des lois relatives à la confidentialité des renseignements personnels doivent également être pris en compte. Finalement, et sans prétendre avoir fait un exposé complet des recours possibles, la responsabilité de l’employeur pourrait être retenue sur la base de son obligation d’assurer un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.

La décision la plus récente traitant de cette question a été rendue dans l’affaire Yvon Bérubé et Ministère des Transports, 2010 CanLII 59043, (QC CFP). Dans cette affaire, le Commissaire Robert Hardy accueille la plainte du plaignant, Yvon Bérubé, en concluant que les propos tenus par son ancien supérieur constituaient du harcèlement psychologique.

Les faits se résument ainsi : monsieur Bérubé a travaillé au ministère des Transports pendant la majeure partie de sa carrière. Il a œuvré dans différents postes, plus particulièrement à titre d’ingénieur au sein de l’un des départements du Ministère, jusqu’à sa préretraite en mai 2009. À la même époque, il a conclu une entente relativement à deux plaintes pour harcèlement psychologique qu’il avait déposées contre son supérieur immédiat, monsieur Coutu. En vertu de cette entente, monsieur Bérubé pouvait profiter de sa préretraite de la maison en écoulant ses vacances accumulées, ses congés de maladie et personnels. En échange, il se désistait des deux plaintes déposées.

Près d’un an plus tard, soit en avril 2010, alors qu’il est toujours en préretraite, le responsable d’une firme de génie-conseil, monsieur F, lui offre un emploi dans un bureau qui devait prochainement ouvrir. Lors des discussions entourant l’offre, monsieur Bérubé fait part à monsieur F de sa réticence à travailler avec le ministère des Transports et, plus particulièrement, avec son ancien supérieur avec qui il a eu quelques problèmes.

Avant que se concrétise l’embauche de monsieur Bérubé, monsieur F rencontre monsieur Coutu. Discutant des possibilités d’affaires avec le Ministère, la conversation bifurque sur l’emploi potentiel de monsieur Bérubé au sein de la firme de génie-conseil. Lors de cette discussion, monsieur Coutu reconnaît certains points positifs du travail de monsieur Bérubé, mais fait également état des points plus négatifs de l’emploi de monsieur Bérubé. Notamment, le fait que monsieur Bérubé aurait mis la « bisbille » dans un projet en particulier et qu’il avait été en conflit avec la Ville à cause de problèmes d’aqueduc. Monsieur Coutu réfère également à « un genre de plainte » d’un citoyen.

À la suite de cette rencontre, monsieur F a avisé monsieur Bérubé que « dans ces circonstances » son embauche serait impossible. De l’avis de ce dernier, la conduite de monsieur Coutu, au cours de la rencontre avec le responsable de la firme, constituerait du harcèlement psychologique.

Après avoir exposé les principes applicables en matière de harcèlement psychologique, la Commission met en lumière le caractère particulier du dossier. D’une part, le harcèlement s’est produit alors que le plaignant n’était plus dans le milieu de travail. Il était en préretraite, à la maison. D’autre part, le harcèlement allégué s’est produit en l’absence du principal intéressé entraînant une situation où la manifestation n’est pas concomitante à la matérialisation de la conduite de harcèlement. En outre, il s'agit d'une situation où une seule conduite grave aurait constitué du harcèlement psychologique.

Le Commissaire ne retient pas l’argument voulant que le salarié qui n’est plus, à proprement parler, dans son milieu de travail échappe à l’objectif de la Loi. Il mentionne que la Loi sur les normes du travail n’impose aucune obligation à l’employé de présence sur les lieux du travail afin de pouvoir bénéficier de la protection contre le harcèlement psychologique. Même si le plaignant était en préretraite, il était toujours un employé du Ministère qui avait l’obligation de lui assurer un milieu de travail sain.

La Commission retient cependant la faute de monsieur Coutu d’avoir communiqué à monsieur F des renseignements professionnels et personnels concernant le plaignant, après avoir été informé de l'intention de l’embaucher. La Commission considère que monsieur Coutu a fourni certaines informations visées par l'article 84 de la Loi sur les normes du travail sans avoir obtenu le consentement préalable du plaignant.

Aux dires de la Commission, une personne raisonnable trouverait inacceptable qu’un supérieur dévoile à un tiers les aléas professionnels et personnels d’un salarié dont ce même tiers compte retenir les services. Les propos tenus par monsieur Coutu constitue une conduite vexatoire non désirée ayant porté atteinte à la dignité du plaignant. La plainte a donc été accueillie en première instance.

Bien que la requête en révision «&nbs;pour cause » à la Commission de la fonction publique ait été accueillie sur la base du fait que « le maintien de son lien d’emploi au cours de la période de préretraite ne lui [le salarié] procure pas un milieu de travail lui permettant de bénéficier de la protection offerte dans la LNT contre le harcèlement psychologique » (2011 CanLII 18157 [QC CFP]), cette décision rappelle tout de même la prudence dont doit faire preuve l’employeur qui donne des références concernant un ex-employé. Tant les organisations que les gestionnaires doivent être vigilants en matière de référence et éviter tout commentaire subjectif portant à interprétation. La ligne est parfois mince entre la diffamation et la vérité.

Le meilleur moyen d’éviter une poursuite en diffamation ou en responsabilité civile demeure de définir clairement le pouvoir des gestionnaires. L’élaboration d’une politique semble une solution tout indiquée. Il pourrait également être judicieux que seules une ou deux personnes au sein de l’entreprise soient autorisées à donner des références.

Bref, faites preuve de prudence!

Source : VigieRT, février 2012.

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