Vous lisez : Les relations du travail devant les tribunaux

La sécurité, responsabilité patronale
En mars dernier, la compagnie Transpavé Inc. a été reconnue par la Cour du Québec coupable de négligence criminelle ayant causé la mort de l’un de ses employés. L’entreprise a été condamnée à une amende de 110 000 $.

Il s’agit de la première décision du genre depuis que le Code criminel a été modifié, selon Me Marie-Claude Perreault, CRIA, associée du cabinet Lavery, de Billy. Depuis 2004, une organisation peut être accusée de négligence criminelle dans le cas où un travailleur subit une blessure grave au boulot.

Selon l’avocate, l’affaire Transpavé fournit une bonne raison aux entreprises de redoubler d’efforts en matière de prévention des accidents. « Cette décision dit aux employeurs : attention, il peut y avoir une condamnation », affirme-t-elle.

Me Perreault constate que les employeurs se préoccupent de plus en plus d’utiliser de bonnes pratiques en matière de santé et de sécurité du travail. De son côté, la Commission de la santé et de la sécurité du travail soutient cette tendance par des publicités télévisées dans lesquelles on voit des travailleurs se faire mutiler ou tuer par des machines.

Accommodements raisonnables seulement!
Jusqu’où va le devoir d’accommodement d’un employeur envers un employé malade? Le cadre a toujours été assez flou. Dans un jugement rendu en juillet dernier, la Cour suprême du Canada a remis les pendules à l’heure.

En 2001, Hydro-Québec a congédié une salariée atteinte de problèmes physiques et mentaux en raison de son absentéisme chronique. L’employeur a tenté pendant plusieurs années d’adapter les conditions de travail de la plaignante (horaire à temps partiel, modification de l’emploi, etc.), sans résultat. En Cour, l’entreprise a plaidé que la salariée ne pourrait pas reprendre son travail dans un avenir raisonnable et prévisible. Le haut tribunal a conclu qu’Hydro-Québec avait fait ses devoirs en matière d’accommodement.

Les entreprises ont accueilli le jugement avec un soupir de soulagement. « Enfin, cette décision vient poser des limites concrètes à l’obligation d’accommodement, laisse tomber la conseillère juridique au Conseil du patronat, Me Pascale Gauthier. L’employeur doit accommoder les travailleurs malades, mais seulement dans la mesure où cela ne pose pas de contraintes excessives. »

Le fardeau de la preuve est ainsi allégé. « Si on est capable de dire qu’un travailleur n’est plus en mesure de faire le travail pour lequel il a été embauché dans un avenir prévisible, l’obligation d’accommodement ne tient plus, dit Me Gauthier. Avant, des employeurs pouvaient penser qu’ils devaient garder un travailleur même s’il n’était plus en mesure de remplir sa tâche. »

Me Perreault croit que cette décision prendra toute son importance dans les mois à venir. Dans un climat d’incertitude et de fermetures d’entreprises, les cas de détresse psychologique risquent de se multiplier, selon elle.

« Ces dossiers sont les plus difficiles à gérer, constate l’avocate. Comment doit-on accommoder quelqu’un qui a des symptômes dépressifs? Comment exiger une production X d’un travailleur qui a de la difficulté à fonctionner? Ce sera tout un défi pour les conseillers en ressources humaines. » L’affaire Hydro-Québec guidera très certainement leurs décisions.

Droit à la négociation collective : des conséquences insoupçonnées
En 2007, dans la décision Health Services and Support, la Cour suprême du Canada a déterminé que la négociation collective est constitutionnellement protégée par la Charte canadienne des droits et libertés, au même titre que la liberté d’association. Une première au pays.

Cette décision aura des répercussions importantes, selon Ronald Sirard, avocat en droit du travail. L’année 2008 a permis d’en avoir un bref aperçu.

Rappelons tout d’abord les faits. La décision de la Cour suprême porte sur la validité constitutionnelle d'une loi de la Colombie-Britannique adoptée en 2002, qui annulait certaines dispositions des conventions collectives dans le secteur des soins de santé au sujet de la sous-traitance, des mises à pied et de la supplantation. Les syndicats ont contesté cette loi devant les tribunaux. La Cour suprême a tranché en leur faveur et a reconnu le droit à la négociation collective.

Selon Me Sirard, la jurisprudence commence à faire son œuvre. Il cite à titre d’exemple la décision de la Cour supérieure du Québec d’invalider les lois 7 et 8 ainsi que la loi 30, qui avaient été adoptées sous le bâillon par le gouvernement Charest en 2003. Les deux premières empêchaient la syndicalisation des éducatrices en milieu familial et des ressources intermédiaires en santé. La loi 30 forçait pour sa part la fusion d’unités syndicales dans le secteur de la santé.

Ronald Sirard croit qu’on ne mesure pas encore la portée capitale de la décision Health Services and Support. Selon lui, une porte a été ouverte à la syndicalisation des cadres. « Le Code du travail leur refuse le droit d’association, mais il y a des chances que ça tombe avec la nouvelle jurisprudence », avance-t-il.

De plus, la décision pourrait mener à la reconnaissance du droit à la grève, qui est directement lié au droit à la négociation collective, estime Me Sirard. Dossier à suivre…

Des retraites progressives, mais à quel prix?
Devant le problème croissant de la pénurie de main-d’œuvre, le gouvernement du Québec a adopté en juin dernier des mesures incitatives visant à retarder les départs à la retraite.

Des modifications ont été apportées à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite et à la Loi sur le régime de rentes du Québec pour permettre aux travailleurs de 55 ans et plus de prendre une retraite progressive sans pénalité.

Par exemple, un travailleur de 55 ans peut – avec l'accord de l’employeur – continuer à travailler à temps partiel et recevoir, en plus de son salaire, jusqu'à 60 % des prestations de retraite auxquelles il a droit. L’avantage est double, puisque ce même travailleur peut faire augmenter sa rente finale en continuant d’accumuler des années de service. Ces mesures s’appliquent dans le secteur privé, les sociétés d’État, les municipalités et les universités.

Le fait que le gouvernement permette la retraite progressive a été applaudi par la majorité des intervenants du monde du travail. Me Perreault met toutefois un bémol. Selon elle, la mesure, quoique alléchante dans le cas d’une pénurie de main-d’œuvre, peut coûter très cher aux entreprises. « Si la retraite progressive est négociée à grande échelle, cela peut avoir un impact important sur le coût des régimes de retraite pour les employeurs. Ceux-ci doivent être prudents et prendre le temps d’évaluer les conséquences. »

Cette mise en garde semble d’actualité, alors que près des trois quarts des employeurs canadiens soutiennent que les programmes de retraite progressive seront une part importante de leur stratégie de gestion de ressources humaines dans les cinq prochaines années, selon un sondage publié à la fin novembre par la société d'experts-conseils en ressources humaines Hewitt & Associés.

Repenser la loi anti-harcèlement psychologique
En juin 2004, le Québec s’est doté d’une loi pour contrer le harcèlement psychologique en milieu de travail. Quatre ans plus tard, l’heure est au bilan, selon Me Ronald Sirard.

Selon lui, les lacunes de la loi ressortent en 2008. « On commence à se rendre compte que le recours est très ardu pour les plaignants. Surtout que le harcèlement laisse des séquelles psychologiques, note-t-il. On est rendu au point où on ne sait pas si on doit dire aux clients de laisser tomber ou non. »

De plus, Me Sirard croit que la loi comporte un vice fondamental du fait que les salariés syndiqués doivent être représentés par leur syndicat pour porter plainte. « Il y a un conflit d’intérêts parce que le syndicat fait partie du milieu de travail. C’est une situation extrêmement difficile pour les présumées victimes. »

La présidente de la Confédération des syndicats nationaux, Claudette Carbonneau, pense de même. « Il faudrait repenser le mécanisme de la loi, dit-elle. Les procédures ne sont pas adaptées à la situation. »

Me Sirard soutient aussi que la pression est forte pour que les dossiers se règlent hors cour. Moins d’une centaine de cas se sont retrouvés devant le tribunal de la Commission des relations du travail. D’après lui, les avocats de la Commission des normes du travail (CNT) sont assommés par un trop grand nombre de dossiers à traiter. Depuis 2004, plus de 9700 plaintes ont été reçues. « Je ne vois pas comment ils peuvent s’en sortir », dit-il, en mentionnant qu’il consacre pour sa part 35 heures à chaque dossier.

À la CNT, on souligne que la loi vise en premier lieu la prévention du harcèlement. « Elle donne un cadre pour que les entreprises se dotent d’une politique pour contrer le phénomène », dit Dalia Gesualdi-Fecteau, avocate à la Commission.

Abolition des lois 7 et 8 : une victoire syndicale
L’année 2008 a été marquée par une importante victoire syndicale, note Claudette Carbonneau. À l’automne, la Cour supérieure a invalidé les lois 7 et 8, qui empêchaient la syndicalisation des éducatrices en milieu familial et des ressources intermédiaires en santé. Le gouvernement Charest, alors en pleine campagne électorale, a décidé de ne pas interjeter appel.

Environ 25 000 personnes, très majoritairement des femmes, sont touchées par ce jugement. « Ces travailleuses recouvrent le droit de se syndiquer et de négocier collectivement pour améliorer leurs conditions de travail, se réjouit madame Carbonneau. C’est aussi une victoire pour l’égalité des femmes. » Déjà, de nouvelles demandes d’accréditation syndicale ont atterri sur le bureau de la Commission des relations du travail. En moins de trois semaines, la Centrale des syndicats du Québec a déposé à elle seule 19 requêtes en vue de syndiquer 2078 travailleuses de services de garde en milieu familial. S’ajoute à cela plus d’une centaine de requêtes qui étaient pendantes avant la promulgation des lois 7 et 8.

Selon Jean-François Tremblay, CRIA, professeur au Département des relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais, cette décision pourrait faire des petits. « Le jugement lance le message que même si l’État adopte des lois défavorables à la négociation collective, il est possible de les renverser. Ça va peut-être donner de l’énergie aux syndicats pour contester d’autres lois. Peut-être que d’autres groupes vont vouloir eux aussi avoir le droit de se syndiquer », dit-il.

Le Journal de Québec blâmé pour avoir utilisé des briseurs de grève
À la mi-décembre, la Commission des relations du travail (CRT) a reconnu que Quebecor Média avait enfreint le Code du travail en ayant recours à des briseurs de grève pendant le conflit au Journal de Québec. Elle donne ainsi raison aux syndiqués, qui clamaient que l’entreprise avait embauché des travailleurs de remplacement pour publier le quotidien malgré le lock-out. Quebecor estimait pour sa part qu'elle ne contrevenait pas à la loi anti-briseurs de grève, parce que le travail n'était pas accompli dans la bâtisse du journal. La commissaire lui a donné tort.

Selon Jean-François Tremblay, CRIA, la décision de la CRT apporte un élément jurisprudentiel intéressant. « La Commissaire précise la notion d’établissement contenue dans la loi. Ce n’est pas parce que le travail n’est pas fait pas fait dans les locaux de l’employeur que ce ne sont pas des travailleurs de remplacement. » Advenant un lock-out au Journal de Montréal en janvier, la décision de la CRT pourrait compliquer la tâche de Quebecor, croit Jean-François Tremblay. « Ils vont y penser à deux fois avant de demander à d’autres journalistes d’écrire des textes pour le journal », conclut-il.

Marie-Ève Maheu, journaliste indépendante

Source : VigieRT, numéro 33, décembre 2008.

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