Vous lisez : Limiter son préjudice en retournant travailler pour son ex-employeur…

Dans un arrêt majoritaire du 1er mai 2008, la Cour suprême, sous la plume du juge Bastarache, a répondu par l’affirmative à cette question[1].

En l’espèce, monsieur Evans, un agent d’affaires d’un syndicat, a été congédié sans motif valable et sans préavis après vingt-trois ans de service. À la suite de ce congédiement, monsieur Evans a fait valoir qu’il avait droit à un préavis raisonnable et s’est dit disposé à accepter un préavis de vingt-quatre mois dont douze mois travaillés. Après discussion, les parties n’ont pu parvenir à une solution sur les conditions de retour à l’emploi et l’employeur a exigé que monsieur Evans réintègre son poste pour le reste de la période de vingt-quatre mois. L’employé a refusé, considérant le refus de l’employeur d’annuler et de retirer sa lettre de congédiement.

La Cour suprême du Territoire du Yukon[2] a considéré que le congédiement du travailleur était injustifié vu l’absence de motif valable et de préavis raisonnable. Elle lui a accordé un préavis de vingt-deux mois considérant que l’employé n’avait pas manqué à son obligation de mitiger ses dommages en refusant de retourner travailler chez son ex-employeur.

La Cour d’appel du Yukon a infirmé cette décision[3] et annulé en totalité le préavis accordé au travailleur. Elle a décidé que le refus du travailleur de reprendre son emploi n’était pas justifié et qu’il avait donc omis de limiter son préjudice.

La Cour suprême a rejeté le pourvoi formé à l’encontre de cette décision. Selon la majorité, il n’est pas déraisonnable pour un employeur de demander à un employé congédié de limiter son préjudice en acceptant un travail temporaire chez lui.

Cependant, la Cour a considéré que le refus du travailleur peut être justifié s’il existe des obstacles à la reprise de cet emploi. Ceci doit être apprécié de manière objective par rapport à une personne raisonnable placée dans la même situation que l’employé. L’élément essentiel est que l’employé ne doit pas « être obligé, pour limiter son préjudice, de travailler dans un climat d’hostilité, de gêne, d’humiliation ». Ainsi, il convient de prendre en compte les aspects non tangibles comme le climat de travail, la stigmatisation et la perte de dignité de même que les aspects tangibles comme la nature et les conditions d’emploi, dont le salaire.

Ce n’est que dans des conditions favorables que l’employé sera tenu de limiter son préjudice en retournant travailler pour l’employeur qui l’a congédié.

En l’espèce, la Cour suprême a décidé que la relation entre l’employé et l’employeur ne s’était pas gravement détériorée et, compte tenu du maintien des conditions d’emploi, qu’il n’était pas objectivement déraisonnable pour l’employé de reprendre son travail afin de limiter son préjudice.

Dans sa décision, la Cour a considéré que cette obligation de limiter ses dommages en reprenant un travail chez son ex-employeur s’appliquait aussi bien à un congédiement déguisé survenant en cas de refus par un employé d’une modification substantielle de ses conditions de travail par l’employeur que dans le cas d’un congédiement injustifié.

Selon la juge Abella, seule juge dissidente, exiger d’un employé congédié sans motif valable qu’il limite son préjudice en retournant travailler chez son ex-employeur est une attente « rarement raisonnable ». Elle a estimé qu’appliquer de manière brute le principe obligeant l’employé à limiter son préjudice « comporte un danger, celui de donner un caractère habituel à l’obligation d’accepter de recommencer à travailler pour un employeur qui a agi de manière fautive ». Elle a considéré que ceci ne tenait pas compte du caractère tout à fait particulier du contrat de travail individuel et du fait qu’un employé ne peut pas être forcé de travailler contre sa volonté.

De plus, selon cette juge, on ne peut pas appliquer un critère purement objectif pour apprécier le caractère raisonnable ou non de la décision d’un employé congédié de ne pas retourner travailler chez son ex employeur. En effet, « les employés ne sont pas tous touchés de la même manière par un congédiement et […] ils sont en droit de s’attendre à ce qu’on prenne en considération la réalité de leur propre expérience et de leur propre façon de réagir ». Le tribunal doit donc prendre en compte les perceptions subjectives de l’employé lorsqu’il évalue ce qu’aurait fait une « personne raisonnable placée dans la même situation que l’employé ».

La juge dissidente a constaté que le juge de première instance avait pris en compte des éléments à la fois subjectifs et objectifs pour considérer que le refus de l’employé de retourner au travail chez son ex employeur était raisonnable. Il n’a donc commis aucune erreur.

Michel Towner, CRIA, et Sandrine Thomas, avocats du cabinet, Fraser Milner Casgrain s.e.n.c.r.l. Me Sandrine Thomas est détentrice d'un permis restrictif du Barreau du Québec en droit du travail et de l'emploi et en droit de la santé et de la sécurité du travail.

Source : VigieRT, numéro 29, juin 2008.


1 Evans c. Teamsters Local Union No. 31, D.T.E. 2008T-400 (C.S.C.).
2 Evans c. Teamsters (Union), 2005 YKSC 71.
3 Evans c. Teamsters Local Union No. 31, (2006), 231 B.C.A.C. 19 (YKCA).
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