Une controverse jurisprudentielle avait cours depuis plusieurs années à la Commission des lésions professionnelles (ci-après « CLP ») au sujet de l’imputation, aux dossiers financiers des employeurs, des frais relatifs aux visites médicales effectuées par des travailleurs après la consolidation de leur lésion professionnelle sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
La CLP a désigné exceptionnellement trois juges administratifs pour trancher cette question complexe dans le dossier Centre hospitalier de l'Université de Montréal-Pavillon Mailloux et al. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2012 QCCLP 2553. En septembre dernier, un regroupement d’employeurs a présenté une preuve et des arguments communs devant ces juges administratifs de la CLP.
Cette importante décision en matière de financement a été rendue récemment.
Le tribunal résume la preuve en prenant note que « tous les coûts des visites médicales, qu’elles soient, ou non, reliées à une lésion professionnelle, sont d’abord facturés à la [Régie de l’assurance-maladie du Québec] » (ci-après, la « RAMQ »). La CLP comprend qu’en principe, la RAMQ devrait faire le tri des factures, déterminer celles relatives à des lésions professionnelles et les retourner à la Commission de la santé et sécurité du travail (ci-après, la « CSST »). Cette dernière devrait vérifier si les factures ainsi reçues de la RAMQ visent effectivement des lésions professionnelles, afin d’en imputer le coût aux employeurs intéressés.
La CSST a admis que cette vérification n’a pas lieu, en invoquant le volume des factures reçues de la RAMQ. Elle rembourse ces factures à la RAMQ, puis impute les coûts aux employeurs. Par la suite, la CSST exige que l’employeur démontre que les visites médicales et, par conséquent, leurs coûts ne sont pas reliés à une lésion professionnelle.
Afin de traiter tous les aspects de ce débat, la CLP devait se prononcer sur des sujets accessoires à la question générale de l’imputation de ces frais, à savoir :
- Quel est le fondement juridique d’une demande de transfert du coût des visites médicales après la consolidation de la lésion professionnelle?
- Existe-t-il un délai pour produire une demande de transfert d’imputation? Et si oui, lequel?
- Le relevé des sommes imputées est-il une décision de la CSST au sens de la LATMP?
- Quels effets emportent une consolidation d’une lésion sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles?
Rappelons que la CSST refusait les demandes de transfert d’imputation des employeurs pour l’un ou l’autre des motifs énoncés ci-dessous, dans des décisions peu motivées :
- L’employeur est hors délai. Le délai invoqué étant parfois l’année de la lésion, les six mois de la connaissance d’un fait nouveau ou un délai de trois ans (sans justifier le point de départ).
- L’employeur ne peut demander la reconsidération de la décision initiale d’imputation en vertu de l’article 365 LATMP.
- L’employeur aurait dû contester le droit du travailleur de consulter son médecin.
Les juges administratifs (avec une dissidence) tranchent les questions soumises de la façon suivante :
- Les employeurs ont intérêt à demander le transfert d’imputation de visites médicales, considérant que les coûts imputés à leur dossier détermineront par ricochet leur cotisation, et ce, même si ces frais peuvent paraître individuellement peu importants.
- Dans son processus administratif, la CSST ne rend en aucun temps une décision motivée et conforme à la LATMP en matière d’imputation. L’envoi des relevés de sommes mensuelles ne peut être considéré comme étant la transmission de décisions motivées. Elles ne sont que des feuillets d’information.
- L’employeur doit demander à la CSST de procéder au transfert d’imputation en vertu de l’article 326(1) LATMP dans les trois ans de la connaissance de l’imputation des coûts qu’il conteste.
- Le tribunal n’opposera pas d’office la prescription d’un recours, donc la CSST devra l’invoquer et, par le fait même, présenter une preuve à cet effet.
- Une lésion professionnelle consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles est guérie et ne génère plus de conséquences médicales. Donc, la lésion n’est plus sujette à l’indemnisation et ne nécessite plus de visites médicales.
- Une consolidation sans séquelle est avérée par un rapport médical final, un rapport médical indiquant « retour au travail » qui s’apparente à un rapport médical final, une décision faisant suite à une évaluation du Bureau d’évaluation médicale (ci-après le « BEM ») ou une décision de la CLP. Toutefois, une décision de la CSST portant sur la capacité de retour au travail alors que le suivi médical se poursuit en parallèle n’équivaut pas à la démonstration d’une consolidation sans séquelle.
- L’employeur a le fardeau de la preuve. Il doit démontrer que les coûts des visites médicales imputées ont eu lieu après la date de consolidation sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. L’employeur n’a pas à démontrer que la visite médicale n’est pas en lien avec la lésion pour remplir son fardeau. Le tribunal mentionne même que la quête de ces renseignements contrevient à la garantie de la confidentialité des renseignements médicaux.
- La politique de la CSST stipule que les frais découlant du processus d’arbitrage au BEM ne sont pas imputés au dossier de l’employeur. La CLP maintient sa position selon laquelle ils devraient l’être.
- Bien que les employeurs aient formellement demandé que tous les frais liés à des visites médicales postérieures à la consolidation soient retournés à la RAMQ et ne soient pas transférés dans le fond général de la CSST, le tribunal déclare qu’il n’a pas la juridiction nécessaire pour rendre une telle ordonnance en vertu de la LATMP.
- Une juge administrative a émis une dissidence, conforme à un autre courant jurisprudentiel de la CLP selon lequel, malgré sa consolidation sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, une lésion professionnelle peut générer des visites médicales postérieures, soit pour ajuster une médication, une orthèse, etc. Toutefois, l’employeur pourra déposer une demande de transfert et devra fournir une preuve démontrant que les visites médicales ne sont pas en lien avec la lésion. Le fait qu’aucun rapport médical ne soit produit à l’occasion de la visite sera une preuve suffisante qu’elle n’est pas en relation avec la lésion. Mentionnons que dans tous les dossiers présentés, à l’exception de deux, la juge dissidente rend la même décision que la majorité, mais pour d’autres motifs.
Par conséquent, de nombreux frais sont erronément imputés aux dossiers d’expérience des employeurs, et ces derniers supportent des coûts qui relèvent du régime universel de soins de santé. Il appartient donc aux employeurs de demander à la CSST des transferts d’imputation en vertu de l’article 326(1) LATMP dans les trois (3) ans de la connaissance des coûts dont il conteste l’imputation.
Toutefois, la CSST a produit une requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure du Québec en mai dernier. Il faudra donc suivre l’évolution de ce recours. Dans l’intervalle, la CLP a suspendu les auditions de tous les dossiers portant sur ces questions, dans l’attente de la décision de la Cour supérieure.
Il est également à noter qu’une autre formation de trois (3) juges administratifsde la CLP a été formée afin de se prononcer sur l'interprétation de la notion d'« obérer injustement » prévue à l'article 326 (2) LATMP.
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Source : VigieRT, juin 2012.