Vous lisez : Les transgenres et le monde du travail

Les droits des personnes transgenres, c’est-à-dire celles qui « [...] adopte[nt] l’apparence et le mode de vie de l’autre genre sans pour autant changer de sexe »[2], ont subi une nette évolution au cours de la dernière année.

En effet, c’est en juin dernier que l’Assemblée nationale du Québec a sanctionné le projet de loi no 103 intitulé Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres[3]. Cette Loi a entre autres pour particularité de modifier la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après « Charte ») afin d’y prévoir expressément une protection contre la discrimination fondée sur l’identité́ ou l’expression de genre. Il faut dire que le législateur fédéral a également déposé un projet de loi du même type afin d’ajouter à la Loi canadienne des droits et libertés de la personne l’identité de genre à la liste des motifs de distinction illicite. Il l’a également fait en vue de modifier le Code criminel pour étendre la protection contre la propagande haineuse prévue à cette loi contre toute section du public qui se différencie par son identité ou son expression de genre[4].

Cette nouvelle avancée pour les droits des personnes transgenres a-t-elle une incidence dans votre milieu du travail? Que vous soyez un employeur ou un membre du personnel, avez-vous dans votre milieu de travail une personne transgenre?

En raison du caractère visible de leur situation, les personnes transgenres sont, malheureusement, très à risques d’être victimes de discrimination et de harcèlement dans leurs milieux de travail.

Bien que les personnes transgenres faisaient indirectement l’objet d’une certaine protection législative en vertu de la Charte québécoise sous les motifs de protection du « sexe » et de l’« orientation », les nouvelles modifications législatives viennent clarifier et affirmer le fait que l’identité et l’expression de genre ne peuvent constituer en aucun cas un motif de congédiement ni de distinction acceptable, que ce soit à l’embauche ou en cours d’emploi, sous réserve de la démonstration qu’il s’agirait d’une exigence professionnelle justifiée en fonction du test élaboré par les tribunaux.

De plus, les protections légales contre la discrimination de la Charte québécoise et celles contre le harcèlement psychologique de la Loi sur les normes du travail trouvent pleinement application lorsque l’identité ou l’expression de genre sont à la base de ceux-ci.

Tout employeur a avantage à être proactif et à mettre en place des mesures pour soutenir les personnes transgenres dans son milieu de travail. Les protections législatives ne peuvent effectivement pas à elles seules régler toutes les situations susceptibles de survenir au quotidien. Tout membre professionnel des ressources humaines sait pertinemment que ce n’est pas la menace d’un recours judiciaire ou administratif qui permet d’avoir de bonnes relations en milieu de travail. Elles s’obtiennent plutôt grâce au travail acharné de conscientisation, d’information et de formation à tous les niveaux de l’entreprise. Il faut notamment se pencher sur la gestion avant, pendant ou après la période de transformation d’une personne transgenre, les nombreux rendez-vous médicaux, la transformation physique, l’habillement, les communications à l’interne et à l’externe, l’usage des toilettes et des vestiaires, le respect de la confidentialité, le harcèlement de la part de collègues ou de supérieurs, mais aussi de clients ou de fournisseurs.

D’abord et avant tout, un employeur doit s’informer de manière à bien connaître la réalité et les défis auxquels font face les personnes transgenres. Dans cette optique, mentionnons que le ministère du Travail du Québec a publié pour la première fois en 2014 le Guide sur les droits des personnes face à l’homophobie en milieu de travail visant à faire connaître les droits des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transsexuelles et transgenres (LGBT) en milieu de travail[5].

Un employeur a donc avantage à jouer un rôle proactif au lieu d’attendre d’avoir à réagir à une situation qui pourrait dégénérer. L’employeur doit lancer le premier message de respect et ne pas avoir peur d’oser communiquer sur le sujet. Ainsi, un employeur doit prévoir une politique au sein de son entreprise qui pourrait notamment comprendre les éléments suivants :

  1. Nommer une personne responsable afin d’aider un employé en transition à la gérer le plus harmonieusement possible en milieu de travail;
  2. Prévoir ce qu’un employé en transition peut attendre des membres de la direction;
  3. Prévoir les attentes de l’employeur à l’égard de l’employé en transition;
  4. Cerner le processus général pour la mise en œuvre de changements relativement à la transition en milieu de travail, à savoir la modification du dossier personnel ainsi que les communications internes (collègues de travail) et externes (clients, fournisseurs, etc.);
  5. Répondre aux questions posées fréquemment sur des éléments tels que la tenue vestimentaire, l’utilisation des toilettes et des vestiaires, le droit à la prise du congé de maternité ou de paternité, les absences pour raisons médicales, les congés sans solde, etc.;
  6. Prévoir un mécanisme pour surmonter les difficultés vécues dans le milieu de travail pendant la transition, mais également par la suite.

Il y aurait également lieu de faire une revue des politiques existantes dans le but de les harmoniser aux modifications législatives, le cas échéant. Faut-il rappeler que l’employeur a la responsabilité de s’assurer que ses politiques et ses pratiques en matière de gestion des ressources humaines ne vont pas à l’encontre de la Charte québécoise, entres autres, et qu’elles ne sont pas discriminatoires?

En terminant, tout comme d’autres motifs de distinction « visibles » avant eux, l’identité et l’expression de genre nécessitent que les professionnels et les professionnelles des ressources humaines, en tant qu’ambassadeurs et ambassadrices de leurs employeurs, s’intéressent à la question des personnes transgenres en milieu de travail. Ils se doivent d’agir comme agents de changement afin de mettre en place des politiques et des processus qui auront au bout du compte comme effet d’améliorer la qualité des relations en milieu de travail. Ce n’est qu’en abordant cette réalité de front, par l’information et la formation, sans se fermer les yeux, que des avancées pourront se faire. Les personnes intervenant dans le milieu de l’emploi à tous les échelons ont à gagner d’une telle proactivité qui permet à une entreprise de se distinguer sur le marché comme un employeur de choix. Elles sont, à bien des égards, comparables aux pionniers de l’établissement de politiques parentales, de l’égalité des chances ou de la diversité, entre autres.

Source : VigieRT, octobre 2016.


1 Le présent article ne peut en aucun cas constituer un avis légal.
2 Définition de transgenre selon le Larousse en ligne.
3 2016, chapitre 19.
4 Projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (première lecture) lors de la rédaction du présent article.
5 Guide sur les droits des personnes face à l’homophobie en milieu de travail
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