Vous lisez : Les syndicats : des acteurs dynamiques de la mondialisation

Le fordisme reposait sur un modèle de relations du travail fondé sur un État national où le droit institutionnalisait la légitimité de l’acteur syndical et de la négociation collective. Depuis le début des années 1970, ce modèle se trouve fortement ébranlé par la mondialisation.

Les entreprises ont d’ailleurs été les premières à s’enquérir des nouvelles opportunités associées à ce phénomène et à accentuer l’internationalisation de leurs activités. Les organisations syndicales, pour leur part, sont longtemps restées en marge de ces transformations, l’international demeurant un lieu plutôt vague d’action et de revendication. Cependant, le mouvement syndical démontre une capacité concrète et réelle d’internationaliser sa réflexion et ses pratiques. Son repositionnement à l’échelle internationale pose toutefois des défis de taille qui complexifient cette tâche. Malgré ces difficultés, ces nouvelles pratiques pourraient, à terme, permettre aux organisations syndicales de mieux s’adapter aux transformations qui sont en voie de se produire au sein des sociétés multinationales.

Aperçu des pratiques syndicales internationales
Conseil mondial d’entreprise

Au cours des dernières années, les organisations syndicales canadiennes et québécoises ont mis en place différentes initiatives au plan international. Un des exemples les plus marquants concerne le développement de structures internationales de représentation des travailleurs au sein des sociétés multinationales. Souvent lancées par les fédérations syndicales internationales, ces structures prennent diverses formes à l’instar des conseils mondiaux d’entreprise qui ont vu le jour dans le secteur automobile au début des années 1960. À l’image des comités d’entreprise européens, ces structures bipartites visent à faciliter l’échange d’information au sein de l’entreprise à l’échelle mondiale, à prévoir les incidences de changements annoncés et à négocier avec l’employeur des clauses censées en atténuer les conséquences néfastes pour les travailleurs. Dans quelques cas, l’employeur assume une part du budget de fonctionnement du conseil mondial, notamment les coûts logistiques liés aux déplacements des participants et à la traduction simultanée. Récemment, des syndicalistes québécois des Métallurgistes unis d’Amérique et de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale ont participé aux activités des conseils mondiaux tenus respectivement chez Rio Tinto-Alcan et Rolls Royce.

Alliances syndicales internationales
Outre ces conseils mondiaux, un nombre croissant d’organisations syndicales s’investissent aujourd’hui dans l’établissement d’alliances syndicales internationales. Définies comme des regroupements de syndicats de différents pays représentant les travailleurs d’une même entreprise multinationale, ces alliances constituent d’abord et avant tout un lieu d’échanges et de coordination de l’action syndicale à l’échelle internationale. Elles peuvent également mobiliser des acteurs de divers horizons et être très actives dans l’organisation de campagnes corporatives enjoignant les directions de certaines multinationales à assumer leurs responsabilités sociales sur le plan international. Parmi les exemples les plus connus, notons la campagne des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce contre l’entreprise Wal-Mart ou celles qui ont été menées par la Coalition québécoise contre les ateliers de misère, un regroupement intersyndical incontournable à ce chapitre.

Accord-cadre international
En règle générale, ces deux types de structures cherchent à ouvrir un dialogue et une négociation en vue de promouvoir les droits fondamentaux des travailleurs et d’en assurer le respect au sein des entreprises concernées. Un des moyens mis en œuvre pour atteindre cet objectif consiste à négocier la ratification d’un accord-cadre international, le plus souvent conclu entre la direction d’une entreprise multinationale et une fédération syndicale internationale. Sans se substituer pour autant aux législations nationales en vigueur, ces accords formalisent un certain nombre d’engagements sociaux pris par les entreprises en s’appuyant sur les normes minimales de l’Organisation internationale du travail (OIT). Plusieurs syndicats se sont récemment intéressés à ce nouvel outil de régulation, dont le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier qui, en collaboration avec l’Union Network International, a réussi en 2007 à conclure un tel accord avec la direction de la multinationale Quebecor World.

Fusions d’organisations syndicales
Toujours dans une perspective de repositionnement international, d’autres syndicats ont, quant à eux, choisi d’explorer la voie des fusions. En effet, on assiste aujourd’hui à de nombreuses fusions d’organisations syndicales, le plus souvent motivées par leur désir d’accroître leurs ressources et de mieux répondre aux défis lancés par les sociétés multinationales. Si les exemples sont nombreux à cet égard, le plus spectaculaire est sans contredit celui de la formation, annoncée en 2007, du premier syndicat trans­atlantique émergeant de la fusion d’AMICUS et du Transport and General Workers’ Union (Royaume-Uni et Irlande) avec le Syndicat des métallurgistes unis d’Amérique (Canada et États-Unis). Une fois le processus d’intégration achevé, ce géant syndical devrait représenter plus de 3,4 millions de membres dans quatre pays. Parmi les objectifs de cette fusion figure le désir de coordonner les stratégies de négociation des conventions collectives et de formuler des réponses communes devant les tentatives des multinationales de mettre en concurrence leurs diverses usines de manière à limiter toutes perspectives de hausses salariales.

Fonds de coopération
Enfin, plusieurs organisations se sont dotées au cours des dernières années de fonds de coopération chargés d’assurer la promotion et le développement de la solidarité syndicale à l’échelle internationale. Les organisations syndicales québécoises et canadiennes tendent de plus en plus à s’approprier ce nouveau levier d’action comme en témoigne la mise sur pied, au cours des dernières années, du Fonds humanitaire des Métallos, du Fonds pour la justice mondiale du Syndicat canadien de la fonction publique ou encore des Fonds de justice sociale du Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada ou de l’Alliance de la fonction publique du Canada. Ces fonds ont pour objectif premier de financer de nombreux projets de coopération internationale à vocation humanitaire. Leurs actions visent également l’établissement de nouveaux liens de collaboration avec des organisations syndicales du Sud ainsi que l’élévation des conditions de travail existantes dans ces pays.

Enjeux transversaux et conditions d’effectivité
Le nombre croissant d’expériences vécues par les syndicats canadiens et québécois sur le plan international confirme l’ambition bien présente chez eux de dépasser leurs frontières traditionnelles d’intervention et de mettre en place de nouvelles pratiques répondant à une réflexion mondialisée. Malgré ces constats, l’implication internationale ne saurait être perçue comme une panacée pour le mouvement syndical, capable de régler comme par magie les problèmes d’ordre local. Si les pratiques mondiales offrent une avenue intéressante de renouveau syndical, leur efficacité repose sur certaines conditions d’effectivité dont, entre autres, la gestion d’enjeux transversaux propres à chacune d’entre elles.

Pour être efficaces, ces pratiques visent d’entrée de jeu à permettre au mouvement syndical de s’adapter à la nouvelle géographie de la mondialisation : celle-ci accentue l’importance de se donner un champ d’action international et entrecroise aussi les différents niveaux d’intervention des acteurs économiques et sociaux. En des termes plus concrets, le site de l’usine ou de l’unité d’accréditation ne devrait plus constituer la référence unique des syndicats dans le contexte actuel de mondialisation et d’élargissement des relations du travail. Les pratiques syndicales internationales devraient ainsi donner aux syndicats l’opportunité de porter leur réflexion au-delà du local et de concevoir des stratégies d’action à plusieurs niveaux leur permettant d’occuper différents espaces d’intervention en simultané (local, national, régional et international). Les alliances syndicales internationales, lancées par des syndicats locaux, nationaux et internationaux, constituent un exemple phare en la matière.

De telles pratiques cherchent également à accroître le rapport de force des syndicats et à améliorer les conditions de vie et de travail de tous les travailleurs dans le monde. En effet, quel est le but des pratiques syndicales internationales sinon de contribuer à un renforcement concret et réel du pouvoir syndical et de niveler par le haut les droits des travailleurs, là où les législations nationales s’avèrent parfois déficientes? Cette nécessité de renforcement se veut chaque jour davantage confirmée par plusieurs tendances lourdes du monde du travail d’aujourd’hui, que l’on pense aux fermetures d’usine, à la sous-traitance, aux délocalisations, à la précarisation du lien d’emploi et à la prolifération des formes de travail atypiques, pour ne nommer que celles-là. Ces réalités contemporaines poussent les organisations syndicales à repenser leurs façons de faire et remettent en cause la pertinence tout comme l’efficacité des stratégies employées par le passé.

Les pratiques syndicales internationales apparaissent aussi fortement dépendantes de la capacité des organisations impliquées à mobiliser leurs membres autour d’enjeux mondiaux. Plusieurs auteurs font d’ailleurs ici allusion au « paradoxe de l’internationalisme syndical » qui, à la fois, requiert l’élaboration de nouvelles stratégies internationales et exige un rapprochement des syndicats avec leurs membres afin que tous puissent comprendre le bien-fondé des stratégies nouvellement mises en place et leur donner un sens pratique (Anner, 2007). Pour ce faire, les organisations syndicales doivent trouver des moyens susceptibles de convaincre et de sensibiliser la base militante à l’importance d’établir des pratiques internationales et de les lier à la défense d’intérêts typiquement locaux.

Enfin, l’effectivité des pratiques syndicales internationales repose sur l’établissement de nouveaux rapports entre les organisations syndicales du Nord et du Sud. À cet effet, l’histoire de la coopération intersyndicale dans les Amériques a longtemps été limitée en raison de certaines visées protectionnistes entretenues par les syndicats canadiens et américains. Toutefois, le contexte actuel de mondialisation pave la voie à des rapports plus internationalistes entre syndicats : l’augmentation substantielle des contacts entre organisations des deux hémisphères ainsi que la réciprocité nouvelle caractérisant des relations d’aide mutuelle et bilatérale laissent présager l’émergence d’un nouveau modèle de coopé­ration intersyndicale, en plein essor.

Conclusion
Les expériences actuelles font état d’une diversification et d’une internationalisation des pratiques déployées par le mouvement syndical. Ces initiatives émergeantes obéissent toutefois à des logiques différentes. Les conseils mondiaux d’entreprise et les accords-cadres s’inspirent d’une logique de dialogue et de négociation à portée mondiale. Les alliances internationales et les campagnes corporatives cherchent, quant à elles, à mobiliser les effectifs, alors que les fusions syndicales se multipliant à l’heure actuelle s’articulent davantage autour d’une quête de restructuration organisationnelle. Enfin, les fonds syndicaux de coopération et les projets financés par leur entremise s’inscrivent dans un esprit humanitaire. La multiplicité de ces objectifs témoigne du caractère fondamentalement exploratoire et évolutif des pratiques syndicales internationales. La plupart des expériences documentées à ce jour demeurent à un stade encore relativement préliminaire de leur développement. Il en va de même pour la question de leur effectivité qui reste largement ouverte. Quoi qu’il en soit, ces expériences sont complexes et annonciatrices de nouvelles dynamiques syndicales sur le plan mondial. Il y a donc fort à parier que toutes transformeront la pratique des relations du travail dans un avenir rapproché.

Mélanie Dufour-Poirier, CRIA, professeure, département de relations industrielles, Université du Québec en Outaouais, et Marc-Antonin Hennebert, CRIA, professeur adjoint, Service de l’enseignement de la GRH, HEC Montréal

Article publié dans le magazine Effectif, volume 12, numéro 4, septembre/octobre 2009.

Source : VigieRT, numéro 40, septembre 2009.


Bibliographie

Anner, Mark. “The Paradox of Labour Transnationalism: Trade Union Campaigns for Labour Standards in International Institutions”, dans The Future of Organised Labour: Global Perspectives, Craig Phelan (dir.), Oxford, Peter Lang, 2007, p. 63-90.

Buckley, Christine. “Britain’s New Super-Union Seeks To Team Up With US Counterpart”, The Times, 6 avril 2007.

FTQ. Comprendre la mondialisation financière : élargir nos solidarités, 2008. Récupéré le 2 janvier 2009.

Herod, A., A. Rainnie et S. McGrath-Champ. “Working space: why incorporating the geographical is central to theorizing work and employment practices”, Work, employment and society, 21(2), 2007, 247-264.

Papadakis, Konstantinos. Cross-Border Social Dialogue and Agreements: An emerging global industrial relations framework?, Genève, Organisation internationale du travail, Institut international d’études sociales, 2008.

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