Vous lisez : Les régimes incitatifs à court et à long termes

Introduction

Bon nombre d’entreprises se sont dotées de régimes incitatifs à court et à long termes, pour attirer des candidats intéressants ou pour fidéliser les employés.

Dans les régimes incitatifs à court terme, communément appelés « régimes de bonis », la performance de l’employé est généralement un critère important. De plus, ces régimes prévoient souvent que l’employé doit être à l’emploi de l’entreprise au moment du paiement.

Quant à eux, les régimes incitatifs à long terme, tels les régimes d’octroi d’options, stipulent fréquemment que les options non acquises au moment de la terminaison d’emploi sont « perdues ».

Qu’en est-il de la validité de telles stipulations? Comment les tribunaux québécois ont-ils disposé de ces questions?

Principes de base

Rappelons quelques principes importants en matière de contrats et de terminaison d’emploi.

  • Le contrat d’adhésion s’interprète en faveur de l’adhérant (articles 1379 et 1432 du Code civil du Québec ou C.c.Q.). C’est généralement le cas des régimes de bonis et d’octroi d’options dont les textes ne font pas l’objet de négociations individuelles.
     
  • Au Québec, par opposition à l’Ontario, les clauses abusives d’un contrat d’adhésion sont nulles ou les obligations qui en découlent sont réductibles (article 1437 C.c.Q.).
     
  • Aucun droit ne peut être exercé de façon excessive et déraisonnable et toute personne est tenue d’exercer ses droits selon les exigences de la bonne foi (articles 6 et 7 C.c.Q.).
     
  • Les clauses externes auxquelles renvoie un contrat d’adhésion doivent être expressément portées à la connaissance de l’adhérent (article 1435 C.c.Q.). Ainsi, pour que ces régimes soient opposables à l’employé (sous réserve des autres principes mentionnés ci-dessus), l’employeur doit en remettre une copie à l’employé.
     
  • Toute personne congédiée sans motif sérieux a droit à un délai de congé raisonnable ou à une indemnité en tenant lieu (article 2091 C.c.Q.).
     
  • Cet article est d’ordre public. L’employé ne peut y renoncer à l’avance, mais uniquement après que son droit est né, par exemple dans le contexte d’une transaction. (Betanzos c. Premium Sound ‘N’ Picture Inc. (2007) QCCA 1629).
     
  • L’indemnité tenant lieu de délai de congé raisonnable doit placer l’employé dans la même situation financière que s’il avait continué à travailler pour l’employeur durant la période visée par le délai de congé Aksich c. Canadian Pacific Railway (2006) QCCA 931).

Application concrète de ces principes
Les régimes de bonis

  • Les articles 1379 et 1347 ont été introduits dans le Code civil du Québec en 1994. Auparavant, les tribunaux donnaient généralement effet aux dispositions contractuelles claires (Godbout c. Transport International Tool (Québec) Ltd. [1075] C.S. 808; Pauley c. Imperial Life Assurance Co. of Canada [1976] C.A. 551; Tremblay c. Entreprises Minières Redpath Ltée 89T-305).

  • Depuis la réforme de 1994, les tribunaux ont annulé des dispositions contractuelles jugées abusives, par exemple dans des cas où les contrats d’emploi prévoyaient que les employés n’avaient pas droit au paiement de bonis ou de commissions après leur démission ou la terminaison de leur emploi.

  • Dans la cause Commission des normes du travail c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance-vie [2004] J.Q. no 14762, la Commission des normes du travail réclamait un boni en invoquant qu’il s’agissait de « salaire » au sens de la Loi sur les normes du travail. L’employeur niait toute responsabilité, puisque que l’employé avait démissionné avant la date effective du paiement et que cette condition était expressément prévue à son contrat.

  • Le tribunal s’est appuyé sur l’article 1437 du Code civil pour annuler cette condition ainsi que la politique de l’employeur, jugeant qu’il aurait été abusif et inéquitable de priver un employé d’une rémunération gagnée pour l’année précédente. La Cour s’est exprimée comme suit :

    « 77 Assujettir le paiement de la prime de rémunération à une modalité qui n’a aucun rapport avec la prestation de travail vient, en quelque sorte, annihiler tous les efforts déployés par l’employé pour se mériter une rémunération dite incitative, gagnée et acquise.

    « 78 Une telle condition est en soi non pertinente, abusive et déraisonnable.

    « La portée d’une telle clause dénature le contrat d’emploi qui implique, en soi, qu’une prestation de service de travail effectif dans le cadre de critères déterminés à l’embauche soit rémunérée. » (nos soulignés)

  • La Cour supérieure a rendu une décision au même effet dans l’affaire McAndrew c. Supermarché Tassé ltée 96T-1491, même si le régime de bonis prévoyait expressément qu’un des objectifs du régime était d’inciter les employés à rester à l’emploi de l’entreprise.

  • Cependant, lorsque le boni était purement discrétionnaire et ne constituait pas un engagement contractuel défini, les tribunaux ont refusé des réclamations pour boni. (Lévesque c. Groupe Investors 96T-313; Lecavalier c.United Parcel Service du Canada Ltée2003T-992).

  • Quant à l’exigence liée à la performance de l’employé, les tribunaux ont tendance à appliquer la maxime selon laquelle « le passé est garant de l’avenir ». Ainsi, lorsque la preuve démontre que le rendement de l’employé lui a permis de recevoir un boni dans le passé, les tribunaux n’hésitent pas à conclure que l’employé aurait probablement reçu un boni pour la période visée par le délai de congé (voir l’affaire Aksich précitée, Lachapelle c. Bourse de Montréal, 92T-218, Marcotte c. Banque de Montréal, 2002T-527).

Les régimes d’octroi d’options

  • À moins d’une disposition expresse très claire selon laquelle toutes les options non acquises au moment de la terminaison d’un emploi sont perdues, que l’emploi prenne fin pour un motif sérieux ou non, les tribunaux placent l’employé dans la situation qui aurait été la sienne s’il avait continué à travailler. Ainsi, on lui octroie le bénéfice des options qu’il aurait pu lever durant la période visée par le délai de congé ou des actions qu’il aurait pu acquérir (voir Brasserie Labatt ltée c. Villa (1995) 67 QAC 22; Deschênes c. Nurun inc. [2003] R.J.Q. 1824 et Shire Biochem Inc. c. King, décision de la Cour d’appel en date du 23 décembre 2003, AZ-50212739).

  • Le mode de calcul fait parfois l’objet de débat. Il y a effectivement des différences appréciables dans les modes de calcul retenus par les tribunaux.

  • La détermination du montant requiert que l’on procède à deux évaluations distinctes, soit :
    • l’évaluation de la date à laquelle le calcul doit se faire;
    • l’évaluation de la valeur des actions à cette date.
  • Les éléments qui doivent être considérés dans le cadre de cette détermination seront :
    • le texte du régime;
    • si le dirigeant a tenté ou non de lever l’option et à quelle date;
    • si le dirigeant a été empêché par l’employeur de lever l’option, par exemple à la suite d’une fausse allégation de cause juste de congédiement;
    • le profil d’investisseur du dirigeant;
    • le marché pour ce type d’actions;
    • la liquidité des actions de la société sur le marché.
  • En principe, lorsque le titulaire d’une option a été empêché illégalement par l’employeur de lever son option, il aura droit au montant correspondant à la différence entre :
    • le prix de l’action prédéterminée ou son prix sur le marché au moment où elle aurait pu être acquise;
    • le prix de l’action au moment où le titulaire de l’option aurait probablement levé son option.

(Voir King c. Biochem Therapeutic Inc., [2001] R.J.D.T. 694 (C.S.), modifiée en appel sur d’autres points).

  • La date où le dirigeant aurait probablement levé ses options a été établie par les tribunaux, soit en utilisant un critère arbitraire, soit en se fondant sur la preuve particularisée présentée par le demandeur à cet égard.

Conclusion et conseils pratiques
Les tendances jurisprudentielles sont assez bien définies. Elles ne favorisent pas l’employeur, surtout lorsque l’employé en cause n’est pas un cadre supérieur. Les cadres supérieurs ont généralement la possibilité de négocier leurs contrats d’emploi, souvent avec l’aide de conseillers externes. Néanmoins, quelques précautions de base peuvent améliorer la position de l’employeur.

  1. Remettre à l’employé une copie de tous les régimes pertinents, avant la signature de l’offre ou du contrat d’emploi.
     
  2. Prévoir dans lesdits régimes des clauses qui indiquent que :
    • le régime est totalement discrétionnaire;
    • l’employeur peut y mettre fin unilatéralement, à tout moment;
    • surtout, l’employé doit être à l’emploi de l’entreprise au moment du paiement, quelle que soit la cause de la fin d’emploi, qu’il s’agisse d’une démission, d’une retraite, ou de la terminaison d’emploi avec ou sans cause.
       
  3. Agir de bonne foi en tout temps en ayant notamment des politiques claires et des pratiques constantes.

Ceci ne veut pas dire que de telles dispositions contractuelles seront nécessairement maintenues au Québec, mais à tout le moins, elles donneront ouverture à un débat sérieux.

Louise Laplante, avocate pour le cabinet Ogilvy Renault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Source : VigieRT, numéro 27, avril 2008.

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