Dans une décision[1] rendue récemment par la Cour supérieure, les principes de loyauté et de bonne foi sont discutés dans le contexte du recrutement par un client d’un employé-clé chez son fournisseur de services. Le juge nous rappelle que d’agir de manière cavalière ou agressive au moment d’un processus de recrutement peut s’avérer coûteux pour les parties fautives.
Les faits
Un technicien en informatique (« le technicien ») travaille pour une petite entreprise de prestation de services technologiques (« l’employeur »). Il est considéré comme un employé-clé, autant en raison de ses compétences que parce qu’il est celui qui fournit la prestation de services principalement à une entreprise (« le client ») très importante dans le modèle d’affaire de l’employeur.
Avant de poursuivre le résumé des faits, notons que deux éléments contractuels viennent jouer un rôle prépondérant dans cette affaire : (i) au cours de son emploi chez l’employeur, le technicien a accepté d’être lié par une entente de confidentialité, de non-concurrence et de non-sollicitation et; (ii) par une clause de non-sollicitation prévue dans la convention de services liant l’employeur au client. Ce dernier s’engageait, pendant la durée du contrat et pour une période de 24 mois suivant la terminaison dudit contrat, à ne pas retenir les services d’un employé de l’employeur. La convention prévoit spécifiquement qu’en cas de violation de cette obligation, le client devra payer à l’employeur une pénalité équivalant à deux années de salaire du technicien. À ces obligations contractuelles s’ajoutent évidemment l’obligation de loyauté incombant à tout travailleur[2], de même que le devoir d’exercer ses droits sous réserve des limites résultant de la bonne foi[3].
Reprenons les faits : après environ quatre ans chez l’employeur, le technicien démissionne en précisant qu’il compte désormais travailler dans une entreprise appartenant à son ami. Il donne alors un préavis de deux mois à l’employeur. À l’échéance de ce préavis, le technicien continue à offrir une prestation de travail, à titre de travailleur autonome, pour assurer la transition avec son successeur. Dans le cadre de cette relation temporaire, il est convenu que les clauses restrictives applicables au technicien soient revues. Les parties précisent spécifiquement que le technicien peut aller travailler pour l’entreprise de son choix, même un compétiteur de l’employeur, mais pas pour un de ses clients.
Deux mois après la fin de la relation contractuelle entre le technicien et l’employeur, celui-ci constate que le client a embauché le technicien à titre de Directeur informatique. Quelques semaines plus tard, la convention de service liant l’employeur au client n’est pas renouvelée. Une mise en demeure est envoyée au client, dénonçant le non-respect de ses obligations contractuelles et extracontractuelles. L’employeur réclame le paiement de la pénalité équivalant à deux ans de salaire du technicien.
La décision
La juge accueille la demande et condamne solidairement le technicien et le client à verser à l’employeur une somme correspondant à deux ans de salaire du technicien. Plusieurs facteurs viennent expliquer cette décision.
Premièrement, concernant le technicien, la Cour mentionne qu’il a de toute évidence essayé d’induire l’employeur en erreur pour se dégager des obligations prévues aux clauses restrictives incluses à son contrat d’emploi. Ses démarches pour grossir les rangs du client étaient bien entamées lorsqu’il a donné son préavis de démission, alors qu’il alléguait vouloir travailler pour une autre entreprise appartenant à un ami. En changeant de statut pour passer d’employé à travailleur autonome chez l’employeur, en plus de s’entendre pour réduire substantiellement la portée des clauses restrictives le concernant, le technicien n’a pas agi de bonne foi. Ces modifications ont été apportées sous des prétextes. La Cour conclut donc qu’il a failli à son obligation de loyauté et qu’il a adopté une conduite empreinte de mauvaise foi à l’endroit de l’employeur.
Quant au client, la Cour mentionne qu’il est évident qu’il a tenté de retenir les services du technicien pendant la durée de la convention de services, violant ainsi manifestement ses engagements. En effet, la preuve démontre que des entrevues ont eu lieu alors que le technicien était encore un employé de l’employeur.
La Cour conclut donc, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que le technicien et le client n’ont pas agi avec transparence et qu’ils « ont tantôt menti, tantôt dissimulé leurs véritables intentions [à l’employeur] le tout, en employant des moyens concertés dans le but d’éluder leurs obligations envers [l’employeur] ». En usant d’un stratagème de collusion pour arriver à leurs fins, ils ont commis une faute les rendant solidairement responsables du paiement de la pénalité prévue à la convention de services.
Ce qu’il faut retenir
Cette décision rappelle plusieurs points importants aux employeurs, particulièrement à ceux qui sont en position de recrutement, de même qu’aux travailleurs qui sont tentés d’explorer de nouveaux horizons professionnels.
Dans le cadre de la relation employeur-employé, spécialement pour une personne-clé, on ne pourra jamais assez souligner l’importance de mettre en place des clauses restrictives bien rédigées, qui protègent adéquatement les intérêts de l’employeur sans brimer inutilement le droit de tout individu de gagner sa vie. Les limites quant à la durée, à la portée géographique et au type de travail concerné doivent toutefois être raisonnables et justifiables pour qu’un tribunal en reconnaisse la validité.
En ce qui concerne les clauses pénales incluses dans des conventions de service, cette décision démontre en elle-même leur utilité : lorsqu’elles sont bien rédigées, la partie qui cherche à s’en prévaloir n’aura pas à prouver l’ampleur du préjudice subi. On limite de ce fait considérablement les frais de justice afférents à un éventuel litige.
Il est toutefois intéressant de souligner que la Cour, dans cette affaire, ne s’est pas prononcée sur la validité des clauses de « non-embauche » assorties d’une pénalité. Ces clauses sont-elles assimilables à des clauses de non-concurrence déguisées? La question demeure.
Finalement, et c’est peut-être l’élément le plus important à retenir de cette décision, il ne faut jamais perdre de vue l’obligation d’exercer nos droits selon les exigences de la bonne foi. Une célèbre maxime dit qu’on « ne peut pas faire indirectement, ce qu’on ne peut pas faire directement ». Élaborer des stratagèmes complexes, teintés de demi-vérités ou carrément malhonnêtes pour recruter des employés malgré l’existence de clauses restrictives (prévues dans des contrats d’emploi ou des conventions de service) peut s’avérer très coûteux lorsque le pot aux roses est découvert. Tout ceci en plus du fait qu’il est de toute évidence possible qu’en cas de collusion, une personne se voie condamnée solidairement avec son nouvel employeur à payer des sommes considérables!
Source : VigieRT, février 2018.
1 | Groupe SL inc. c. Groupe ABS inc., 2017 QCCS 4411 |
2 | Voir art. 2088 CcQ |
3 | Voir art. 6 et 7 CcQ |