Vous lisez : Les tests de dépistage de drogues et d’alcool : revue des principales contestations

Les tests de dépistage de drogues et d’alcool mettent en cause les intérêts de l’employeur qui doit veiller à la santé et à la sécurité des travailleurs et qui doit s’assurer de la sécurité de ses biens ainsi que de celle du public. D’autre part, le salarié a droit au respect de ses droits à l’intégrité, à la dignité et à la vie privée prévus aux articles 1,4 et 5 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12, ci-après « charte »)et aux articles 3, 10, 11 et 35 du Code civil du Québec. Puisque ces tests constituent une atteinte aux droits du salarié, ils ne sont pas autorisés à moins d’être justifiés en vertu del’article 9.1 de la charte qui prévoit que :

« 9.1 Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice. »

Ainsi, selon le test élaboré par la jurisprudence, l’employeur doit prouver qu’il poursuit un objectif légitime et important, que la limitation est rationnellement liée à cet objectif et que l’atteinte au droit protégé est minimale.

Voici un survol de décisions rendues dans des litiges illustrant des cas de tests de dépistage permis, de tests aléatoires, de tests à l’embauche ou à l’occasion d’une promotion à un poste critique pour la sécurité, à la suite d’accidents du travail ou de perte de temps, ainsi que de tests périodiques et du refus d’un salarié de se soumettre à un test de dépistage ou du résultat positif à un tel test.
 

Tests de dépistage permis

Le critère autorisant l’imposition de tests de dépistage est l’existence d’un motif raisonnable et probable de croire que les facultés du salarié sont affaiblies, notamment à la suite d’un accident important ou d’une absence causée par la consommation d’alcool ou l’usage de drogues.

Décision : Après s’être dite d’avis que les tests aléatoires, même dans des postes « à risques élevés », constituaient une atteinte à la vie privée qui n’était pas justifiée en vertu de l’article 9.1 de la charte, la Cour d’appel a mentionné que l’employeur aurait pu utiliser les mesures de dépistage prévues à la politique lesquelles sont fondées sur des motifs raisonnables, de même que le contrôle par dépistage des accidents et des absences reliés à des problèmes d'alcool ou de drogues, soulignant que de telles mesures étaient généralement reconnues par la jurisprudence.

Section locale 143 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier c. Goodyear Canada inc. (C.A., 2007-12-06), 2007 QCCA 1686, SOQUIJ AZ-50461534, J.E. 2008-97, D.T.E. 2008T-27, [2008] R.J.D.T. 24.

Par ailleurs, les tests de dépistage qu’ils soient aléatoires ou non sont permis lorsqu’ils sont prévus dans une entente de réintégration conditionnelle ou de dernière chance.
 

Tests aléatoires et poste « à risques élevés »

La Cour d’appel a décidé que la clause de la politique relative à la consommation d'alcool et à l'usage de drogues prévoyant un test de dépistage aléatoire pour les « postes à risque » — soit les postes d'opérateurs de véhicules automobiles et de laminoirs, qui requièrent une grande concentration ainsi qu'une perception parfaite — est annulée parce qu'elle contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne.

Décision : La Cour d’appel a souligné que, même si l’usine présentait un mauvais dossier en matière d'accidents du travail, aucun lien n'avait été établi entre cette situation et la consommation d'alcool et de drogues. Aucune donnée statistique ne portait sur des accidents qui seraient survenus dans le groupe des emplois à risque élevé. Elle a noté qu’en ce qui concerne la preuve présentée par l’employeur, aucun expert en toxicologie n'avait été entendu relativement à l'usage ou à l'effet des drogues ni à la fiabilité des tests de dépistage. Le résultat des tests d'analyse capillaire, urinaire ou d'haleine constituait une intrusion importante dans la sphère de la vie privée des employés. Les tests de dépistage ne constituaient pas une atteinte raisonnablement minimale au sens de l’article 9.1 de la charte.

Section locale 143 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier c. Goodyear Canada inc. (C.A., 2007-12-06), 2007 QCCA 1686, SOQUIJ AZ-50461534, J.E. 2008-97, D.T.E. 2008T-27, [2008] R.J.D.T. 24.
 

Tests à l’embauche ou à l’occasion d’une promotion et poste critique

Un employeur dans une industrie à haut risque était fondé à s’assurer qu’un salarié postulant un poste critique pour la sécurité ne soit pas aux prises avec l’alcoolisme ou une toxicomanie, ces maladies mettant en péril la sécurité des salariés, des biens et du public. Un test de dépistage semblait la seule façon d’atteindre un tel objectif.

Décision : L’arbitre de griefsa analysé une clause de la politique de l’employeur portant sur l’obligation pour certains salariés de se soumettre à un test de dépistage, à l’occasion de l’embauche ou lors de la promotion à un poste critique pour la sécurité, à la lumière des intérêts de l’employeur et du salarié selon les critères établis relativement à l’article 9.1 de la charte. Il a retenu que les opérations de la raffinerie impliquaient des procédés de fabrication complexes et qu’un accident pouvait entraîner des conséquences extrêmement sérieuses pour les salariés, les biens de l’employeur et même le public résidant aux environs de l’entreprise.

Shell Canada ltée et Travailleurs unis du pétrole du Canada, section locale 121 du SCEP (grief syndical), (T.A., 2009-12-02), SOQUIJ AZ-50589632, 2010EXPT-302, D.T.E. 2010T-68, [2010] R.J.D.T. 247, Me Jean-Pierre Lussier, arbitre.
 

Tests périodiques et poste critique

Par contre, l’obligation du salarié qui occupe un poste critique de se soumettre à un test de dépistage périodique, en l’occurrence, tous les cinq ans, a été retirée de la politique.

Décision : L’arbitre s’est dit d’avis qu’en l'absence de faits nouveaux, l'imposition d'un test de dépistage en raison du simple écoulement du temps n’était pas justifiée, l’atteinte au droit à l’intégrité et à la vie privée n’étant pas minimale.

Shell Canada ltée et Travailleurs unis du pétrole du Canada, section locale 121 du SCEP (grief syndical), (T.A., 2009-12-02), SOQUIJ AZ-50589632, 2010EXPT-302, D.T.E. 2010T-68, [2010] R.J.D.T. 247, Me Jean-Pierre Lussier, arbitre.
 

Tests à la suite d’accidents du travail

Compte tenu notamment du taux élevé d'accidents de travail, d’un problème de toxicomanie au sein de l'entreprise et des risques du milieu de travail, l'employeur — qui exploite une minoterie — était fondé à imposer des tests de dépistage d'alcool et de drogue aux salariés qui avaient été victimes d'un accident de travail selon certaines conditions.

Décision : L’employeur avait adopté une politique de dépistage de drogues et d'alcool imposant notamment des tests aux salariés victimes de lésions professionnelles exigeant des soins médicaux ou entraînant une perte de temps. L’arbitre de griefs a noté qu’il existait au sein de l'entreprise un problème de dépendance aux drogues ou à l'alcool et plusieurs types de dangers et de risques. Par le passé, le taux d'accidents de travail était élevé. Il a également mentionné que l'employeur exploitait une entreprise dans le secteur de l'alimentation et qu’il devait s'assurer de la sécurité et de la qualité de ses produits.

L’arbitre a posé le principe suivant : Requérir de tout employé victime d'une lésion professionnelle qui exige des soins médicaux ou qui entraîne une perte de temps qu'il subisse un test de dépistage, sans qu'aucun indice puisse laisser croire que la consommation de drogues ou d'alcool ait pu avoir une incidence, et ce, peu importe le poste occupé ou la nature de la lésion, serait abusif et constituerait une atteinte aux droits à la dignité, à l'intégrité de la personne et au respect de la vie privée.

Toutefois, en l'espèce, l'employeur avait modifié sa politique en y introduisant, dans le cas des postes jugés non critiques pour la sécurité, une évaluation de la situation afin de déterminer s'il était possible que l'événement découle en partie de l'altération des facultés du salarié.

Quant aux postes jugés critiques pour la sécurité, la politique prévoyait maintenant que les tests ne seraient requis que lorsque l'événement pouvait être rattaché à un facteur humain.

Teamsters Québec, section locale 973 (FTQ) et Horizon Milling (grief syndical), (T.A., 2008-02-08), SOQUIJ AZ-50472695, D.T.E. 2008T-182, [2008] R.J.D.T. 536, Me Nathalie Faucher, arbitre.
 

Test de dépistage en cas de soupçons

De simples soupçons sont insuffisants afin de retirer du travail un salarié et d’exiger qu’il se soumette à un test de dépistage. Il faut que le supérieur « ait des raisons valables de croire qu’un employé n’a pas l’aptitude immédiate ».

Shell Canada ltée et Travailleurs unis du pétrole du Canada, section locale 121 du SCEP (grief syndical), (T.A., 2009-12-02), SOQUIJ AZ-50589632, 2010EXPT-302, D.T.E. 2010T-68, [2010] R.J.D.T. 247, Me Jean-Pierre Lussier, arbitre.
 

Toutefois, l’expression « soupçons raisonnables » a été définie à une politique de l’employeur et elle a été analysée récemment par un arbitre de griefs.

Décision : La politique de l’employeur définissait la notion de « soupçon raisonnable » justifiant l’imposition de tests de dépistage évaluée principalement à partir de signes objectifs d'intoxication.Il s’agissait notamment de déterminer la pertinence des symptômes et des signes figurant aux documents composant la politique ainsi que l'appréciation de ces derniers. L’arbitre de griefs les a considérés pertinents malgré le fait qu'ils puissent démontrer autre chose qu'un état d'intoxication. Il a souligné qu’il s'agissait de signes médicaux d'intoxication qui ont été confirmés par le témoin expert. De plus, le risque d'une décision arbitraire de soumettre l'employé à un test de dépistage, découlant de la présence d'un seul signe, était réduit grâce à la formation donnée aux superviseurs ainsi qu’au jugement clinique du service de santé de l'employeur. Par contre, l'inscription du signe « plaintes de collègues ou de clients » dans la grille a été jugée déraisonnable puisqu'il s'agit de ouï-dire. Cet élément a donc été supprimé de la politique.

Syndicat des métallos, section locale 7493 et Poudres métalliques du Québec ltée (grief syndical), (T.A., 2011-07-18), SOQUIJ AZ-50774358, 2011EXP-2649, 2011EXPT-1575, D.T.E. 2011T-556, [2011] R.J.D.T. 879, MeCarol Jobin, arbitre.
 

Tests de dépistage quand le salarié doit recevoir des soins

L'application de la politique qui exige d'effectuer un test de dépistage « avant le départ de l'employé » afin de recevoir des soins porte atteinte au droit à la dignité et à l'intégrité de la personne dans le cas où le salarié n'aurait pas la capacité de subir un tel test.

Décision : Le syndicat demandait que l'interdiction d'exiger un test soit incluse dans l'application de la politique lorsque le salarié « doit recevoir des soins», en y précisant «surtout si ces soins sont urgents [...] ou nécessaires ». Cette demande a été accueillie, et l’arbitre de griefs a ajouté que le texte de la politique devait être modifié afin de prévoir qu'un professionnel de la santé devait faire une évaluation de cette capacité dans un tel cas.

Syndicat des métallos, section locale 7493 et Poudres métalliques du Québec ltée (grief syndical), (T.A., 2011-07-18), SOQUIJ AZ-50774358, 2011EXP-2649, 2011EXPT-1575, D.T.E. 2011T-556, [2011] R.J.D.T. 879, Me Carol Jobin, arbitre.

Par ailleurs, voici d’autres points intéressants qui sont ressortis de la décision.

Politique de « tolérance zéro » en matière d’alcool
Le seuil de la concentration d'alcool fixé à « zéro » dans une politique en matière de dépistage d’alcool et de drogue constitue une norme raisonnable, compte tenu des risques élevés d'accidents dans le milieu de travail. Il ne s'agit pas d'une condition de travail injuste au sens de l'article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne. Même s'il s'agit d'une atteinte à la vie privée, elle est justifiée en vertu du test prévu à l'article 9.1 de la charte.

La fatigue : une cause de facultés affaiblies
Le fait de considérer la fatigue comme une cause de facultés affaiblies dans une politique sur les facultés affaiblies ne constitue pas une atteinte au droit à la vie privée.

La personne habilitée à évaluer les signes et les symptômes d’intoxication ou de consommation
Il n'est pas nécessaire que la décision d'effectuer un test de dépistage soit prise par un médecin. L'infirmière peut porter un jugement clinique d'intoxication et faire passer un test de dépistage. Celle-ci doit prendre connaissance des signes qui sont cochés dans la grille, sans s'y limiter, et elle doit poser des questions à l'employé de même qu'à son supérieur. L’arbitre de griefs a donc conclu que son rôle est rationnellement lié à l'objectif de protéger la santé et la sécurité. Il s'agit d'une atteinte minimale aux droits de l'employé. Toutefois, il a ordonné de modifier le texte de la politique afin qu'il y soit exigé que les observations du professionnel de la santé soient documentées et remises à l'employé. La politique doit également mentionner que le test est obligatoire « sous réserve du jugement clinique du professionnel de la santé ».
 

Tests à l’égard des salariés se rendant en territoire américain

Un chauffeur d'autobus ayant fumé de la marijuana hors des lieux du travail a été congédié au motif qu'il avait obtenu un résultat positif à un test de dépistage de drogues; la politique de « tolérance zéro » de l'employeur, qui prévoit une interdiction de consommer « en tout temps », ne viole pas le droit à la vie privée du plaignant. Le congédiement est confirmé.

Décision : L’arbitre de grief sa retenu qu’un employeur exploitant une entreprise de transport de passagers doit faire preuve de vigilance afin d'assurer la sécurité du public et celle du chauffeur ainsi que de protéger sa réputation et la survie de son entreprise. L'interdiction de consommation de drogues et d'alcool « en tout temps » ne s'applique pas uniquement lorsqu'un chauffeur est sur les lieux de son travail. L’arbitre a ajouté qu’il fallait également tenir compte de la sévérité de la sanction existant aux États-Unis pour un chauffeur ayant un résultat positif à ce type de test et des conséquences très onéreuses pour l'employeur. Cette politique paraît donc justifiée. De plus, même si la preuve ne permet pas de conclure que les facultés motrices ou cognitives du plaignant étaient effectivement affaiblies au moment où il a conduit son autobus, l’arbitre a mentionné que la performance de conduite pouvait néanmoins être diminuée par les effets de la marijuana, selon la preuve présentée. Cela est suffisant pour interdire ce type de consommation.

Union des employées et employés de service, section locale 800 et Autobus Fleur de Lys (René Deschênes), (T.A., 2008-11-27), SOQUIJ AZ-50523579, D.T.E. 2009T-15, M. Gilles Laflamme, arbitre.
 

Mesures disciplinaires ou administratives appliquées

Le refus du salarié de se soumettre à un test de dépistage légitime.

Décision : Le plaignant a contrevenu à l'entente de dernière chance, laquelle prévoit le congédiement immédiat en cas de refus de passer le test de dépistage. Puisque le plaignant a été avisé des conséquences d’un tel refus en présence de ses représentants syndicaux, la mesure imposée est conforme à l'entente, et l'employeur n'a pas agi de façon abusive ni déraisonnable.

Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 1103 et De Luxe Produits de papier inc. (Sylvain Archambault), (T.A., 2011-09-20), SOQUIJ AZ-50789508, 2011EXPT-1893, D.T.E. 2011T-690, Me Francine Lamy, arbitre.
 

Dans une autre affaire, l’engagement du salarié de subir un test de dépistage précise que la demande de l’employeur à cet effet peut survenir « lorsque l'employeur le jugera opportun ». Il n'est donc pas abusif de la part de ce dernier de demander au plaignant de subir un tel test dans les circonstances. De plus, le refus catégorique du plaignant de se soumettre au test faisait échec à la possibilité de lui donner un préavis.

Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 501 - FTQ et Leblanc et Lafranceinc. (Marc Cloutier), (T.A., 2010-12-07), SOQUIJ AZ-50700539, 2011EXP-177, 2011EXPT-105, D.T.E. 2011T-30, Me Joëlle L'Heureux, arbitre.
 

Résultat positif à un test de dépistage

Le congédiement imposé à un électricien d'appareillage au service d'Hydro-Québec pour avoir obtenu un résultat positif à un test de dépistage de la cocaïne, et ce, en violation du protocole médical par lequel il s'était engagé à respecter certaines conditions, est modifié en une suspension.

Décision : Le plaignant a été suspendu pour avoir eu un résultat positif à un test de dépistage et il a été congédié pour avoir fait une rechute, contrevenant ainsi à un protocole médical qu’il s’était engagé à suivre. L’arbitre de griefs s’est dite d’avis qu’en raison du manque d'explications scientifiques, elle ne pouvait déterminer si le plaignant était ou non apte à travailler, s'il avait pu mettre en danger sa santé ou sa sécurité ainsi que celles de ses collègues ou si un taux très élevé de cocaïne démontrait que le plaignant avait les facultés affaiblies. Puisqu’il n’y a ni absentéisme ni incapacité manifeste du salarié à accomplir ses tâches ni manquements aux directives formulées par l'employeur, il n'a pas commis de faute reliée à ses obligations de salarié. Sous un angle administratif, le fait qu'il ait enfreint le protocole médical qu'il s'était engagé à respecter ne justifie pas non plus, à lui seul, un congédiement étant donné les droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne et l’obligation d'accommodement de l’employeur.

Syndicat des employées et employés de métiers d'Hydro-Québec, section locale 1500 (SCFP-FTQ) et Hydro-Québec (Y.T.), (T.A., 2012-02-27), SOQUIJ AZ-50841790, 2012EXP-1619, 2012EXPT-867, D.T.E. 2012T-285, MeLouise Viau, arbitre.

C’est la décision la plus récente sur le sujet bien que d’autres décideurs aient statué du contraire.

Source : VigieRT, mai 2012.

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