Vous lisez : Loi anti-harcèlement psychologique – La bataille n’est pas gagnée

La Loi sur les normes du travail en matière de harcèlement psychologique a cinq ans cette année. Le bilan permet de constater que la Loi a permis d’assainir plusieurs milieux de travail. Mais, la lutte pour éradiquer le harcèlement des entreprises n’est pas terminée.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi, en juin 2004, plus de dix mille plaintes pour harcèlement psychologique ont été déposées à la Commission des normes du travail (CNT), sans compter les griefs dans les milieux syndiqués. Au fil des ans, le nombre de plaintes a diminué, passant de 2067, en moins de dix mois, à 1598, en 2008-2009.

« On peut croire qu’il y a plus de prise en charge dans les milieux de travail, estime Carole Dupéré, conseillère spécialiste en matière de harcèlement psychologique à la CNT. Les gens ont peut-être aussi une meilleure compréhension de la Loi et ils évitent de porter plainte, afin de tenter de régler le conflit à l’interne. »

Selon Mme Dupéré, la Loi a prouvé son utilité, non seulement en permettant de résoudre certaines situations de harcèlement ou à risque de l’être, mais surtout en amenant les employeurs à travailler en amont des situations conflictuelles pour prévenir le harcèlement, puisqu’ils y sont tenus en vertu de la Loi.

La majorité des travailleurs savent qu’ils disposent maintenant d’un recours en cas de harcèlement psychologique. Selon un sondage CROP, réalisé pour le compte de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés en avril 2009, la plupart des salariés québécois connaissent l’existence de cette Loi.

C’est énorme, soutient le président-directeur général de l’Ordre, Florent Francoeur, CRHA. La Loi sur l’équité salariale, par exemple, est beaucoup moins connue. » À son avis, cela laisse supposer que les employeurs ont fait un excellent travail de sensibilisation.

Plus qu’une politique
Dans plusieurs entreprises, la Loi s’est traduite par l’adoption d’une politique sur le harcèlement psychologique. On ne dispose d’aucune statistique récente sur le sujet, mais, selon la plupart des intervenants consultés dans le cadre de ce dossier, la majorité des organisations en auraient une.

Ce n’est toutefois pas l’avis du Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement de la province de Québec qui s’est penché sur plus de quatre cents cas dans la dernière année. « Dans près de la moitié de mes dossiers, les employeurs n’ont pas de politique, soutient l’intervenante Kristine Doederlein. Ceux qui en ont une ne l’appliquent pas systématiquement. On voit des entreprises qui prévoient une procédure d’enquête, mais qui ne s’y plient pas quand la situation se présente. »

La criminologue Jennifer Boucher, aussi intervenante au Groupe d’aide, déplore pour sa part que certaines politiques ne prévoient rien en cas de litige. « La tolérance zéro, c’est génial, mais on fait quoi après? »

Pour Carole Dupéré, de la CNT, il importe pour les organisations de ne pas limiter leur implication à une politique remisée sur une tablette. « C’est essentiel de la garder vivante, dit-elle. Il faut constamment renouveler le message de tolérance zéro et le faire connaître aux nouveaux employés. »

Elle met en garde les entreprises qui seraient tentées de baisser leur garde après cinq ans. « La prévention est un travail de tous les jours. Il faut intervenir rapidement lorsqu’une situation problématique se présente pour éviter qu’elle dégénère. »

Mme Dupéré note que, dans la majorité des plaintes reçues par la CNT, le harcèlement psychologique découle d’un conflit mal géré, d’un problème de communication entre patron et employé ou entre salariés, d’une concurrence excessive ou encore, d’une mauvaise définition de tâches. D’où l’importance de maintenir un milieu de travail sain, selon elle.

Combattre la peur
Certains travailleurs n’osent toujours pas porter plainte lorsqu’ils pensent vivre une situation de harcèlement psychologique. Selon le sondage commandé par l’Ordre, une personne sur cinq aurait peur de le faire.

Ce sentiment serait encore plus présent avec la crise économique, selon Jennifer Boucher du Groupe d’aide. « On observe que plus de gens attendent avant de porter plainte, et ceci, par crainte de perdre leur emploi. »

Dans ce contexte, Florent Francoeur croit que les professionnels de la gestion des ressources humaines doivent porter le chapeau de conseiller auprès des travailleurs. « Leur rôle est de présenter le recours le plus honnêtement possible, sans agir comme un représentant de l’employeur. Cela signifie d’évaluer si la plainte est recevable, sans les effrayer, et si oui, de s’engager à défendre l’emploi de la personne. »

M. Francoeur estime aussi que, s’il n’y a pas matière à porter plainte, il est tout de même important de rencontrer le présumé harceleur pour l’informer que ses agissements envoient un mauvais message. Cette sensibilisation peut aussi se réaliser de manière informelle dans le cadre d’une formation de groupe, par exemple.

Défi RH
L’entrée en vigueur de la Loi a apporté son lot de responsabilités pour les professionnels de la gestion des ressources humaines. Au départ, certains craignaient que la Loi n’assomme les entreprises, se rappelle Marie-Claude Perreault, CRIA, avocate en droit du travail chez Lavery, de Billy. « On trouvait la définition très large et les gestionnaires s’inquiétaient que chaque situation conflictuelle devienne du harcèlement. »

Le cauchemar ne s’est pas réalisé. « Les tribunaux nous ont donné les balises nécessaires, poursuit celle qui représente les employeurs dans ce genre de litige. Avec le recul, c’est juste du gros bon sens! »

À son avis, la Loi aura permis d’élever le degré de professionnalisme des personnes qui exercent le doit de gérance de l’employeur. « Il s’agit de se demander s’il est possible d’agir de façon civilisée, de manière à préserver l’intégrité des gens. »

Elle cite en exemple le cas d’une personne en dépression. « Est-ce que c’est nécessaire de l’appeler chaque jour pour lui demander quand elle prévoit revenir travailler? Mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas l’appeler du tout, les gestionnaires sont tout de même en droit de connaître les motifs d’une absence. »

La frontière est parfois mince. Me Perreault souligne que le harcèlement psychologique est souvent allégué dans le cadre d’un travail de gestion. À la CNT, environ 80 % des plaintes visent un représentant de l’employeur ou un supérieur hiérarchique.

« Les plaintes surviennent fréquemment dans les dossiers d’absentéisme chronique, où il y a un suivi très serré de l’employé, parce qu’on sort du cadre normal de la gestion. C’est tout un défi de continuer à gérer adéquatement la présence au travail, la discipline, les relations du travail, sans que ça devienne du harcèlement. »

Deux ans, c’est long
Le délai de traitement des plaintes pose toujours un problème. Même s’il a été réduit au cours des dernières années, une personne peut encore devoir attendre entre un et deux ans avant que sa plainte se règle.

Il y a tout d’abord l’étape de l’enquête en entreprise, qui peut facilement s’étirer sur quelques mois. À la CNT, la période d’attente est maintenant inférieure à six mois dans la majorité des dossiers (79 % en 2008-2009). Il faut dire que plus d’un dossier sur quatre se règle en médiation. Un autre quart environ est rejeté après enquête. Dans la même proportion, les plaignants se désistent. Quelque 12 % des plaintes ne sont tout simplement pas admissibles. Finalement, une plainte sur dix se rend à la Commission des relations du travail (CRT).

À cette étape, la valse de l’attente se poursuit de plus belle. Les salariés patientent en moyenne 178 jours entre le moment du dépôt de leur plainte à la CRT et sa conclusion. Ce n’est pas si mal quand on sait qu’en 2005, le délai était de 493 jours. Depuis, la jurisprudence s’est construite et plus de commissaires ont été embauchés pour mieux répondre à la demande.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant qu’environ 80 % des cas se règlent avant d’arriver devant le commissaire. « C’est plus rapide et plus simple, explique Danielle Gosselin, secrétaire-directrice générale de la CRT. Le but est que le problème se règle et, souvent, les gens ont intérêt à éviter que la décision devienne publique. »

Selon Florent Francoeur, les entreprises ont aussi intérêt à ce que les délais ne s’étirent pas trop, parce que l’attente corrompt le climat de travail. « Quand il y a une plainte, il se fait forcément deux clans dans l’organisation, l’un du côté de la présumée victime, l’autre en appui au présumé harceleur. Plus c’est long à se régler, plus la situation risque de s’envenimer », croit-il.

Il suggère que les parties envisagent sérieusement la médiation, avant d’entreprendre un processus légal, qui s’étire souvent en longueur. C’est ce que prône aussi la CNT auprès des travailleurs.

De son côté, le Groupe d’aide déplore que quelques employeurs attendent de se rendre à la CNT pour accepter une médiation. « Ils essayent d’avoir les victimes à l’usure, croit Kristine Doederlein. Ils espèrent que la personne va retirer sa plainte, parce qu’elle a envie de tourner la page ou qu’elle a trouvé un autre emploi. »

Selon l’intervenante, les séquelles pour la victime sont moindres lorsque l’employeur prend les choses en main rapidement. « Le pire pour les victimes, c’est de voir que leur patron ne fait rien. »

Marie-Ève Maheu, journaliste indépendante

Source : VigieRT, numéro 38, mai 2009.

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