Vous lisez : Les tests de dépistage de drogues et la Charte des droits et libertés de la personne

Le 18 juillet 2011, une importante sentence arbitrale a été rendue dans l’affaire Syndicat des métallos, section locale 7493 et Les Poudres métalliques du Québec Limitée. Cette décision faisait suite à un grief du syndicat contestant la validité d’une politique sur les facultés affaiblies qui avait été mise en vigueur par l’employeur.

La division de Rio Tinto Fer et Titane, qui était visée par la politique et le grief, est une entreprise industrielle où tous les emplois sont considérés à risque eu égard à la santé et à la sécurité au travail. La décision ne traite donc pas des distinctions à apporter entre les emplois à risque et ceux qui ne le sont pas. Ceci étant, le syndicat s’appuyait sur les droits et libertés fondamentaux notamment convenus à la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte ») pour contester la politique.

La Charte protège les droits fondamentaux en matière de droit à la vie, à la sûreté, à l’intégrité, à la liberté de la personne de même qu’à la dignité, à l’honneur, à la réputation et au respect de la vie privée. La Charte prévoit également que toute personne qui travaille a droit à des conditions de travail justes et raisonnables qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. L’article 9.1 de la Charte prévoit également ce qui suit :

« 9.1. Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice. »

Selon le syndicat, la politique mise en place ne respectait pas ces principes et notamment ne visait pas une matière permettant d’écarter les libertés et droits fondamentaux au sens de l’article 9.1 de la Charte.

Pour sa part, l’employeur fondait sa position sur ce qu’il est convenu d’appeler le « modèle canadien », s’appuyant sur la pondération des intérêts. De nombreuses décisions ont été rendues au cours des années dans les différentes provinces canadiennes en matière de dépistage de drogues et d’alcool, et les tribunaux canadiens ont adopté une approche dite « canadienne » afin de la distinguer de l’approche américaine. En résumé, l’approche américaine s’appuie sur les obligations contenues dans des textes législatifs ou réglementaires particuliers permettant le dépistage de drogues dans certaines circonstances. Au Canada, le dépistage ne s’appuie pas essentiellement sur des dispositions statutaires, mais plutôt sur des politiques d’entreprises qui doivent se justifier selon les circonstances propres aux risques et caractéristiques des milieux de travail visés, d’où la notion de pondération des intérêts, le tout en tenant compte des droits fondamentaux des employés.

Dans sa décision, l’arbitre réfère plus particulièrement à une sentence arbitrale rendue en 2000 dans Canadian National Railway Co et CAW qui établit clairement que l’approche de la pondération des intérêts doit être privilégiée. Cette affaire a de nombreuses fois été suivie par la suite. L’arbitre se penche ensuite sur l’argument syndical selon lequel l’évaluation des critères permettant d’écarter les droits et libertés fondamentaux au sens de l’article 9.1 de la Charte doit être plus exigeante que le « modèle canadien » fondé sur la pondération des intérêts, ce dernier étant dépassé par rapport aux exigences pour écarter les droits et libertés fondamentaux au sens de l’article 9.1. L’arbitre conclut que les exigences de l’article 9.1 de la Charte ne rendent pas caduque la pertinence du modèle de la pondération des intérêts qu’il juge ne pas être sans similitude importante avec les exigences de la Charte. Il ajoute que la jurisprudence arbitrale québécoise actuelle ainsi que l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans Goodyear Canada intègrent en quelque sorte le « modèle canadien » aux exigences de l’article 9.1 de la Charte permettant d’écarter les droits et libertés fondamentaux.

Dans son jugement de 2008 rendu dans l’affaire Goodyear Canada, la Cour d’appel citait avec approbation l’analyse proposée par le test du « modèle canadien ». La Cour d’appel reprenait l’analyse rigoureuse de la jurisprudence canadienne en matière de dépistage d’alcool et de drogues dans la décision Imperial Oil Ltd. v. Communications Energy and Paperworks Union of Canada, Local 900. La Cour d’appel notait qu’il est intéressant d’analyser le « modèle canadien » en utilisant le test de la pondération des intérêts. La Cour d’appel n’hésitait d’ailleurs pas à souligner que les mesures de dépistage fondées sur des motifs raisonnables et ceux qui surviennent après un accident important, sont généralement reconnues par la jurisprudence québécoise et canadienne et constituent une juste conciliation des droits par la pondération du droit des salariés à la dignité et à la vie privée et du droit de la direction à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et à l’organisation du travail.

En ce qui a trait à la Charte des droits et libertés de la personne, l’arbitre s’appuie notamment sur une décision rendue en 2009 dans l’affaire Shell Canada. Dans cette affaire, l’arbitre s’appuyait sur le jugement de la Cour d’appel pour décider que les tests de dépistage imposés pour des motifs raisonnables, à la suite d’une absence liée à la consommation d’alcool ou de drogues ou à la suite d’un incident sérieux constituent une justification raisonnable au sens de l’article 9.1 de la Charte, c’est-à-dire une juste pondération des droits fondamentaux des salariés et des intérêts légitimes de l’entreprise. L’arbitre s’appuie aussi sur cette décision pour affirmer que la jurisprudence arbitrale québécoise intègre le « modèle canadien ».

L’arbitre a conclu qu’eu égard aux exigences de l’article 9.1 de la Charte, dans la mesure où les éléments qui suivent sont présents, il y aura justification raisonnable et acceptable :

  1. l’objectif poursuivi par l’employeur doit être légitime et suffisamment important pour justifier une atteinte à un droit fondamental; et,
  2. cette atteinte doit être proportionnelle, ce qui implique que la mesure en cause ou le moyen utilisé a un lien rationnel avec l’objectif poursuivi et qu’elle constitue une atteinte minimale aux droits en cause.

À la lumière de ce test, l’arbitre conclut que puisque l’objectif de l’employeur est d’assurer un déroulement sécuritaire des opérations par de hautes mesures de sécurité, compte tenu de l’environnement de travail à risque pour les personnes et les biens, l’employeur est justifié d’adopter une politique sur les facultés affaiblies. L’arbitre ajoute que puisque, par la nature de ses opérations, l’entreprise est à haut risque, il devient par conséquent moins important de tenir compte de facteurs tels que l’historique de problèmes relatifs à l’alcool ou aux drogues ou encore le bilan plus ou moins lourd d’accidents de travail. Il conclut sur ce point que plus l’entreprise est à risque, plus l’employeur est justifié de prendre des mesures proactives sans égard à ces facteurs. Il n’en reste pas moins que le test de la proportionnalité demeure.

En confirmant que l’approche développée par les tribunaux canadiens hors Québec est compatible avec les exigences de l’article 9.1 de la Charte, l’arbitre confirme l’application en droit québécois du « modèle canadien » de la pondération des intérêts.

Dans un prochain article, nous traiterons d’autres éléments importants à retenir de cette sentence arbitrale.

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Source : VigieRT, octobre 2011.

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